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le Dimanche 23 février 2025 8:40 Arts et culture

Antonine Maillet, «une pionnière» dans la libération de la langue française

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En 1979, Antonine Maillet reçoit le prix Goncourt pour Pélagie-la-Charrette. L’œuvre de la romancière a connu à la fois un succès littéraire et populaire.  — Photo : Marine Ernoult – Francopresse
En 1979, Antonine Maillet reçoit le prix Goncourt pour Pélagie-la-Charrette. L’œuvre de la romancière a connu à la fois un succès littéraire et populaire.
Photo : Marine Ernoult – Francopresse
FRANCOPRESSE – La romancière et dramaturge Antonine Maillet est décédée le 17 février dernier. Tout en donnant un nouveau souffle à la littérature acadienne, l’icône a permis à des générations d’auteurs et d’autrices de s’éloigner du français académique. Son influence se ressent jusque dans l’ouest du Canada.
Antonine Maillet, «une pionnière» dans la libération de la langue française
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«Antonine Maillet a possiblement créé un mouvement littéraire, c’est trop tôt pour le savoir. Mais elle reste une figure tutélaire de la littérature acadienne dont les legs sont emblématiques», affirme le metteur en scène et professeur au Département de théâtre de l’Université d’Ottawa, Joël Beddows.

Joël Beddows estime que tous les legs d’Antonine Maillet ne sont pas encore connus : «On a besoin de thèses pour analyser la portée et la spécificité de son œuvre.» 

Photo : Rémi Thériault

Le professeur de littérature à l’Université de Moncton, Benoît Doyon-Gosselin, n’hésite pas à évoquer «une pionnière dans la libération de la langue» : «Tout en abordant des thématiques universelles, elle a su se différencier en faisant passer l’oralité acadienne à l’écrit.»

«Elle a été la première à écrire dans la langue acadienne, elle a ouvert la voie et permis à de nouveaux auteurs de s’éloigner du français standard, d’être eux-mêmes», poursuit la professeure retraitée de l’Université de Moncton et spécialiste de l’œuvre d’Antonine Maillet, Marie-Linda Lord.

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De nouvelles maisons d’édition

Lorsque Antonine Maillet écrit son premier ouvrage, Pointe-aux-Coques, en 1958, aucun éditeur n’est présent en Acadie. Elle est obligée de se tourner vers le Québec pour le publier.

«Elle a donné un nouveau souffle à la littérature acadienne peu développée à l’époque», assure Marie-Linda Lord.

Pour Marie-Linda Lord, l’œuvre d’Antonine Maillet a permis de lutter contre l’insécurité linguistique : «Les gens se reconnaissent quand ils entendent La Sagouine, ça les a rendus fiers d’être francophones et acadiens.» 

Photo : Courtoisie

«Les écrivains qui l’ont suivie ont su briser le silence et prendre la parole. Des maisons d’édition se sont créées pour les publier et construire le projet acadien», complète-t-elle.

Les Éditions d’Acadie voient ainsi le jour en 1972, un an après la sortie de la pièce de théâtre d’Antonine Maillet La Sagouine. L’autrice inspire alors de jeunes poètes acadiens, qui reprennent notamment sa thématique de l’identité, abordée dans le monologue Le Recensement, un passage de la pièce.

«Elle est la première à affirmer et promouvoir l’identité acadienne dans la littérature. Il y a un message très fort et encore pertinent de nos jours», relève Marie-Linda Lord.

Quelques années plus tard, en 1979, Antonine Maillet reçoit le prix Goncourt pour Pélagie-la-Charrette. Une consécration, «extrêmement importante pour l’histoire littéraire», qui met également «l’Acadie sur la carte du monde francophone», souligne Benoît Doyon-Gosselin.

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Pas de «descendants pendant très longtemps»

Cette reconnaissance internationale n’a pas empêché l’émergence de certaines critiques. Des auteurs du Nouveau-Brunswick, comme Herménégilde Chiasson ou Gérald Leblanc, reprochent à Antonine Maillet d’être trop «exotisante et passéiste», explique Benoît Doyon-Gosselin.

«Paradoxalement, elle a ouvert beaucoup de portes à la francophonie alors que son univers n’est en rien moderne, appuie Joël Beddows. Elle donne une vision du passé fermée sur elle-même, folklorisée, incapable d’embrasser la modernité occidentale vers laquelle cheminait l’Acadie dans les années 1970.»

«Antonine Maillet n’a pas codifié l’oralité, elle a créé sa langue de fiction, c’est une construction littéraire. Les gens ne parlent pas comme ça», rappelle Benoît Doyon-Gosselin. 

Photo : Courtoisie

«Il n’y a pas de nostalgie, la critique du passé peut s’appliquer au contemporain», nuance Marie-Linda Lord.

À la suite d’Antonine Maillet, le chiac se fait progressivement une place dans la littérature. En 1973, Guy Arsenault publie Acadie Rock, le premier recueil de poésie dans ce dialecte mélangeant du vieux français, du français et de l’anglais. Près de 40 ans après, France Daigle est lauréate du Prix du Gouverneur général pour son roman Pour sûr, qui met lui aussi le chiac à l’honneur.

Pourtant, Joël Beddows estime pour sa part que la dramaturge et romancière n’a pas eu «d’émules et de descendants pendant très longtemps».

«C’est peut-être parce que son oralité était devenue la norme, il n’était plus possible d’explorer d’autres variétés de français. Si on voulait écrire en français plus normalisé ou haïtien par exemple, on n’avait pas le droit d’exister», avance-t-il.

Aux yeux de l’universitaire, le fait que plusieurs dramaturges marchent dans les traces d’Antonine Maillet est très récent. Il cite les Acadiens Emma Haché, Caroline Bélisle et Gabriel Robichaud. «Les figures de l’Évangéline, de la Sagouine et de Sainte-Anne-de-Kent reviennent dans leurs œuvres, ils s’intéressent aux mêmes questions philosophiques», analyse-t-il.

«Elle les a encouragés à pousser la porte de la norme»

Au-delà de l’Acadie, l’influence d’Antonine Maillet s’étend jusque dans l’ouest, où La Sagouine a largement circulé dans les théâtres et salles de spectacle.

«Les livres d’Antonine Maillet ont conscientisé les gens à différentes parlures et accents», affirme Lise Gaboury-Diallo. 

Photo : Courtoisie

«Ça a été mon premier contact avec elle quand j’étais étudiante au secondaire, confirme l’autrice et professeure à l’Université de Saint-Boniface, au Manitoba, Lise Gaboury-Diallo. Ses personnages féminins très forts m’ont beaucoup inspirée.»

Elle mentionne des auteurs comme le Franco-Manitobain Marc Prescott ou le Fransaskois Gilles Poulin-Denis qui «ont osé transcrire du franglais» : «Elle les a encouragés à pousser la porte de la norme, à faire revivre des parlers locaux.»

«On s’intéresse à l’œuvre d’Antonine Maillet dans tout le Canada, car c’est un modèle de réussite d’écrivain francophone en situation minoritaire», considère Marie-Linda Lord.

«On peut dire sans conteste que c’est la maman de la littérature et du théâtre acadiens, dont les œuvres perdureront encore longtemps, mais on ne sait pas si elle aura des enfants», ajoute Joël Beddows.

Quelle que soit la portée de son œuvre, Antonine Maillet a donné confiance à des générations d’écrivains et d’écrivaines dans la variété et les couleurs de leur langue.

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Type: Actualités

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Marine Ernoult

Journaliste

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