À compter de 2021, les francophones qui feront une demande d’immigration via le système Entrée Express recevront une augmentation de 15 à 25 points d’admissibilité supplémentaire comparativement à ce qu’ils recevaient auparavant. Les personnes qui peuvent s’exprimer dans les deux langues officielles du Canada recevront, quant à elles, de 30 à 50 points supplémentaires comparativement à l’ancien système.
Entrée Express, dont la mission consiste à gérer les demandes d’immigration des travailleurs qualifiés, procède par système de pointage depuis juin 2017.
Un communiqué du ministère de l’Immigration précise que cette modification des points aidera le gouvernement à atteindre la cible de 4,4 % d’immigrants francophones hors Québec d’ici 2023.
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Une autre forme d’exclusion?
Evelyne Kemajou, directrice du Portail immigrant association (PIA) à Calgary, y voit une fausse bonne nouvelle : selon elle, ce surplus de points accordé aux personnes bilingues «est une autre forme d’exclusion des francophones».
«Dans un premier temps, nous n’avons aucune idée des conditions dans lesquelles a été prise cette décision, lance-t-elle. Qui est autour de la table? À quel(s) continent(s) le gouvernement pensait-il en prenant cette décision? Ensuite, la question que l’on se pose c’est : pourquoi continuer d’avantager les bilingues, alors que le gouvernement tente d’attirer les immigrants francophones hors Québec?»
Selon la directrice du PIA, mettre bilingues et francophones sur un pied d’égalité pour les points ne ferait que renforcer les communautés francophones hors Québec.

Une vision à laquelle s’oppose Brigitte Duguay Langlais, coordonnatrice au Réseau de soutien à l’immigration francophone de l’est de l’Ontario (RSIFEO). Pour elle, ces points en plus qui avantagent les personnes bilingues plutôt que des francophones sont un non-débat. «Chaque nouvelle du ministère qui fait avancer les francophones ou les bilingues est toujours bonne à prendre», précise-t-elle.
«Il faut arrêter d’instrumentaliser l’immigration francophone»
Sachant que le système Entrée Express est la seule porte d’entrée pour les travailleurs qualifiés, Brigitte Duguay Langlais suggère de cesser le «leurre».
Il faut arrêter d’instrumentaliser l’immigration francophone en faisant croire aux immigrants d’expression française que ce sera facile pour eux s’ils parlent uniquement le français dans les provinces hors Québec. Ce n’est pas leur rendre service que de diffuser ce type de message.
Selon la coordinatrice du RSIFEO, une maîtrise de base de l’anglais est nécessaire pour vivre dans une province hors Québec, même au Nouveau-Brunswick. «Notre job en tant qu’organismes est de se rapprocher des bilingues et de les attirer dans les communautés francophones.»
Elle déplore toutefois le fait que le fédéral ne donne pas de ligne directrice claire sur l’immigration. Pour elle, il faudrait «une entente entre le fédéral et les provinces sur le transfert de fonds et la responsabilité de l’immigration».
En 2018, l’Ontario a autorisé 6 850 immigrants à venir dans la province via le Programme ontarien des candidats à l’immigration (POCI). Le programme a dépassé sa cible de 5 % d’immigration francophone, atteignant un niveau de 7,7 %, soit 526 candidats francophones.
Pour Brigitte Duguay Langlais, le gouvernement fédéral devrait augmenter la cible d’immigrants et se baser sur celle-ci pour déterminer un quota élevé et précis de francophones par province.

Une «facilité» d’être bilingue
Selon Mariama Atchang Aboul, présidente-trésorière de l’organisme Coopération-Intégration Canada (CICAN), un service d’appui à l’établissement des nouveaux arrivants, cette bonification de points continue d’avantager les personnes bilingues comme les francophones. Ces derniers conservent tout de même la possibilité de s’établir dans n’importe quelle province hors Québec avec ce système.

Pour elle, il n’y a aucune discrimination ici. Elle soulève plutôt l’idée que, en étant bilingues, les nouveaux arrivants mettent plus de chances de leur côté s’ils veulent se trouver un travail plus rapidement.
Elle prend l’exemple de sa propre expérience : originaire du Cameroun, un pays bilingue, elle estime que sa capacité de parler les deux langues lui a permis de trouver un emploi rapidement. «Être uniquement francophone m’aurait freinée», conclut-elle.