Le professeur adjoint à l’École des sciences infirmières (ÉSI) de l’Université d’Ottawa, Idrissa Boego, se dit «écœuré» de la situation. «En général, lorsqu’on reçoit des demandes de ce genre, on s’attend à ce que ce soit bilingue, dit-il. Ils font normalement des efforts dans ce sens-là.»

Idrissa Boego voit une contradiction dans les efforts de travailler avec des groupes minoritaires et l’indisponibilité d’un questionnaire en français.
Ce recensement de la main-d’œuvre de l’Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario (OIIO) est présenté en français et en anglais dans le courriel d’invitation à y participer, mais le questionnaire est seulement en anglais.
La vidéo explicative est aussi présentée uniquement dans la langue de Shakespeare.
«Pour ce premier recensement, l’OIIO a décidé de le lancer en anglais», explique Kristi Green, porte-parole de l’OIIO, dans une réponse écrite. «Nous étions conscients des défis que représentait un premier recensement en trois parties auprès de plus de 200 000 infirmières, en recueillant des données qui n’avaient jamais été collectées auparavant.»
«Notre objectif est d’être pleinement inclusif et d’apporter des améliorations chaque année sur la base des contributions de tous les groupes qui méritent d’être traités sur un pied d’égalité», poursuit-elle.
Contrer la sous-représentation, en anglais seulement
«À l’OIIO, nous savons que les membres de groupes historiquement sous-représentés peuvent être victimes de racisme, de discrimination ou de harcèlement dans leur vie personnelle et professionnelle. […] Ce recensement éclairera la stratégie de diversité, d’équité et d’inclusion de l’OIIO», lit-on sur le site web de l’OIIO.

Pour Diane Quintas, ce recensement est une occasion ratée de recenser les défis particuliers liés à la langue pour les infirmières et infirmiers francophones de l’Ontario.
Diane Quintas, directrice générale du Réseau du mieux-être francophone du Nord de l’Ontario, est heureuse de voir que l’Ordre souhaite examiner les lacunes en matière d’inclusion.
Elle a cependant détecté une lacune dans l’examen : «Ils parlent des défis d’équité, de vouloir identifier les obstacles que vivent les infirmiers et infirmières, mais quand on regarde la liste de personnes avec qui ils ont collaboré pour élaborer les questions et préparer le sondage, il n’y a aucune mention de personnes francophones.»
Pour réaliser le recensement, l’OIIO a collaboré avec le Groupe de travail du personnel infirmier noir, l’Alliance des infirmières et infirmiers noirs du Canada, l’Ontario Black Nurses Network, le Canadian Black Nurses Network, et le Indigenous Primary Health Care Council.
Idrissa Boego félicite l’OIIO pour l’effort de travailler avec ces groupes. D’un autre côté, il y voit une certaine contradiction : «Que ce soit fait en anglais seulement, alors qu’on a pris toute la précaution de travailler avec des groupes minoritaires culturellement, ça m’a paru vraiment bizarre.»
Pour Diane Quintas, «ça va bien au-delà d’avoir le sondage disponible dans les deux langues. C’est de s’assurer qu’il y a des questions qui vont aller chercher de l’information [sur les obstacles auxquels font face les infirmières francophones]».
D’après elle, le sondage aurait justement été une occasion parfaite pour parler des défis liés à la langue.
«Double mandat»
«L’un des défis qu’on a toujours nommés pour les infirmiers et infirmières francophones, c’est qu’ils sont souvent appelés à faire un double mandat. Ils sont obligés de travailler sur leur plancher et après sur un autre plancher parce que le patient sur l’autre plancher est francophone.»

Jean-Daniel Jacob a refusé de remplir le sondage de l’Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario seulement offert en anglais.
L’OIIO souhaite que les francophones participent au recensement, assure Kristi Green dans son courriel : «Ces expériences sont importantes et nous croyons fermement qu’elles doivent être reflétées dans le recensement.»
«Ça me surprend beaucoup que l’OIIO n’ait pas fait traduire ce sondage», affirme de son côté Paul-André Gauthier, président du Groupe des infirmières et infirmiers francophones de l’Ontario.
À son avis, le recensement «devrait être traduit et fait pour les infirmières et infirmiers francophones de l’Ontario à une nouvelle date afin qu’il soit complété par les membres parlant français».
Mise à part la question sur la langue dans laquelle les répondants peuvent fournir des soins de manière compétente, il n’y a aucune question spécifique aux obstacles linguistiques et aux francophones. Ces derniers devront faire part de leurs défis dans leurs réponses aux autres questions.
Selon Diane Quintas, en ne posant pas ces questions, «on rate une super opportunité d’aller chercher ces données-là».
Un refus de participer
Dans son courriel, l’OIIO exprime son désir d’avoir la rétroaction d’infirmières et d’organismes francophones, mais leur approche pourrait les priver de certaines réponses.
Jean Daniel Jacob, professeur à l’ÉSI de l’Université d’Ottawa, n’a pas complété le sondage. «Je n’ai pas intérêt à soutenir leurs activités, indique-t-il. Ce n’est pas correct de contacter ses membres sans respecter la diversité linguistique de leur membership français et anglais.»
Afin d’en lire le contenu, Idrissa Boego a complété le questionnaire. Il comprend que ce ne sera pas le cas de tous ses collègues. «Ça nous pose problème, nous autres francophones. […] J’en connais qui vont boycotter.»
Michelle Lalonde, aussi professeure à l’ÉSI, confirme que Jean-Daniel Jacob n’est pas le seul de ses collègues à avoir refusé de participer. Malgré la frustration de ne pas pouvoir «s’exprimer dans sa langue», elle ajoute avoir rempli le sondage.