Réjean Grenier en était à sa dernière année d’étude et était vice-président français de l’Association générale des étudiants (AGE) à la Laurentienne en 1973. Il apprend que l’institution tient des rencontres avec de nombreux intervenants pour la conception d’un plan quinquennal.
Professeurs, syndicats, employés, communautés anglophone et francophone… mais pas les étudiants. Pourtant, l’université «c’est pour et par nous», rappelle-t-il.
Mécontent de cette omission, il propose à une réunion de l’AGE de tenir une discussion pour tous les étudiants «pour dire à l’université comment on voit l’avenir». Cependant, la proposition est rejetée — surtout par les représentants anglophones — sous prétexte que, rendus au mois de mars, les étudiants sont trop occupés en raison de la fin de la session.
Après la réunion, le président de l’AGE, Yvon Lachapelle, propose à un Réjean Grenier encore plus en colère d’organiser lui-même quelque chose pour les étudiants francophones avec son budget de vice-président.
Réjean Grenier rassemble quelques étudiants qu’il sait plus engagés dans la francophonie. Les intentions étaient bonnes, mais les discussions tournaient en rond. Quelqu’un suggère alors d’inviter le professeur Fernand Dorais à diriger la conversation.
En deux semaines – et une semaine avant la tenue de Franco-Parole – le groupe avait publié un document dans la publication Réactions pour expliquer le fonctionnement de l’Université : l’organigramme, conseil des gouverneurs, sénat, les comités, missions mandats…
«On s’est aperçu que même nous on ne savait pas comment ça marchait, une université», relate Réjean Grenier. Avant de leur dire quoi faire, il fallait comprendre.
Le vendredi de la première journée de discussion, certains professeurs francophones ont accepté d’annuler leur cours du vendredi pour laisser les étudiants participer. Le colloque a duré deux jours.
Le congrès a confirmé que les francophones ne trouvaient pas leur place à l’intérieur de l’université bilingue, mais aucune des 127 résolutions ne suggérait la création d’une université.
On n’a pas proposé une université de langue française. On a proposé la dualité à l’intérieur de l’Université Laurentienne. Un sénat francophone, toute une structure hiérarchique francophone.
D’autres recommandations touchaient aux compétences des professeurs, par exemple.
«C’était une mouvance identitaire», illustre Réjean Grenier. Franco-Parole a été le penchant politique. La première Nuit sur l’étang, organisée comme évènement de clôture de Franco-Parole, a été le penchant culturel. Réjean Grenier et d’autres, dont Gaston Tremblay, avaient suivi la suggestion de Fernand Dorais d’ajouter «un peu de fun» à l’opération et ont créé «Une Nuit sur l’étang».
Le travail des étudiants n’a pas été totalement ignoré, raconte Réjean Grenier. Peu de temps après, l’université créait le comité de bilinguisme — qui a, en revanche, pris du temps à se mettre en marche — et la création de l’Association des étudiants francophones est aussi une des conséquences de Franco-Parole.
Franco-Parole II
La portée de Franco-Parole II était beaucoup plus large et visait directement la question de l’autonomie. En 1991, les Franco-Ontariens n’avaient toujours pas le contrôle de leur éducation.
Les conseils scolaires et les collèges de langue française n’existaient pas. L’ACFO du grand Sudbury se donne alors le mandat d’organiser un colloque pour faire l’état des lieux de l’éducation universitaire par et pour les francophones.
Les organisateurs se sont ouvertement inspirés du premier Franco-Parole et voulaient toucher les mêmes thèmes. D’ailleurs, au lieu de la Nuit sur l’étang comme activité de clôture, les participants ont eu droit à La Brunante.
Arrivée depuis peu à Sudbury, Renée Champagne travaille pour l’ACFO et reçoit la mission de mener la consultation. «On avait le sentiment que l’appétit était là, mais on devait le confirmer», dit-elle.
J’ai eu le bonheur de faire la tournée préparatoire avec Gaëtan Gervais. D’Espanola à Sturgeon Falls. Partout dans le Grand Sudbury. On a rencontré des gens de tous les paliers de la communauté, autant du secteur des affaires que du côté culturel, de l’éducation…
Les préoccupations face à l’université bilingue étaient déjà importantes à l’époque, confirme Mme Champagne. Ils ont eu des commentaires sur le manque de service en français, le manque de développement de programmes et de services et du peu de recherche en français.
Un article publié dans Le Voyageur du 30 octobre 1991 indique que 150 personnes ont participé au colloque, dont de nombreux jeunes du secondaire. «Ce que les participants ont bien dit, c’est que les gens réclamaient l’autonomie, l’autogestion, s’approprier la gouvernance et créer un milieu de vie francophone dans une université de langue française.»
L’article publié dans Le Voyageur résume que les décisions incluaient la création d’un bureau pour créer des campagnes de sensibilisation, une demande d’appui à l’ACFO provinciale et le transfert des nouveaux fonds pour les programmes en français à cette éventuelle université.
Les ardeurs des organisateurs ont cependant été refroidies par le ministre délégué aux Affaires francophones à l’époque. «Ils nous avaient pris de côté pour nous dire : “Écoutez, commencez donc par le réseau collégial, ensuite on va parler du dossier universitaire”.»
Les constats étaient les mêmes dans les collèges bilingues, concède Renée Champagne. «C’est un peu à cause du vouloir politique du temps que le dossier universitaire a été mis sur la tablette. Mais on a assisté à la création des collèges.»
«Ce qui frappe, c’est que ça fait 30 ans de ça et là on se retrouve devant une catastrophe», ajoute-t-elle en faisant référence aux compressions importantes dans les programmes francophones, annoncées par la Laurentienne en avril.
Aussi bien Réjean Grenier que Renée Champagne sont déçus que l’on doive organiser un troisième Franco-Parole.