Le rapport Point de vue préliminaire sur l’Université Laurentienne est largement un désaveu des choix de l’Université Laurentienne.
Il y est question de mauvaise gestion, d’apparences de conflits d’intérêts au sein du conseil des gouverneurs et d’un choix «délibéré» d’avoir recours à la LACC. La vérificatrice générale, Bonnie Lysyk, déplore aussi peu d’efforts de collaboration avec le ministère, un manque de transparence de l’administration et des investissements effectués sans tenir compte des risques.
D’entrée de jeu, la vérificatrice générale précise qu’elle publie cet avis préliminaire en raison de l’imminence des élections provinciales :
En raison du manque constant de collaboration de la Laurentienne et comme celle-ci a constamment tardé à nous donner un accès sans entrave aux documents et aux personnes, il est peu probable que nous puissions déposer notre rapport d’audit spécial avant la dissolution de l’Assemblée législative.
À lire aussi : Quand la réalité est aussi sombre que les théories (Le Voyageur)
Le faux choix de la LACC
«Nous croyons que la Laurentienne n’était pas tenue de se placer à l’abri de ses créanciers en vertu de la LACC. Elle a stratégiquement planifié et choisi de le faire devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario le 1er février 2021», peut-on lire en toutes lettres dans le rapport.

Bonnie Lysyk est vérificatrice générale depuis 2013.
Les procédures habituelles, comme de collaborer de façon transparente avec le ministère pour obtenir de l’aide, n’ont pas été suivies, constate Bonnie Lysyk : «La Laurentienne a en outre évité sciemment de déclencher la clause d’obligation financière de la convention collective du syndicat de professeurs. Ce processus vise à s’assurer que les cessations d’emploi lors d’une situation financière catastrophique ont lieu de façon collégiale et transparente.»
La Laurentienne a plutôt choisi de recourir à la LACC, amorçant «un processus qui a permis de consacrer plus d’argent à des conseillers externes au moyen d’honoraires professionnels, s’est révélé moins transparent et a probablement eu et continuera d’avoir une plus grande incidence sur les étudiants, le corps professoral, la communauté de Sudbury et la réputation de l’université», peut-on lire dans le rapport.
La vérificatrice générale donne ainsi raison à l’Association des professeures et professeurs de l’Université Laurentienne (APPUL), qui accuse l’employeur d’avoir manqué de transparence et de collaboration depuis l’automne 2020.
Elle fait une comparaison avec l’Université Nipissing, qui était dans une situation financière plus désastreuse que la Laurentienne en 2014 et qui a obtenu de l’aide gouvernementale.
La vérificatrice générale estime que l’Université Laurentienne a sérieusement commencé à étudier l’utilisation de la LACC au printemps 2020, ce qui a engendré des «couts supplémentaires pour l’université, aux prises avec une situation financière difficile».
En mars 2022, l’établissement avait versé plus de 24 millions $ à des avocats externes et autres consultants. Bonnie Lysyk évalue que les firmes externes engagées pour évaluer les options stratégiques quant aux difficultés financières ont largement mené à la solution actuelle.
Dans cette stratégie, la Laurentienne n’a pas remis les informations nécessaires à ses auditeurs financiers externes concernant la direction choisie. Par conséquent, «les états financiers de la Laurentienne n’ont finalement pas révélé clairement aux intervenants le risque financier imminent couru par l’université».
Pas assez de transparence
Bonnie Lysyk rejette également l’argument de la Laurentienne selon lequel les couts du corps professoral auraient été excessifs. Son analyse conclut que les «couts généraux du corps professoral de la Laurentienne ne dépassaient pas de façon significative ceux des universités comparables».
Elle observe cependant qu’entre 2010 et 2020, les frais associés à la haute direction ont augmenté d’environ 75 % pour atteindre plus de 4 millions $ par année. La taille de l’administration était alors constamment plus importante que celles d’autres universités de taille comparable en Ontario.
La vérificatrice générale fait également état de pratiques d’embauches non transparentes, une conclusion qui rejoint celle des rapports du NOUS Group parus en mars 2022.
À lire aussi : Trop de monde, pas assez de règles (Le Voyageur)
Le Conseil des gouverneurs, de son côté, n’a pas fait les démarches pour avoir toutes les données afin de bien comprendre et d’évaluer les questions financières. Ses comités n’ont pas rempli leur rôle, constate Bonnie Lysyk. Elle dénonce trop de réunions à huis clos ainsi que la participation de certains membres du Conseil «à des discussions et à des décisions comportant des répercussions personnelles ou professionnelles pour eux, ce qui soulevait des préoccupations en matière de conflits d’intérêts».

Dette totale de la Laurentienne, 2009 à 2021.
Des problèmes de longue date
Le rapport préliminaire ne nie pas l’influence de la COVID-19 et du gel des droits de scolarité depuis 2019-2020 sur la situation financière de la Laurentienne, mais indique que les indices de difficultés financières remontent aussi loin que 2009.
Cette année-là, un plan a été mis en place pour réduire les dépenses. Le nouveau président est entré en poste en 2009 — il n’est pas nommé dans le rapport, mais Dominic Giroux est devenu recteur le 1er avril 2009 — et a lancé le plan de modernisation et d’expansion qui a fait augmenter la dette.
La vérificatrice générale indique ainsi avoir établi «que la cause principale de la détérioration de la situation financière de l’université de 2010 à 2020 était le maintien de dépenses en immobilisations peu réfléchies».
La dette à long terme de l’Université a ainsi grimpé à 87 millions $. En 2016, la Banque Royale du Canada a refusé de l’augmenter, à la suite de quoi l’Université est allée chercher des lignes de crédit à court terme pour financer l’augmentation de son capital.
«Au fur et à mesure que l’accès au financement diminuait, l’université a accéléré l’utilisation des fonds destinés à d’autres fins, comme les prestations de santé des employés et les fonds destinés expressément aux projets de recherche universitaire», constate Bonnie Lysyk.
Les projets étaient lancés avec l’espoir d’attirer plus d’étudiants, sans mécanisme d’évaluation de la valeur des plans et des risques liés à la croissance rapide de la dette. Malgré les investissements, avant la LACC, la Laurentienne évaluait être en retard de 135 millions $ sur les réparations nécessaires sur le campus.
À lire aussi : Un projet de loi pour empêcher un «deuxième cas Laurentienne»
La part du gouvernement
Le ministère des Collèges et Universités est également écorché dans le rapport. Il «n’est pas intervenu de façon proactive en temps opportun pour conseiller la Laurentienne afin de l’aider à ralentir sa détérioration financière qui s’aggrave, voire à intervenir à cet égard», déplore la vérificatrice générale.
Elle estime qu’il aurait pu agir dès 2014-2015, époque à laquelle le ministère a commencé à surveiller la situation financière des universités, mais que des «lacunes dans l’approche ministérielle en matière de surveillance des universités en Ontario ont empêché les fonctionnaires de reconnaitre pleinement et de régler les graves problèmes financiers auxquels la Laurentienne est confrontée».
À lire aussi : La province intervient finalement pour aider la Laurentienne
Même si le ministère s’était montré plus proactif, il est probable que l’Université ne lui en aurait pas donné l’occasion. Selon la vérificatrice générale, la demande d’aide financière de la Laurentienne faite en décembre 2020 n’était pas assez précise et s’adressait au ministre au lieu de «travailler plus tôt et de façon plus transparente avec le personnel du ministère».
Le gouvernement a également négligé d’évaluer les répercussions de ses décisions financières sur les universités, alors qu’il a la responsabilité d’en tenir compte.