Coauteur de l’ouvrage La francophonie nord-américaine, paru en 2013, Yves Frenette a apporté son éclairage sur les migrations francophones à l’occasion de la conférence virtuelle «Trois siècles de migrations francophones en Amérique du Nord (1640-1940)», organisée en octobre par l’Alliance française de Toronto (AFT), en partenariat avec la Société d’histoire de Toronto (SHT).
Cette conférence était la première de la saison culturelle 2021-2022 de l’AFT.
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Les Acadiens sont passés d’agriculteurs à pêcheurs… à cause des Anglais
Implantés sur le territoire actuel de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard, les Acadiens ont toujours pratiqué la pêche comme activité commerciale et de subsistance.
Cette pratique s’est intensifiée lors de leur retour d’exil, à partir de 1763, lorsque la Nouvelle-France a été annexée par le Royaume-Uni.
Pour comprendre, explique Yves Frenette, il faut remonter à l’épisode de la déportation des Acadiens.
En 1713, après la conquête définitive de l’Acadie péninsulaire par les Anglais (la France garde l’ile du Cap-Breton et celle du Prince-Édouard), les Acadiens francophones et catholiques se sont retrouvés en situation minoritaire.
Marqués par les conflits à répétition entre la France et le Royaume-Uni, ils voulaient rester neutres. Ils ont donc refusé de prêter allégeance au souverain britannique. Ce serment les aurait forcés à prendre les armes contre la France en cas de guerre.

Monument commémorant la déportation des Acadiens.
La stratégie du statuquo a fonctionné jusqu’en 1750, lorsque les Britanniques ont décidé de coloniser l’Acadie. Les Acadiens qui n’avaient pas fui en forêt, au Québec ou dans les iles françaises ont été déportés dans les Treize Colonies, en Angleterre ou encore en France.
De 14 000, les Acadiens n’étaient plus que 1000 après la déportation.
Leur retour d’exil fut autorisé en 1764. Néanmoins, ceux qui sont revenus ont vite constaté que les terres agricoles les plus fertiles étaient dorénavant occupées par des colons britanniques. N’ayant pas d’autres choix, ils s’installèrent sur la côte et se convertirent à la pêche.
Le métissage français-autochtones était différent au nord et au sud des Grands Lacs
Le métissage entre les colons français et les femmes autochtones était un phénomène observable partout en Nouvelle-France.
Ces mariages mixtes constituaient parfois une stratégie pour maintenir de bonnes relations et commercer plus facilement. Par exemple, l’épouse faisait office d’interprète entre son mari trappeur et les membres de sa tribu.
Au nord des Grands Lacs, dans les Prairies canadiennes, les unions entre les commerçants de fourrure français et les femmes autochtones ont donné naissance à une nouvelle nation : les Métis, qui ont conscience d’être différents de leurs ancêtres, autochtones et canadiens-français, sont un exemple d’ethnogenèse.
À l’inverse, au sud des Grands Lacs, le métissage n’a pas conduit à l’émergence d’une identité singulière. Dans ces contrées, des villages franco-indiens se sont formés, mais leurs habitants ne se sont pas considérés comme un peuple à part entière.

Le drapeau des Cadiens, ou Cajuns. Ils représentent 10 % de la population de la Louisiane aujourd’hui.
Les trappeurs français se déplaçaient jusqu’au Nouveau-Mexique
Les commerçants et trappeurs canadiens-français se rendaient déjà au Nouveau-Mexique, alors sous domination espagnole, à l’époque de la Nouvelle-France. Ils empruntaient la piste de Sante-Fe, qui débute dans l’actuel Missouri.
Cependant, la fourrure n’était pas toujours leur priorité… Parmi leurs marchandises diverses et variées, on retrouvait aussi de l’alcool!
Entre 1763 et les années 1830, la traite de la fourrure connut un âge d’or qui fut le témoin de migrations francophones intenses. La Compagnie de la Baie d’Hudson et celle du Nord-Ouest se livraient une concurrence acharnée.
Leurs employés, appelés «les voyageurs», arpentaient le continent du Nord au Sud en l’espace de quelques mois seulement. Par exemple, on pouvait retrouver un même voyageur au Manitoba en aout, en Illinois en octobre et au Nouveau-Mexique en janvier.
Plus tard, en 1848, c’est la ruée vers l’or en Californie qui attira les aventuriers français dans l’Ouest.
La Louisiane était la colonie la plus multiculturelle
Colonie fondée en 1682, la Louisiane a développé une identité très différente de celles des autres territoires français d’Amérique.
À mi-chemin entre le monde franco-amérindien et celui franco-africain des Antilles, la Louisiane est un territoire où se sont côtoyées de multiples cultures. On y trouvait de nombreuses tribus amérindiennes et des créoles, les descendants des premiers colons français.
Cet aspect multiculturel s’est accentué encore davantage à la suite de multiples migrations francophones, lorsque la colonie est devenue espagnole en 1763.
Entre 1765 et 1780, des réfugiés acadiens des Treize Colonies, d’Angleterre ou encore de France y ont pris pied. Ils se sont installés dans les bayous et les prairies où ils formaient une communauté à part, les «Cadiens», rejetée par les populations créoles.
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La Louisiane était un véritable creuset. Des Français de la métropole venaient s’y installer pour y tenter leur chance.
Il s’agissait aussi d’une terre d’accueil pour les Marrons. Ces esclaves en fuite fondaient des communautés avec des Autochtones, en marge des villes.
À la fin du XVIIIe siècle s’y sont ajoutés quelque 20 000 réfugiés d’Haïti qui fuyaient les troubles indépendantistes dans la colonie française. Des maitres et leurs esclaves, mais aussi des Noirs affranchis, dont certains étaient esclavagistes, s’établirent en Nouvelle-Orléans et aux alentours.
La ville devint alors un centre francophone majeur. Même si la colonie n’était plus française, mais espagnole… Et bientôt américaine.
La Louisiane fut en effet incorporée par les États-Unis en 1803, après la vente du territoire par Napoléon. Les communautés francophones connaitront par la suite une lente assimilation linguistique. L’usage du français sera par exemple interdit dans les écoles en 1916.