En raison de la pandémie, la célébration sera pour l’instant limitée à l’école, ses élèves et son personnel. Un rassemblement sera organisé en avant-midi pour l’ouverture d’une capsule temporelle qui a été encastrée dans un mur de l’école lors de sa construction.
Ce n’est toutefois que partie remise pour une plus grande fête : par courriel, l’agente du markéting et des communications du Conseil scolaire catholique Franco-Nord, Jacqueline Lévesque, confirme qu’une célébration communautaire est en préparation pour le mois de mai. Si la situation sanitaire le permet, ce «jalon important de l’histoire de la francophonie ontarienne» recevra la célébration qu’il mérite, assure-t-elle.
Pendant que d’autres écoles francophones ouvraient leurs portes dans la région – Rivière-des-Français (1966), Félix-Ricard (1971), Macdonald-Cartier (1969), etc. –, les francophones de Sturgeon Falls ont dû se battre pour obtenir leur école secondaire francophone.
Ils étaient pourtant majoritaires dans l’agglomération et dans l’école Sturgeon Falls Secondary School ; en 1971, 1300 des 1800 élèves étaient francophones dans une école construite pour 1500 élèves.
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Souvenirs d’une finissante
Denise Truax était en 13e année à Sturgeon Falls en 1971. Même si l’année avait commencé sous le toit de l’école Sturgeon Falls Secondary School, son diplôme d’études secondaires indique bien qu’elle est diplômée de l’école secondaire Franco-Cité. La transition s’est donc faite avant même la construction de l’édifice.
Avant la 11e année, elle fréquentait le couvent Notre-Dame-de-Lourdes, aussi à Sturgeon Falls. Elle a fait partie des dernières filles qui ont suivi leurs cours avec les sœurs avant sa fermeture. Cette transition lui a permis de rapidement constater les côtés négatifs des écoles bilingues.

Denise Truax a obtenu son diplôme d’études secondaires de l’école secondaire Franco-Cité.
Elle était déjà bilingue, mais ce n’était pas le cas de toutes les autres filles qui vivaient dans des milieux entièrement francophones, comme Verner, Lavigne ou Field. Pourtant, tout le monde était traité au même niveau dans cette école où il y avait seulement trois matières enseignées en français. «Je me souviens qu’elles ont fait rire d’elles, c’était vraiment désagréable», raconte Denise Truax.
Le mouvement de revendication avait commencé quelques années auparavant, avec des journées de grève. À l’automne 1971, les manifestations — préparées au cours de l’été — ont plutôt duré près de deux semaines, «du premier jour d’école à quelque temps la semaine suivante», se souvient celle qui est aujourd’hui codirectrice générale et directrice de l’édition aux Éditions Prise de parole.
Ça a été un moment d’éveil pour moi. Tout à coup, je me suis retrouvée à passer du temps uniquement en français, ce qui était devenu moins commun dans ma vie parce qu’on était au high school. Je me suis aperçue qu’il y avait des trous dans mon vocabulaire.
Souvenir d’un petit nouveau
Eugène Serré avait 14 ans et entrait en 9e année en 1971. Ça ne l’a pas empêché de suivre l’exemple de ses frères plus vieux et de participer à l’occupation de l’école et à la défense de ses amis.
Le jour de la rentrée, «j’ai été à l’école sans me douter de rien. J’ai pris l’autobus comme d’habitude, mais quand je suis arrivé à l’école, il y avait du monde partout. Mon père était sur un camion et encourageait les élèves. Mes frères Marcel et Claude bloquaient les entrées» pour empêcher les enseignants d’entrer.
«C’est là que la grève a commencé pour de bon», ajoute-t-il.
À l’assaut
Les premiers jours, les élèves étaient à l’extérieur de l’école. Des policiers avaient été postés à chaque porte pour que les élèves anglophones puissent poursuivre leur année scolaire.
Quelques jours plus tard, ils ont eu la visite d’étudiants de Sudbury venus présenter la pièce de théâtre Ti-Jean fin voleur aux grévistes. C’était la diversion parfaite.
«Le mot d’ordre avait été donné qu’à la fin du spectacle, on allait tous se précipiter sur une porte avec un pauvre policier… ou deux. Ils se sont rendu compte que c’était mieux de nous laisser entrer!» illustre Denise Truax.
Les élèves ont passé trois ou quatre jours dans l’école. Les parents faisaient les chaperons et apportaient à manger.
Eugène Serré garde de bons souvenirs des jours d’occupation de l’école : «C’était comme une fête!»
Les policiers les surveillent de loin, mais n’intervenaient pas. Il se souvient aussi de l’arrivée des gens d’Ottawa qui avaient fait la route pour venir les encourager.
Après environ deux semaines, la création de la Commission ministérielle sur l’éducation secondaire en langue française ou Commission Symons — en pleine campagne électorale provinciale de surcroit — a convaincu les élèves de rentrer en classe.

Les élèves grévistes devant la Sturgeon Falls Secondary School en septembre 1971.
«On avait vraiment l’impression à ce moment-là qu’on pouvait avoir confiance. Qu’on avait été entendu et que ça allait aller dans le bon sens», relate Mme Truax.
Cohabitations difficiles
Aussi bien Denise Truax qu’Eugène Serré font allusion aux orangistes comme l’une des forces qui s’opposait au désir des francophones d’avoir leur propre école.
Cette idéologie venue d’Irlande met de l’avant les valeurs du protestantisme et la suprématie de l’Empire britannique. Au Canada, ces valeurs ont pris la forme d’une opposition à la présence catholique, majoritairement francophone, en Amérique du Nord.
Les francophones étaient toutefois tout aussi bien représentés, croit Eugène Serré : «Ce n’était pas juste rag tag [désorganisé, NDLR]. Il y avait une élite professionnelle qui travaillait avec nous autres. Le docteur Gervais, il mettait sa pratique en [jeu]. Ces gens-là prenaient une grosse chance.»
Denise Truax se souvient que l’atmosphère à Sturgeon Falls était lourde depuis un an ou deux déjà, en raison de la demande des francophones. Les journaux anglophones créaient un climat de peur en affirmant que le moulin allait fermer si une nouvelle école devait être construite.
Même sans cette désinformation, les anglophones ne comprenaient pas ce besoin exprimé par les francophones.
Ç’a été une gestion difficile. Je me souviens de longues conversations, des fois tard le soir, à tenter d’expliquer que ce que l’on voulait, ce n’était pas contre quelque chose et que ça n’allait rien détruire.
«Ce qui était incompréhensible pour nous, c’était qu’il y avait une école où déjà il n’y avait pas assez de place. Déjà, il fallait qu’il y ait de la construction», ajoute-t-elle.
Mme Truax se souvient de cours dans des classes portatives mal chauffées en hiver. «On se disait : “Pourquoi il ne pourrait pas y avoir une plus petite école pour les anglophones?”»
La cohabitation dans l’école n’était pas plus calme. «Ce n’était pas amical du tout, se souvient Eugène Serré. Il y avait tout le temps des bagarres.»
Il s’est lui-même interposé entre des anglophones plus âgés qui s’en prenaient à des jeunes francophones de Verner. «Des p’tits gars qui n’étaient pas capables de se défendre. La cohabitation ne marchait pas.»
Les parents de la famille Serré s’étaient engagés dans la cause, probablement parce qu’ils avaient connu le Règlement 17, avance Eugène Serré :
C’était omniprésent dans le foyer. On était militants pour notre langue.
Cette forte identité francophone, mais aussi leurs racines autochtones, ils en parlaient entre eux, mais «ça ne sortait pas de la maison […] On voyait l’abus que d’autres gens subissaient à cause de ça».
La victoire
Finalement, avant même la fin des travaux de la Commission Symons, le conseil scolaire de Nipissing accorde une école homogène aux francophones de Sturgeon Falls.
Le cout de construction étant une des raisons du refus, le gouvernement provincial avait promis de la financer.
«Je me souviens d’un grand soulagement et du sentiment d’une victoire», affirme Denise Truax.
«C’était la jubilation, illustre Eugène Serré. Wayne Gretzky n’était pas plus content quand il a gagné sa première coupe Stanley. Surtout que c’était notre droit!»