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le Jeudi 28 mai 2020 10:33 Économie et finances

L’industrie touristique en Atlantique : entre espoir et résignation

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Caraquet, Nouveau-Brunswick. — Antoine Julien – Unsplash
Caraquet, Nouveau-Brunswick.
Antoine Julien – Unsplash
Les acteurs du tourisme dans les quatre provinces de l’Atlantique attendent avec impatience que les Canadiens puissent se déplacer. Mais la clientèle pourrait être exclusivement locale cet été. Certains y voient une solution, d’autres un pis-aller.
L’industrie touristique en Atlantique : entre espoir et résignation
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«C’est une catastrophe.» Si 2020 était une année normale, Erika Pardy s’apprêterait à recevoir des touristes américains, québécois ou ontariens au Rose Manor Inn, à Terre-Neuve-et-Labrador (T.-N.-L.). Cette année, elle espère avoir quelques clients de Saint-Jean : «Je ne suis qu’à une heure.»

Deborah Bourden est tout aussi inquiète. «Nous avons perdu mars et avril, nous allons perdre mai, et toutes nos réservations de juin sont annulées», souligne la gérante de l’Anchor Inn et de trois autres entreprises à Twillingate, tout au bout du nord de l’ile de Terre-Neuve. «On pourrait ne pas avoir de saison du tout.» La province compte plus de 260 cas de COVID-19, le second chiffre le plus haut parmi les provinces de l’Atlantique, et elle restreint encore les déplacements.

Même son de cloche en Nouvelle-Écosse. «C’est tellement difficile de prévoir», confie Elena Joseph. La gérante du Argyler Lodge à Lower Argyle, dans le sud-ouest de la province, près de Pubnico, n’a «aucune idée» de ce à quoi la saison va ressembler. D’ordinaire, elle ouvre jusqu’à fin octobre, puis à Noël, pour les locaux.

«On était sur un élan de grosse saison touristique», affirme Myriam Léger, directrice de la Commission du tourisme acadien du Canada atlantique (CTACA) (dont T.-N.-L. ne fait pas partie). «On avait le vent dans les voiles, ça nous a jeté les bras à terre.» 

À l’Île-du-Prince-Édouard (Î.-P.-É.), on estime à 5 300 les emplois perdus dans les secteurs de la restauration et de l’hébergement au mois de mai, soit 60 % de la main-d’œuvre concernée. Un scénario comparable semble se dessiner dans les autres provinces. «D’habitude, j’ai 46 employés, précise Deborah Bourden. Cette année, je devrais en avoir le quart environ. C’est un gros impact.»

Sébastian Voortman – Pexels

Miser sur le tourisme de proximité

Où qu’on soit en Atlantique, les responsables provinciaux semblent tout miser sur la clientèle locale pour sauver une saison plus que précaire. Le marketing est revu, de nouvelles publicités sont conçues. Au Nouveau-Brunswick (N.-B.), on a donné un nom à cette stratégie : «Espoir retrouvé».

Sur la page Facebook de Tourisme Nouveau-Brunswick, on voit passer ces derniers jours des images ou des vidéos accompagnées de messages rassurants : «Nous avons tous besoin d’une pause de temps à autre. Prenez tout le temps que vous voulez.» Ou encore : «Isolés maintenant, mais pas pour toujours.» 

Il s’agit de la première phase de cette nouvelle campagne, pour «inspirer et rassurer» selon Carol Alderdice, présidente et directrice générale de l’Association de l’industrie touristique du N.-B (AITNB). La suivante consistera à encourager les locaux à planifier leurs vacances dans la province ; la troisième, à aller la visiter.

En Nouvelle-Écosse, le mot-clic #WaitToVisitNovaScotia accompagne des vidéos de Tourisme Nouvelle-Écosse pour encourager les locaux à rester chez eux en attendant de visiter leur province. «Pour le moment, il y a beaucoup d’inconnus, notamment à savoir quand il sera sécuritaire de circuler», explique la conseillère en communications de l’organisme, Zandra Alexander.

«Personne n’a de boule de cristal, mais selon les sondages, les gens auront envie de voyager localement. Ils vont découvrir les bijoux qui les entourent et en devenir les ambassadeurs», s’enthousiasme Myriam Léger. La directrice de Tourisme Acadie table sur des petits trajets de deux, trois nuits maximum «parce que le sentiment de sécurité n’est pas installé». 

Carol Alderdice mise également sur cette stratégie pour «passer 2020», mais prévient : «Je ne sais pas si ce sera suffisant pour garder toutes les entreprises en vie.»

Elyse Turton – Unsplash

Le tourisme en mode survie

«Les chiffres ne tiennent pas», lance Steve Murphy, président de l’Association touristique de Cavendish Beach, sur la côte nord de l’Î.-P.-É., et patron de deux restaurants. 

L’Île attend en temps normal 1,6 million de touristes. Environ 8,4 millions de visiteurs sont venus au Nouveau-Brunswick en 2019. Il semble difficile de sauver une saison avec un dixième des clients potentiels. Pour attirer les locaux, les prix devront être ajustés et le service amélioré. «Nous avons normalement 120 jours pour faire l’année, explique Steve Murphy. Le vrai défi sera de survivre pour être en mesure de rouvrir l’année prochaine.»

Tim Foster – Unsplash

À Terre-Neuve, Deborah Burden «adore» cette idée du tourisme local, mais s’interroge : «Tout le monde a été touché. Beaucoup ont perdu leur emploi et n’auront pas d’argent pour voyager. Si nous ouvrons en juillet avec une clientèle locale, nous aurons seulement 20 % des revenus habituels.» Perdre de l’argent, Steve Murphy s’y attend, «mais moins que si nous n’ouvrons pas.»

Les provinces, dans l’ensemble, ont proposé les mêmes programmes d’aide sous forme de prêts. «C’est juste un autre fardeau à porter, déplore Erika Pardy du Rose Manor Inn. Où est-ce que nous allons trouver l’argent pour rembourser?» 

Un avis partagé par Deborah Burden qui évoque aussi la situation financière difficile de T.-N.-L. «Ça ne fonctionne pas pour les petites entreprises saisonnières, affirme-t-elle. Nous avons besoin d’aide directe, pas de report d’échéances ou de prêts. Nous sommes ceux qui souffrent, et les banques continuent à toucher des intérêts.»

Selon Myriam Léger, un autre défi sera de faire découvrir les richesses acadiennes aux anglophones, qui représentent la plus grande part de la clientèle potentielle. «Il y a des gens de Saint-Jean qui ne sont jamais venus sur la côte acadienne.» Cette année sera l’occasion idéale.