«Ça faisait à peu près 15 ans qu’on était en région parisienne, qu’on avait nos jobs qui étaient sympas, mais […] on avait l’impression, tous les 1er janvier de chaque année, de se retourner sur l’année précédente et d’avoir un peu le sentiment d’avoir fait exactement la même chose, et de faire à peu près la même chose d’une année à l’autre.»
«Je ne suis pas forcément quelqu’un de très instable, mais le côté un peu rupture, un peu changement qu’on peut parfois aimer, on ne l’avait pas […] À un moment, la routine, ça finit par être casse-pieds!» résume Patrice Bramat.
Quelque 14 mois après avoir pris leur décision, ils obtenaient donc la résidence permanente pour toute la famille et achetaient un aller simple pour Halifax, d’où ils trouveraient leur prochain lieu de vie : Saint-Jean.
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Des réactions mitigées
Mis devant le fait accompli, leurs enfants alors âgés de 17, 15 et 13 ans n’ont pas forcément apprécié la nouvelle de cette aventure canadienne.
«On ne leur en a pas trop parlé avant d’être complètement surs de s’engager là-dedans parce qu’on ne voulait pas trop que ça cogite. Ce n’était peut-être pas une manière très sympa, mais on savait bien qu’il allait y avoir des réactions plus ou moins positives, et ça a été très variable», expose le père de famille.
«Notre grand garçon, quand on leur a annoncé qu’on allait y aller […] il a baissé la tête, un peu prostré. Notre fille de 15 ans s’est mise à pleurer et à dire qu’elle n’irait pas, et la dernière de 13 ans, elle a eu la mâchoire qui est tombée comme dans les dessins animés, complètement estomaquée, ni triste ni contente. Ça a été la réaction à chaud», se souvient-il.
Au moment de monter dans l’avion, l’ainé et la benjamine ont plutôt cédé à l’excitation et à l’enthousiasme, tandis que la cadette a «fait une réaction médicale assez forte comme de perdre connaissance», rapporte Patrice Bramat.
«Ça nous a presque fait douter un moment des risques, à savoir si on faisait la bonne chose, si on y allait un peu fort… Et comme par hasard, ces manifestations psychosomatiques se sont arrêtées au moment où on est arrivés au Canada, où effectivement la page était tournée. Un psychologue nous avait dit que c’était souvent comme ça.»
Les enfants de Patrice ont décidé de compléter ces programmes à l’école secondaire anglophone, malgré leur connaissance sommaire de la langue : «[À notre arrivée] on a visité des écoles, et le français tel qu’ils l’ont entendu […] était peut-être un peu difficile à comprendre en raison de l’accent qui est différent, du vocabulaire aussi. Ils se sont dit : “Quitte à apprendre une langue étrangère, autant apprendre l’anglais!”» plaisante le père de famille.
Il félicite d’ailleurs l’école en question d’avoir rapidement mis en place un système de support pour pallier les lacunes linguistiques de leurs nouveaux élèves, qui «parlaient l’anglais comme tous les Français le parlent au secondaire, c’est-à-dire assez peu».

À l’approche de la date butoir
La plupart des cartes de résidence permanente étant valides pendant cinq ans, la question de la citoyenneté se posera bientôt pour Patrice Bramat et sa famille.
Pour sa femme et lui, «c’est toujours la France notre pays. On est toujours résidents [là-bas]», souligne-t-il.
Pour le moment, toutes les options sont considérées : rester à Saint-Jean, déménager ailleurs au Canada ou rentrer en France. «Les opportunités professionnelles feront qu’on ira d’un côté ou de l’autre» puisqu’à ce moment, tous leurs enfants auront terminé le secondaire et seront donc plus autonomes.
Ma femme a peut-être ce manque de la France plus que moi […] Moi clairement, je trouve que la qualité de vie est supérieure au Nouveau-Brunswick qu’elle peut l’être en région parisienne par exemple. Je fais plus de choses ici.
Il ajoute apprécier le rythme de vie moins axé sur le travail ; il a d’ailleurs trouvé le temps de mettre sur pied des dégustations de vin ponctuelles, un clin d’œil à son pays natal. L’importation privée n’étant pas une option, il met de l’avant des produits locaux ou d’autres provinces canadiennes, avec une mention spéciale pour la Nouvelle-Écosse : «Il y a un potentiel qui est super, ils commencent à faire des vins blancs vraiment de bonne qualité.»
«Sur ma liste de destinations privilégiées, il y a bien sûr la Vallée de l’Okanagan [en Colombie-Britannique] que j’irai visiter un jour», ajoute-t-il.
Sur la liste des choses qui lui manquent le plus, Patrice Bramat classe en première position «la culture et la gastronomie». «Chaque fois que ma femme fait des allers-retours, elle revient avec une valise pleine de fromage!» mentionne-t-il.
Quant à leur intégration au sein de la communauté néobrunswickoise, il précise qu’elle a été plus facile avec la communauté anglophone que francophone : «Il y a deux communautés francophones ; les Canadiens de souche, et les Français, les Belges et autres gens qui parlent français. Ceux-là on les connait tous, on se connait tous entre nous, mais la communauté francophone locale n’est pas si facile à intégrer […] On a presque plus de copains anglophones que francophones en fait», réfléchit-il.

Le problème des trois aéroports
Ce qu’il reproche le plus à sa province d’accueil n’a cependant aucun lien avec sa convivialité, mais concerne plutôt les perspectives de développement au Nouveau-Brunswick : «Ce qui manque, c’est un aéroport international […] Pour aller à New York, on est obligés de passer par Montréal ou Toronto», déplore-t-il.
S’il admet que des liaisons directes avec l’Europe ne seraient pas profitables, Patrice Bramat évalue cependant que d’en établir avec les États-Unis «aurait beaucoup de sens en termes d’économie et de développement d’activités locales».
«Aujourd’hui malheureusement, c’est très symbolique du Nouveau-Brunswick, on a trois aéroports tous en concurrence […] Les billets d’avion sont très chers et les destinations sont très réduites, et ça, c’est un énorme frein au développement de la région.»
L’exode des villes observé depuis le début de la pandémie serait pour Patrice Bramat l’occasion de miser sur la qualité de vie des régions, mais cela nécessite de pouvoir se déplacer rapidement à travers le Canada.
Des provinces comme le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse ou l’Île-du-Prince-Édouard ont d’énormes atouts en termes de qualité de vie. Énormes!
Il souhaiterait voir ce potentiel mieux exploité dans sa province d’accueil afin que d’autres puissent profiter de ses bienfaits comme lui-même et sa famille l’ont fait, il y a de cela quatre ans.
Au travers des incertitudes liées à la pandémie, certaines histoires ressortent comme autant de bouffées d’air et d’espoir. C’est notamment le cas de nombreux francophones qui ont choisi le Canada comme terre d’accueil, il y a de cela quelques mois ou des années. Chaque samedi, Francopresse vous présente quelques-unes de leurs histoires d’immigration, un clin d’œil à la vie qui continue même quand tout le reste s’arrête.