«Ça m’inquiète énormément», souligne le juriste acadien, expert et militant en matière de droits linguistiques Michel Doucet.
«Est-ce que ça va être un processus un peu bâclé pour arriver à dire au bout de la ligne qu’il n’y a rien à faire, ou encore pour apporter certaines précisions à la Loi qui ne seraient pas nécessairement positives pour la communauté francophone?»

Une révision très en retard
Les intervenants francophones de la province ont passé l’année 2020 à demander au gouvernement progressiste-conservateur de Blaine Higgs de mettre en marche le processus de révision.
Selon les dispositions mêmes de la Loi, la prochaine révision doit être complétée d’ici la fin de l’année 2021. Il reste donc pratiquement un an. Or, la dernière révision de la Loi, terminée en juin 2013, avait duré deux ans.
Dans son discours du Trône le mois dernier, le gouvernement annonçait simplement qu’il y aurait une révision de la Loi, qu’il a qualifiée d’«examen exhaustif» afin «qu’elle assure l’égalité de nos communautés linguistiques».
Il y a deux ans, le Parti vert avait lancé l’idée de créer un comité permanent sur les langues officielles à l’Assemblée législative, à l’image de ceux de la Chambre des Communes et du Sénat canadien.
La Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) et l’opposition officielle libérale avaient à leur tour présenté cette demande. Ces intervenants espéraient que ce soit un tel comité qui procède à la révision de la Loi.
Mais vers la fin novembre, le premier ministre Blaine Higgs a rejeté l’idée, se contentant de dire que «ce n’est pas quelque chose que j’envisage».
Le premier ministre veut confier la tâche à un comité spécial de l’Assemblée, comme ce fut le cas lors de la dernière révision de la Loi. Le processus de révision doit être annoncé d’ici la fin décembre.
À lire aussi : Révision de la Loi sur les langues officielles : le retard inquiète la commissaire

Demandes envers la prochaine révision
La SANB souhaite que cette nouvelle révision prévue en 2021 puisse amener des gains à la communauté francophone de la province, notamment en augmentant les pouvoirs du commissaire aux langues officielles, en instaurant la dualité dans les foyers de soins et en bonifiant l’immigration francophone.
La SANB demande également que la Loi ait plus de mordant relativement aux associations professionnelles.
De son côté, le juriste Michel Doucet croit aussi qu’il est important que le commissaire aux langues officiel ait un rôle plus important, notamment en lui donnant la capacité de mettre en œuvre ses recommandations.
Il voudrait également qu’on intègre à la nouvelle Loi le droit des fonctionnaires de travailler dans leur langue, à l’instar du gouvernement fédéral.
Mais Michel Doucet s’inquiète des intentions du gouvernement Higgs. «On sait que le gouvernement en place n’est pas un gouvernement qui a une connaissance très approfondie de la Loi sur les langues officielles et sa vision de la Loi est assez réductrice.
Lorsqu’on écoute le premier ministre, il semblerait que le seul problème est que les anglophones ne sont pas bilingues, alors que c’est un domaine qui ne relève pas du tout de la Loi.
Les déclarations passées de Blaine Higgs n’ont rien pour rassurer les militants acadiens. En campagne électorale l’été dernier, le premier ministre n’avait pas écarté la proposition de l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick — une formation qui critique régulièrement le niveau de droits des francophones — de réduire les exigences linguistiques pour les emplois dans la fonction publique.
Compte tenu de l’attitude du gouvernement actuel, il semble que le statuquo pourrait être perçu comme une victoire. «Je ne m’attends pas à des modifications draconiennes qui feraient des avancées énormes», admet Michel Doucet.
Benoît Bourque, porte-parole de l’opposition libérale en matière de langues officielles, abonde dans le même sens : «On ne s’attend pas à des miracles, on ne s’attend pas à des avancées historiques pour la communauté acadienne. Mais si on moins la Loi peut être appliquée comme elle se doit d’être appliquée, c’est important pour nous.»

La confiance ne règne pas beaucoup plus chez le président de la SANB, Alexandre Doucet : «Modérément optimiste. C’est certain qu’au moins on a su qu’il y aurait une révision. On a toujours dit qu’on était prêts à les aider pour les langues officielles et c’est encore le cas, mais s’il n’y a pas de comité qui est créé d’ici janvier 2021, la pression va monter de notre part.»
Les militants ne voient pas d’un bon œil que l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick, qui a le statut de parti officiel en Chambre avec ses deux députés, devra normalement avoir un représentant au sein du comité de révision de la Loi.
«On sait très bien que ce parti-là n’a pas nécessairement la Loi en sainteté, souligne Michel Doucet. On pourrait se retrouver également avec une révision avec le parti qui détient le pouvoir et la People’s Alliance [qui] pourrait proposer certaines modifications qui ne répondraient pas aux obligations de la Charte».

Évolution de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick
Mis à part sa cousine fédérale, la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick est la seule qui existe au Canada.
C’est sur recommandation du rapport issu de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme que le gouvernement du Nouveau-Brunswick, alors dirigé par l’Acadien Louis J. Robichaud, a décidé en 1968 d’instaurer le bilinguisme officiel dans sa province.
La Loi est adoptée à l’unanimité à l’Assemblée législative le 12 avril 1969 et proclamée six jours plus tard, le 18, soit un peu moins de cinq mois avant la loi fédérale (7 septembre 1969).
Le Nouveau-Brunswick a donc été officiellement bilingue avant le Canada.
Cette première Loi stipule, à son article trois, que l’anglais et le français «sont les langues officielles du Nouveau-Brunswick pour toutes les fins relevant de la compétence de la Législature» et qu’elles «bénéficient d’un statut équivalent de droit et de privilège».
Elle prévoit également que les projets de loi (c’est le mot «bill» qui est inscrit dans la Loi), les motions, procès-verbaux, rapports et toutes les futures lois émanant de l’Assemblée seront imprimés dans les deux langues.
Par ce nouveau statut, les francophones ont obtenu le droit de communiquer et d’obtenir des services gouvernementaux dans leur langue. Bref, une petite révolution.
Du côté de l’éducation, la Loi assurait que le français devait être la principale langue d’enseignement dans les écoles où cette langue est celle de la majorité des élèves. Il existait encore des classes et des écoles bilingues à l’époque.
Les francophones obtenaient aussi le droit d’être entendus dans leur langue devant les tribunaux, si ceux-ci convenaient que l’on «[pouvait] efficacement procéder ainsi».
Les articles de nature déclaratoire sont mis en vigueur en septembre ; les autres le seront sur une période de plusieurs années, jusqu’en 1977, par le gouvernement progressiste-conservateur de Richard Hatfield.
Nouvelle Loi en 2002
Il faudra attendre l’année 2002 et l’affaire Charlebois concernant les services bilingues dans les municipalités avant l’arrivée d’une nouvelle Loi sur les langues officielles provinciale.
Cette Loi, adoptée également à l’unanimité, abrogeait celle de 1969 et avait une portée beaucoup plus large.
Pour répondre au jugement de la Cour d’appel de la province dans l’affaire des municipalités, on impose des obligations de bilinguisme aux sept grandes villes de la province et aux municipalités comptant une minorité linguistique officielle d’au moins 20 %.
Autre grande nouveauté : un poste de commissaire aux langues officielles est créé. La Loi dicte aussi au gouvernement l’obligation de faire l’«offre active» de ses services dans les deux langues.
En 2013, une première révision de la Loi de 2002 est adoptée. L’une des grandes avancées est l’obligation faite aux associations professionnelles créées en vertu d’une loi d’offrir leurs services dans les deux langues.
La Loi donne également le pouvoir aux municipalités d’adopter une politique d’affichage linguistique ; la ville de Dieppe en prendra avantage pour instaurer l’affichage bilingue extérieur obligatoire, en donnant au français la prédominance.