Si le projet de loi 96 est adopté, la mesure s’appliquera selon des critères bien précis : le programme d’études devra être donné en français et ne pas être offert dans la province ou le territoire d’origine de l’étudiant. Au moment de son admission, l’étudiant devra avoir une connaissance suffisante du français pour suivre «avec succès» ce programme.
Par exemple, un jeune Fransaskois qui souhaiterait poursuivre des études en théâtre en français paierait trois fois moins cher pour étudier au Québec qu’en Ontario ou au Nouveau-Brunswick. Par contre, les étudiants néobrunswickois ou franco-ontariens n’auraient pas accès à cette réduction parce que des programmes de théâtre sont offerts en français dans leurs provinces.
Simon Paquette est président de l’Association des étudiantes et étudiants francophones de l’Université Laurentienne (AEF). Affecté par les coupes à l’Université Laurentienne, il accueille favorablement la proposition québécoise.
Il est clair que le gouvernement de l’Ontario ne veut plus de nous [les étudiants francophones]. Il y a quelques mois, ma réponse à cette annonce aurait été différente, mais actuellement, je n’ai plus la force de me battre ; c’est épuisant, c’est ridicule, je ne comprends même pas que je doive encore continuer à le faire.

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Des risques importants à considérer
François Hastir, directeur général du Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO), tient à soulever les possibles effets pervers de cette disposition du projet de loi.
«Là où on veut être prudent, c’est qu’on ne veut pas que ça devienne une opportunité pour les provinces ou les institutions de sous-financer ou retirer le financement dans l’offre de programme en français», dit-il.
Un deuxième enjeu, selon François Hastir, est que les établissements universitaires mettent volontairement de côté des programmes en français : «On pourrait assister à un recul dans les décisions des institutions. L’Université d’Ottawa, par exemple, pourrait dire, moi, je ferme mon programme, de toute façon les gens peuvent aller au Québec, c’est juste à côté.»

La présidente de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA), Sheila Risbud, abonde dans le même sens. Elle déplore aussi que le Québec n’ait pas pris en compte distinctement la réalité de chaque communauté avant de faire la proposition dans le projet de loi 96.
«Une consultation aurait été nécessaire […] Notre réalité en Alberta est très différente de celles de l’Ontario ou du Nouveau-Brunswick. Nos institutions sont dans un moment critique. On se bat pour sauver notre seule institution», souligne-t-elle en faisant référence au Campus Saint-Jean.
Depuis les compressions en éducation postsecondaire en Alberta en 2019, le Campus Saint-Jean doit composer avec un sous-financement.
En tant que francophones, nous vivons beaucoup de mépris de la part des anglophones. Avec cette disposition du projet de loi, le gouvernement [albertain] pourrait trouver simplement une excuse pour ne plus investir, en disant : “Vous n’avez qu’à aller au Québec”.

Toujours selon Sheila Risbud, cette disposition du projet de loi ne ferait que fragiliser la francophonie albertaine.
«En Alberta, nous sommes déjà dans une situation critique. Le Campus Saint-Jean est le pilier de notre communauté. Des situations comme ça ne sont pas favorables à notre communauté. Est-ce favorable pour une province qui a un partenariat plus développé avec son gouvernement? Peut-être!» renchérit-elle.
Aller au Québec en dernier recours
Pour Alexandre Cédric Doucet, président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), la balle est dans le camp du fédéral.
«Il est certain que le Québec a été opportuniste, car il a vu que les institutions postsecondaires francophones en milieu minoritaire ont des problèmes […] Ça reste un bon pas dans la bonne direction, mais on va attendre maintenant de voir au niveau fédéral. Le leadeur en matière de langue officielle, c’est le fédéral», déclare-t-il.

À l’aube du Sommet sur le rapprochement des francophonies canadiennes, qui se tiendra du 12 au 17 juin 2021, Sheila Risbud de l’ACFA souhaiterait discuter avec le ministre québécois responsable de la langue française, Simon Jolin-Barrette, dans le but de lui faire quelques suggestions qui pourraient être plus profitables pour les Franco-Albertains.
«Si le Québec veut vraiment travailler avec des francophones hors Québec sur des enjeux postsecondaires, ça serait d’identifier des disciplines où justement nous n’avons pas de programmes — comme l’orthophonie — en s’assurant que les étudiants reviennent ici [en Alberta] […] Il faut investir dans des programmes qui répondront à la main-d’œuvre nécessaire dans la communauté, pourquoi ne pas faire des projets pilotes?» propose-t-elle.
Selon François Hastir du RÉFO, malgré l’offre du Québec, les étudiants préféreront toujours étudier dans leur province d’origine.
«D’après les témoignages que nous avons, surtout après le dossier de la résistance avec l’Université de l’Ontario français en 2018, il y a beaucoup d’étudiants qui veulent rester chez eux. Il faut plutôt que les gouvernements investissent dans l’éducation en français. Aller au Québec doit être une solution de dernier recours», conclut-il.