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le Samedi 14 mars 2020 10:53 Éducation

30 ans plus tard, l’héritage incroyable de l’arrêt Mahé

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En 1990, la Cour suprême du Canada, dans une décision unanime, statuait que les minorités de langues officielles du pays avaient le droit de gérer elles-mêmes leurs écoles. — Shankar S. - Flickr
En 1990, la Cour suprême du Canada, dans une décision unanime, statuait que les minorités de langues officielles du pays avaient le droit de gérer elles-mêmes leurs écoles.
Shankar S. - Flickr
FRANCOPRESSE – L’arrêt Mahé. C’est le jugement qui a «tout changé» pour les minorités francophones du Canada en quête d’une éducation en français, cruciale pour leur survie linguistique.
30 ans plus tard, l’héritage incroyable de l’arrêt Mahé
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En 1990, la Cour suprême du Canada, dans une décision unanime, statuait que les minorités de langues officielles du pays avaient le droit de gérer elles-mêmes leurs écoles.

Ce fut ni plus ni moins qu’une révolution pour les droits des francophones en situation minoritaire du Canada.

«Ça nous donne une force. On a du financement, on est mieux organisés», souligne le président de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones (FNCSF), Louis Arseneault.

Le mot «force» est peut-être même faible. Lors de cette épopée juridique, Jean-Claude Mahé et les autres demandeurs défendaient depuis 1983 le droit pour les francophones de gérer l’école Maurice-Lavallée d’Edmonton, alors la seule école de langue française en Alberta.

Trente ans après l’arrêt Mahé, les Franco-Albertains peuvent compter sur 42 écoles abritant 8800 élèves et qui sont gérées par quatre conseils scolaires francophones.

Dans l’ensemble de la francophonie en situation minoritaire, au Canada, l’héritage de l’arrêt Mahé est de près de 30 conseils scolaires – qui régissent 712 écoles – et 170 000 élèves.

À lire aussi : La décision du juge en chef Wagner réaffirme l’importance des droits linguistiques

«Un peu ambigu», avait reconnu Chrétien

Le cœur de la cause reposait sur l’article 23 de la Charte des droits et libertés incluse dans la Constitution canadienne adoptée en 1982. L’article stipule que les francophones, «lorsque le nombre le justifie», ont le droit à l’instruction en français partout au pays.

Il s’agissait surtout d’interpréter le passage qui souligne que ce droit à l’éducation en français «comprend, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans des établissements d’enseignement de la minorité linguistique financés sur les fonds publics.»

Il fallait donc déterminer si «établissements d’enseignement de la minorité» pouvait être compris comme signifiant la gestion de ces établissements. Selon le constitutionnaliste et professeur de droit à l’Université d’Ottawa Pierre Foucher, ce n’était pas gagné d’avance.

Ou bien tu lisais la Charte de manière littérale puis tu disais : c’est pas là, donc ça existe pas. Ou bien tu l’interprétais libéralement, largement, et tu disais : c’est pas écrit, mais si c’est pas là, ça n’a pas de sens.

— Pierre Foucher, constitutionnaliste et professeur de droit à l’Université d’Ottawa

L’ancien juge à la Cour suprême du Canada Michel Bastarache et l’avocat principal de la cause Mahé avaient également participé aux discussions sur la rédaction de l’article 23. Il avait demandé à l’époque qu’on inscrive clairement le droit à la gestion scolaire dans la Constitution canadienne.

«C’était Jean Chrétien qui était ministre de la Justice à ce moment-là et il a dit : “Je sais que c’est peu ambigu, mais tout ça, c’est contextuel et on va laisser les tribunaux en décider”», explique Michel Bastarache.

Et cela a été l’un de ses arguments pour convaincre la Cour suprême que les mots «de la minorité» (la nuance n’existait pas dans la version anglaise de la Charte) impliquaient la gestion des écoles. «On avait aussi des témoins qu’on avait amenés devant la Cour qui ont fait valoir que sans la gestion scolaire, on allait être perpétuellement en chicane et qu’on n’aurait jamais un système où les deux communautés linguistiques seraient traitées de façon égale», ajoute-t-il.

Courtoisie

Une décision unanime

Et c’est unanimement que la Cour suprême du Canada, le 15 mars 1990, a donné raison aux demandeurs et a rendu cette décision historique.

Ayant pris sa retraite quelques mois plus tard, c’est le juge en chef de la Cour, Brian Dickson, qui a rédigé l’arrêt Mahé. Son message était clair : «Si l’article 23 doit redresser les injustices du passé et garantir qu’elles ne se répètent pas dans l’avenir, il importe que les minorités linguistiques aient une certaine mesure de contrôle sur les établissements d’enseignement qui leur sont destinés et sur l’instruction dans leur langue.»

Le juge Dickson est allé assez loin en énumérant cinq pouvoirs «exclusifs» que la minorité doit exercer dans la gestion scolaire : les dépenses de l’instruction, la nomination et la responsabilité de l’administration, l’établissement des programmes scolaires, le recrutement du personnel enseignant et la conclusion d’accords pour l’enseignement et les services aux élèves.

La gestion et le contrôle étaient d’une importance vitale pour le juge Dickson. «Je tiens pour incontestable que la vigueur et la survie de la langue et de la culture de la minorité peuvent être touchées de façons subtiles, mais importantes par les décisions prises sur ces questions», a-t-il écrit dans l’arrêt.

Les luttes pour le degré de gestion et l’égalité des institutions ne sont pas terminées pour autant, comme en fait foi la cause des francophones de la Colombie-Britannique entendue l’automne dernier par la Cour suprême du Canada. Cette cause sera déterminante pour le financement adéquat des écoles en milieu minoritaire francophone.

Marc Poirier

Journaliste

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