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le Jeudi 17 mars 2022 13:00 Francophonie

L’accès à la justice en français de nouveau mis à mal en Alberta

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Des juristes d’expression française continuent de relever des «manquements» et des «défaillances» en Alberta.  — Tingey Injury Law Firm – Unsplash
Des juristes d’expression française continuent de relever des «manquements» et des «défaillances» en Alberta.
Tingey Injury Law Firm – Unsplash
IJL — RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO (Alberta) – Malgré les efforts en matière d’accès à la justice en français recensés par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, des juristes d’expression française continuent de relever des «manquements» et des «défaillances».
L’accès à la justice en français de nouveau mis à mal en Alberta
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Un homme accusé d’agression sexuelle vient d’être reconnu non coupable par la justice albertaine au terme d’un procès qui s’était ouvert en décembre dernier à Edmonton.

En effet, selon l’arrêt R. c. Benoit rendu par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta et consulté par la rédaction du Franco, la juge Anna Loparco a estimé que l’accusé, un francophone, «aurait aimé consulter un avocat qui parlait français sans l’aide d’un interprète, mais qu’il ne l’a pas fait vu qu’il a cru que son seul choix était celui vers lequel il a été dirigé».

La magistrate a conclu que «l’effet de la violation sur les intérêts de l’accusé était sérieux», même si son arrestation par la GRC s’est déroulée en français.

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Méconnaissance des obligations de la police

Cette affaire vient immanquablement remettre à l’ordre du jour la question des «lacunes en matière d’accès à la justice en français» en Alberta, croit Me Kim Arial, vice-présidente de l’Association des juristes d’expression française de l’Alberta (AJEFA).

L’avocate, membre des barreaux de l’Alberta et des Territoires du Nord-Ouest dans les domaines de la défense pénale et criminelle ainsi que des droits linguistiques et constitutionnels, situe les lacunes à deux égards.

Il y a d’une part les procédures policières, pour lesquelles Me Arial «constate souvent des manquements s’agissant du service en français».

Dans les dossiers que je traite, j’ai l’impression que les policiers ne maitrisent pas le processus.

— Me Kim Arial, vice-présidente de l’Association des juristes d’expression française de l’Alberta

«Lorsqu’un individu est en état d’arrestation, la Charte des droits et libertés, notamment les articles 9 et 10, doit être respectée. [L’individu a] le droit d’être informé de son droit à une assistance juridique et [la police doit notamment] rendre possible l’accès à ce droit», souligne-t-elle.

Me Kim Arial estime ainsi que «les lacunes de la police se situent au niveau de la compréhension de leurs obligations raisonnables envers la personne arrêtée lorsqu’un problème lié à la langue se présente».

«Les lacunes de la police se situent au niveau de la compréhension de leurs obligations raisonnables», selon Me Kim Arial.

Elle précise que l’arrêt Benoit, dans l’affaire de l’homme accusé d’agression sexuelle, montre clairement ces lacunes.

Dès que le policier se rend compte que le détenu a un problème de langue pour comprendre ses droits, il doit faire des efforts. Les individus au Canada ne comprennent pas, en général, qu’ils ont aussi le droit de bien comprendre leurs droits.

— Me Kim Arial, vice-présidente de l’Association des juristes d’expression française de l’Alberta

«Il y a un problème de formation»

Pour illustrer son propos, la juriste donne un exemple en utilisant un autre contexte.

«Imaginons qu’un anglophone est arrêté au Québec et que le policier lui dit : “Vous êtes arrêté pour ‘voie de fait’.” Même si l’anglophone parle un peu français, de sorte qu’il est capable de commander une bière ou de demander où se trouvent les sanitaires, il ne va pas comprendre le “sens juridique” de ce que lui dit le policier».

Dans le Code criminel, une «voie de fait» signifie une «agression», ce que bien des gens ne savent pas nécessairement.

Me Kim Arial se rappelle d’ailleurs avoir eu un client à qui un policier avait dit : «Vous êtes en état d’arrestation. Est-ce que vous comprenez ce que je vous dis?»

Son client avait répondu dans un anglais approximatif et le policier lui avait donné le choix entre «le libérer sur-le-champ avec une comparution prochaine devant le juge» ou alors «passer plus de temps au poste de police s’il souhaitait mieux s’informer sur ses droits».

Pour l’avocate, il y avait manifestement là «un manquement». «Ce sont des problèmes qui se situent au niveau de la ressource. C’est un manque de compréhension des droits des accusés», selon elle.

«C’est aussi un problème de formation», ajoute-t-elle.

Me Julie Laliberté, avocate-conseil des services en français et interprètes à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta.

Courtoisie

Difficultés dans le traitement des dossiers

D’autre part, Me Kim Arial estime qu’il y a aussi des problèmes dans le traitement des dossiers en français par les cours de justice. Elle affirme avoir «toujours eu de la difficulté avec la disponibilité des juges et des procureurs dans des délais raisonnables».

«J’ai toujours eu de la difficulté avec la disponibilité des juges et des procureurs dans des délais raisonnables», déclare Me Kim Arial.

Elle cite comme autre exemple le cas des agents de probation. «Ce sont eux qui rédigent les rapports présentenciels. Si l’agent ne parle pas français, cela peut causer des problèmes d’incompréhension avec l’accusé.»

En droit pénal canadien, un rapport présentenciel est un rapport préparé par un agent de probation afin d’orienter le juge sur la peine qu’il doit imposer. Source : Gouvernement du Canada, securitepublique.gc.ca

Elle ajoute aussi que, selon son expérience, «la Cour d’appel de l’Alberta n’offre pas des appels entièrement en français, même pour des dossiers criminels».

Des «progrès significatifs» selon la Cour

Mais la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta ne l’entend pas ainsi.

Selon Me Julie Laliberté, avocate-conseil des services en français et interprètes, «la Cour a mis en œuvre des mesures qui visent à assurer qu’il n’y ait pas de retard en raison de l’indisponibilité des ressources judiciaires bilingues».

Selon elle, «l’accès à la justice dans les deux langues officielles à la Cour du Banc de la Reine s’est amélioré de façon significative durant la dernière année».

Me Julie Laliberté affirme aussi que «la Cour a présentement une demi-douzaine de juges bilingues qui peuvent voyager à travers la province».

Il en va de même pour les «greffiers, adjoints administratifs, avocats de résolution et avocats qui appuient la magistrature durant les procédures en Chambre de la famille».

Me Julie Laliberté note, de ce fait, que «le bassin d’employés bilingues a augmenté depuis les deux dernières années» à la Cour.

«Le bassin d’employés bilingues a augmenté depuis les deux dernières années» à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, selon Me Julie Laliberté.

Elle rappelle aussi que depuis l’année dernière, «la Cour a adopté une politique et des protocoles associés pour gérer les questions reliées à l’emploi du français dans les procédures».

L’avocate-conseil souligne que, dans le cadre de ce projet pilote qui a été officiellement lancé en janvier 2021, «un avis d’intention de procéder en français pour tout type d’affaires se trouve sur le site Web de la Cour du Banc de la Reine et est utilisé depuis l’année dernière».