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le Mardi 3 novembre 2020 10:07 Éducation

Pénurie d’enseignants francophones à l’Î.-P.-É. : «Nous sommes trop souvent vus comme une dépense»

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Dans la province, le baccalauréat en éducation en français offert par l’Université de l’Î.-P.-É. (UPEI), qui peut former jusqu’à trente étudiants par an, ne suffit pas à couvrir les besoins des écoles. — Martin Cathrae - Wikimedia Commons
Dans la province, le baccalauréat en éducation en français offert par l’Université de l’Î.-P.-É. (UPEI), qui peut former jusqu’à trente étudiants par an, ne suffit pas à couvrir les besoins des écoles.
Martin Cathrae - Wikimedia Commons
INITIATIVE DE JOURNALISME LOCAL (Atlantique) – Alors que les écoles de langue française de l’Île-du-Prince-Édouard sont confrontées à une pénurie d’enseignants, la campagne Enseigner, ça me parle, lancée au niveau national, veut revaloriser la profession et donner envie aux jeunes de faire ce métier.
Pénurie d’enseignants francophones à l’Î.-P.-É. : «Nous sommes trop souvent vus comme une dépense»
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La Commission scolaire de langue française (CSLF) de l’Î.-P.-É. a une nouvelle fois relevé le défi. À la rentrée 2020, aucun enseignant ne manquait à l’appel, la centaine de postes dans les six écoles de la province était pourvue. 

«On souffle enfin, mais des congés maternité s’en viennent en 2021. On est constamment en mode recherche», reconnait François Rouleau, directeur général de la CSLF. Dans les classes d’immersion et de français de base, tous les postes sont également pourvus.

Les écoles françaises de l’Ile attirent de plus en plus d’élèves, d’où le besoin grandissant d’enseignants chaque année. Et chaque année, la pénurie se fait sentir. «En général, on y arrive. Mais on aimerait avoir plus de candidats», admet René Hurtubise, directeur des programmes et des services en français au ministère de l’Éducation.

À l’échelle du pays, ce sont près de 12 500 postes qui seront à combler d’ici cinq ans «pour assurer des communautés francophones bien vivantes hors du Québec», souligne Anne Vinet-Roy de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants (FCE).

Courtoisie

Démographie, compétition et régions rurales

La priorité à l’Île-du-Prince-Édouard est désormais de trouver des professeurs suppléants. «C’est vraiment difficile, surtout dans des régions comme Prince-Ouest ou Souris», détaille René Hurtubise. 

«Des enseignants à la retraite se mettent à notre disposition», ajoute François Rouleau. À l’heure de la pandémie, cette question des remplaçants est cruciale, même s’il n’y a pas plus d’absentéisme à cause de la COVID-19, à en croire François Rouleau. 

«Les congés maladie sont même en baisse. Mais on reste prudent, on craint toujours que le virus arrive et augmente nos besoins en suppléance», complète René Hurtubise. La CSLF réfléchit ainsi au moyen d’assurer des contrats quotidiens aux suppléants.

Comment expliquer de telles difficultés de recrutement? Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. La démographie tout d’abord, avec une population vieillissante et moins de jeunes qui entrent sur le marché du travail. Selon le directeur de la CLSF, le faible nombre de finissants capables de travailler en français après leurs études joue également. Sans oublier la compétition avec les autres provinces où la demande est tout aussi élevée.

Le problème de recrutement est accru dans les régions rurales et dans certaines matières comme les sciences, la musique ou l’adaptation scolaire.

— René Hurtubise, directeur des programmes et des services en français au ministère de l’Éducation

Pas assez d’étudiants en français à l’UPEI

Surtout, aux yeux d’Anne Vinet-Roy, l’image de la profession s’est dégradée ces dix dernières années. «On exige de plus de plus des enseignants, leurs responsabilités s’accroissent, et dans le même temps, ils sont moins respectés», regrette la membre de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants.

Nous sommes trop souvent vus comme une dépense, on nous enlève des ressources en nous demandant d’effectuer le même travail.

— Anne Vinet-Roy, porte-parole de la campagne nationale Enseigner, ça me parle

Pour revaloriser le métier et encourager les étudiants à choisir cette filière, la Fédération vient de lancer la campagne Enseigner, ça me parle. À travers des capsules vidéos humoristiques et des témoignages, cette opération de communication, destinée aux 15-24 ans, veut changer les regards et redonner de la fierté aux enseignants en contexte minoritaire.

Dans la province, le baccalauréat en éducation en français offert par l’Université de l’Î.-P.-É. (UPEI), qui peut former jusqu’à trente étudiants par an, ne suffit pas à couvrir les besoins des écoles. «Et le nombre d’inscriptions pour 2021 est vraiment bas», s’inquiète René Hurtubise. 

«Nos étudiants pensent trop souvent qu’ils n’ont pas les compétences pour faire ce bac, c’est à nous de leur donner confiance dans leur français», ajoute le responsable, qui souhaite notamment développer les stages à l’international dans des communautés francophones.

Recruter au pays et à l’international

Pour pallier le manque, le ministère de l’Éducation et la CSLF recrutent de futurs enseignants dans d’autres universités canadiennes et se tournent même vers l’international. «Ça n’a encore jamais été fait, mais on aimerait être visible à l’étranger, aller chercher des enseignants dans d’autres pays francophones», explique François Rouleau.

Courtoisie

Pour le moment, l’équivalence des diplômes requise pour exercer dans la province reste un frein.

C’est plus facile de faire venir un étudiant international à l’UPEI qu’un professeur diplômé d’un pays étranger.

— René Hurtubise, directeur des programmes et des services en français au ministère de l’Éducation

Le ministère travaille actuellement avec la CSLF à l’établissement d’un plan de recrutement et à la création d’une campagne promotionnelle. Le projet, financé par le gouvernement fédéral, s’intéresse aussi à un autre enjeu : la capacité à retenir les enseignants sur le long terme. «Il faut leur offrir suffisamment d’appui. Beaucoup trop abandonnent au cours des cinq premières années», déplore Anne Vinet-Roy.

Marine Ernoult

Journaliste

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