Les oubliées des Grands Lacs traite d’un sujet difficile : les viols de guerre. Joseph Bitamba n’a pas fait ce film pour accuser les agresseurs, mais pour donner la parole aux victimes.
«C’était un privilège de les écouter se confier», précise celui qui a éprouvé le besoin de sensibiliser à ces crimes qui sont davantage connus au Rwanda et dans l’Est du Congo, mais pas au Burundi, malgré leur ampleur.
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Le prix du Meilleur long métrage au Festival SIFA pour son film sert de vitrine à la cause de ces femmes. «On ne pourra plus dire qu’on ne savait pas», indique Joseph Bitamba.
Réapprendre à discuter calmement
Joseph Bitamba a été très inspiré par Carolyn McAskie, une diplomate canadienne envoyée par l’ONU en mission de paix au Burundi en 2003.
C’était important pour une société comme celle du Burundi de voir une femme aussi énergique prendre l’initiative. Elle incitait les Burundais au dialogue et à retrouver la tradition de la palabre : s’asseoir pour prendre le temps d’échanger des arguments.
En arrivant au Canada, Joseph Bitamba a habité un immeuble dont les résidents provenaient de 50 nationalités différentes. Les gens ne se comprenaient pas, car ils ne parlaient pas encore bien anglais, mais il n’y avait aucune tension. Cela l’a marqué.
«Le Canada a aussi connu des conflits, mais il a appris à les gérer. On s’assoit et on discute calmement, pour trouver des solutions pacifiques et vivre ensemble. Il faut que les jeunes Burundais réalisent qu’il y a une autre voie que la violence», dit-il.
L’art à impact social est thérapeutique

Les finalistes du Festival SIFA première édition 2022.
Thi Be Nguyen, cofondatrice du Festival SIFA avec Sean St-John, est aussi pétrie par les valeurs canadiennes de respect et d’inclusion. Elles l’ont accompagnée depuis qu’elle est arrivée à Montréal comme réfugiée, à l’âge de quatre ans.
Avec le Festival SIFA, elle veut mettre en valeur l’art qui sensibilise de façon positive, et qui invite à collaborer pour un changement constructif. Elle insiste sur le fait que, ce qui fonctionne, c’est de prendre le temps d’essayer de se comprendre les uns les autres, avec respect, plutôt que faire des revendications frontales et agressives.
Elle-même a utilisé l’art pour comprendre ses origines compliquées. Née au Laos d’une famille vietnamienne, passée par deux camps de réfugiés en Thaïlande, puis arrivée au Canada, elle avait très peu d’informations sur sa famille.
Elle a tenté de retrouver un sens à sa propre histoire grâce à celles des autres, en explorant la colonisation de l’Indochine et le drame des Boat People dans des documentaires.
«Il y a de la souffrance partout. Il faut faire preuve d’ouverture d’esprit sur les vies différentes des autres. Chacun a besoin de connaitre son histoire pour se donner la chance de guérir, et envisager une vie heureuse», dit-elle.
Un nouveau festival unique
Le Festival SIFA, qu’elle imaginait depuis des années et qui a été reporté deux fois en raison de la pandémie, a enfin pu avoir lieu à Montréal en juin 2022. En présentiel, et avec un volet en ligne.
Le Festival SIFA
- Des productions axées sur l’impact social, qui véhiculent un message.
- Toutes les formes d’art (musique, littérature, peinture, exposition, publicité) sont acceptées, de toutes les géographies (une cinquantaine de contributions internationales cette année).
- Les contenus d’organismes à but non lucratif (OBNL) sont valorisés. Ils sont peu connus en dehors de leur réseau alors qu’ils méritent d’être vus… Et que les OBNL sont en première ligne sur certains thèmes, selon Thi Be Nguyen.
Thi Be Nguyen travaille à une extension de la prochaine édition du festival au Vietnam en 2023, en plus du volet canadien prévu à l’été 2023. Elle s’enthousiasme de l’énergie et de l’engagement de la jeunesse vietnamienne pour les thématiques sociales qu’elle découvre.
Elle réfléchit aussi à étendre l’impact du festival avec une aide à la distribution des œuvres gagnantes au Canada et au Vietnam, ainsi qu’avec une redistribution d’une partie des recettes ou des collectes de fonds pour aider les causes présentées.
Améliorer les rapports humains
Joseph Bitamba a beaucoup aimé l’édition 2022 du Festival SIFA, qu’il a trouvée conviviale et professionnelle. «Je suis un habitué des festivals : on n’aurait pas pu dire que c’était une première édition», commente-t-il.
Après la pandémie, il a apprécié les contacts, ainsi que de découvrir d’autres façons de fonctionner et de travailler. «Je me nourris de toute rencontre. Dans ce cas, c’était inspirant de rencontrer d’autres artistes qui ont le courage de s’atteler aux sujets auxquels ils sont sensibles, avec leur regard propre. Surtout que dans le contexte de l’art à impact social, il s’agit toujours de chercher à améliorer les rapports humains.»
Il apprécie la communauté des arts dont il fait partie à Toronto (dont Le Labo), et il est très reconnaissant du soutien du Conseil des Arts de l’Ontario pour ses projets.
Joseph Bitamba se spécialise désormais dans les projets qui portent la voix des femmes, entre le Canada et l’Afrique. Le documentaire qu’il est en train de tourner parle de femmes autochtones au Canada et au Burundi, qui jouent du tambour alors que cela leur était interdit dans la société traditionnelle.