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le Dimanche 3 avril 2022 13:00 Arts et culture

Le théâtre communautaire francophone a la cote à Yellowknife

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Les comédiennes répètent depuis le mois de novembre pour la pièce Les Voisins.  — Anna Lacroix
Les comédiennes répètent depuis le mois de novembre pour la pièce Les Voisins.
Anna Lacroix
L’AQUILON (Territoires du Nord-Ouest) – À Yellowknife, le théâtre en français, ça va, ça vient. Les productions sont occasionnelles depuis celles d’une troupe communautaire dans les années 1990. Aujourd’hui, l’Association francoculturelle de Yellowknife souhaite pérenniser les productions franco-ténoises.
Le théâtre communautaire francophone a la cote à Yellowknife
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Un article de L’Aquilon rapportait en février 2021 que la pièce de théâtre Les monologues du vagin d’Eve Ensler serait présentée au Northern Arts and Cultural Centre (NACC) à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes et des Rendez-vous de la Francophonie.

Il s’agissait d’une initiative de l’Association francoculturelle de Yellowknife (AFCY), d’après une proposition de l’artiste Andréanne Simard, qui rêvait de produire cette œuvre. Elle a depuis quitté Yellowknife, mais a pu réaliser son projet.

À cause de la pandémie, c’était dur de faire venir des gens de l’extérieur. Mais quand Andréanne m’a approché, j’ai automatiquement accepté.

— Maxime Joly, directeur général de l’AFCY

Il s’est ensuite mis à la recherche de financement. La pièce a fait salle comble, avec une capacité de 50 spectateurs à cause de la COVID-19.

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Prochaine pièce, Les Voisins

Constatant un engouement, Maxime Joly a proposé lors d’un cocktail à la fin du projet de remettre ça en 2022.

L’idée a germé. Laurence Bonin, interprète de l’un des monologues, affirme avoir elle aussi senti cet engouement, ce qui lui a donné envie de continuer. Ils ont discuté. Maxime Joly a préparé d’autres demandes de subventions. Le projet a pris forme.

Ce n’est que partie remise pour la pièce Les Voisins.

Site Web NACC

«Ce genre de projet là, ça demande beaucoup d’énergie et d’efforts, du leadeurship et des champions prêts à se dévouer», dit Maxime Joly.

Laurence Bonin est l’une de ces perles rares. Elle a envoyé un appel d’intérêt dans la communauté en septembre. Une vingtaine de personnes ont répondu. Un nombre qui l’a «impressionnée», dit-elle, et qui a laissé Maxime «stupéfait», raconte-t-il.

Après quelques rencontres et sondages, une pièce comique a été choisie : Les Voisins de Claude Meunier et Louis Saia. Les rôles ont été distribués et le groupe régulièrement depuis novembre.

La pièce devait être présentée au NACC les 30 et 31 mars, mais a finalement été reportée puisque des membres de l’équipe ont dû s’isoler.

Une nouvelle troupe?

Maxime Joly demeure conscient qu’un tel projet repose actuellement sur la volonté de la communauté et des heures de bénévolat. Il travaille donc pour obtenir plus de subventions de la part des bailleurs de fonds puisque ce type de projets accapare une trop grande part du budget de programmation de l’ACFY.

Mon but est de pérenniser le financement afin qu’on ait une pièce de théâtre chaque année. Je vois énormément de potentiel et de possibilités. On a la motivation et le talent, on veut juste le mettre en valeur! On est peut-être à l’aube d’une nouvelle troupe.

— Maxime Joly, directeur général de l’AFCY

L’idée n’est pas de mettre sur pied «une troupe de théâtre avec une entité incorporée, un conseil administration et des états financiers», nuance Maxime Joly, mais plutôt un «comité sous l’AFCY avec notre permanence qui est là pour les aider».

Laurence Bonin ne s’en cache pas : monter une troupe l’intéresse, pour peu que la communauté se laisse prendre au jeu.

Petite ombre au tableau? Son conjoint est militaire et elle sera à Yellowknife pour un maximum de quatre ans, donc deux se sont écoulés. N’empêche qu’elle est «prête à investir le temps requis», dit celle qui travaille comme chargée de projet en environnement. Elle calcule avoir déjà passé plus de 300 heures sur Les Voisins.

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«Un rayon de soleil»

L’un des avantages du théâtre amateur, rappelle Maxime Joly, est son accessibilité.

«C’est l’une des rares activités qui permet l’implication communautaire et offre aux gens qui n’ont jamais touché à ça de participer. C’est une belle aventure humaine, ça marque la mémoire collective et ça peut inspirer d’autres personnes», souligne le directeur de l’ACFY.

Soutenir un tel projet s’inscrit donc dans le mandat de l’association, ambassadrice de la culture francophone à Yellowknife.

Pour Carole Marceau, professeure associée à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM, le théâtre — qu’il soit amateur ou communautaire — «est un rayon de soleil dans une communauté», d’autant plus si celle-ci est en minorité linguistique.

La professeure distingue le théâtre amateur par son volet plus divertissant, qui offre des pièces de toute sorte aux spectateurs, du théâtre communautaire, plus axé sur une prise de parole.

Le théâtre communautaire permet aux gens de se reconnaitre, de susciter le dialogue, d’aborder certains sujets et de rire aussi. Ça permet à une communauté d’exister par l’art collectif.

— Carole Marceau, professeure associée à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM

Comme Maxime Joly, elle est d’avis que le bénévolat demeure le nerf de la guerre : «Tout se fait à l’huile de bras», dit-elle, se désolant que des projets évoluent ainsi en dents de scie ou finissent quand des gens partent.

«Ce n’est pas tout le monde qui a la passion ou le temps et c’est pour ça que ça devrait être davantage subventionné, défend la professeure. L’art fait du bien.»

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Un chemin déjà emprunté

L’ACFY a fourni tout le financement, grâce aux fonds publics et subventions qu’elle récolte, pour les pièces Les Voisins et Les monologues du vagin.

La pièce Les monologues du vagin d’Eve Ensler a été présentée au Northern Arts and Cultural Centre en 2021 à l’initiative de l’Association francoculturelle de Yellowknife.

Marie-Soleil Desautels - L’Aquilon

L’association était aussi derrière la troupe de théâtre communautaire «Les pas frette aux yeux», qui a fait ses débuts dans les années 1990 et a duré une quinzaine d’années.

C’est Roxanne Valade, résidente de Yellowknife depuis 1989, qui a tenu le gouvernail de cette troupe de bénévoles. Elle faisait du théâtre communautaire en Ontario avant d’emménager aux Territoires du Nord-Ouest et ça lui a vite manqué, se souvient-elle : «Je me suis informée et j’ai commencé une troupe grâce au soutien de l’AFCY. On a fait une vingtaine de pièces en quelque 15 ans.»

Leur première pièce, Dire que ma Floride m’attend de Gaby Farmer-Denis, a été présentée au NACC en 1991. Leur interprétation du Malade imaginaire de Molière, en 1996, a été récompensée par trois prix lors du gala artistique Aurora à Yellowknife, selon les archives de L’Aquilon.

Ils ont aussi fait des tournées. «On est allé à Fort Smith, à Hay River et à Whitehorse au Yukon avec différents shows, raconte Roxanne Valade. C’était une tout autre organisation. Une chance que la permanence de l’AFCY était là pour nous aider!»

Et puis ce qui devait arriver arriva. Avec les années, Roxanne Valade a fini par se retrouver seule. «Tout le monde était parti, dit-elle, le noyau d’intéressés s’était désintégré. Je me suis rendue à l’évidence.»

La pièce Les Voisins de Claude Meunier et Louis Saia devait être présentée les 30 et 31 mars au NACC, mais les représentations ont dû être reportées.

Anna Lacroix 

Dans son billet de novembre 2013, l’éditorialiste de L’Aquilon de l’époque, Alain Bessette, écrivait à propos de cette bénévole : «Certains sont venus puis sont repartis, mais tout au long des années d’expression théâtrale francophone à Yellowknife, il y avait une constance : la directrice, metteuse en scène et actrice Roxanne Valade.»

Roxanne Valade, qui est aujourd’hui psychologue au privé, est d’avis que sa troupe exprimait la vitalité de la communauté francophone : «Par les arts de la scène, on pouvait passer des messages, ce n’était pas juste du divertissement. C’était aussi important pour moi qui travaillais en anglais de continuer ma vie en français, de vivre ma culture en français. On avait un but commun, un objectif culturel et, en plus, on avait full de fun

L’une des premières pièces présentées par la troupe a d’ailleurs été Les Voisins, en 1995. Tant Roxanne Valade que Laurence Bonin se réjouissent de cette coïncidence.

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Les Voisins, version féminine

Laurence Bonin avance que jamais elle n’aurait démarré un tel projet à Montréal. «On dirait que les opportunités sont plus accessibles à Yellowknife. La communauté francophone est très engagée et les gens veulent des projets.»

Si son appel d’intérêt a suscité plusieurs réponses, seules des femmes francophones ont continué dans l’aventure, incluant la metteuse en scène Annie Larochelle, totalement dévouée à la réussite du projet. Sur les huit rôles, quatre femmes doivent interpréter celui d’un homme.

«C’est tout un défi», dit Laurence Bonin, qui joue le personnage de Georges dans cette pièce des années 1980. «C’est terrible ce que je dis à ma femme sur scène, je grince des dents», dit celle qui espère créer un malaise dans la salle avec son jeu stéréotypé.

Parmi les comédiennes figure aussi une nouvelle résidente, Sheryl Boily, arrivée à Yellowknife en aout 2021 avec son conjoint militaire et leur fils de 12 ans. En octobre, elle a appris qu’une pièce de théâtre se préparait et n’a pas hésité à s’impliquer.

C’était une occasion de développer mon réseau social. Yellowknife se prête aux activités qui rassemblent les francophones où on retrouve un sentiment de communauté.

— Sheryl Boily, comédienne arrivée à Yellowknife en aout 2021

Elle interprète Bernard, un personnage qu’elle dit «plus amoureux de sa haie que de sa femme.

C’est intéressant, c’est drôle, et gratifiant, continue Sherly Boily. C’est stressant aussi! Mais c’est un bon stress qui nous propulse vers l’avant et nous sort de notre zone de confort», assure celle qui a fait du théâtre lorsqu’elle était en cégep, en 1999.

Julie Plourde, de retour à Yellowknife depuis cinq ans après y avoir vécu deux ans il y a 20 ans, s’est aussi jointe à l’équipe. Cette mère de trois enfants avait envie de prendre du temps pour elle et de faire un projet en français.

Heureux hasard : elle a interprété un personnage des Voisins en secondaire cinq. «C’est le fun de voir la pièce d’un autre œil! On ne savait pas ce que c’était, être parent, à l’époque», lance-t-elle.

Cette fois-ci, la mère joue le rôle de Janine, qui a des rapports tumultueux avec sa fille Suzie, une adolescente révoltée. «C’est vraiment du plaisir, ajoute-t-elle. On collabore et on arrive à un produit fini. Ça crée des liens. Je trouve ça dynamisant de voir qu’il y a une offre de théâtre en français. Je pense à mes enfants qui vont venir la voir, ça va peut-être susciter de l’intérêt chez les plus jeunes. J’espère que ça va continuer!»

Si Laurence Bonin affirme déjà être prête à relever ses manches l’an prochain, Sheryl Boily et Julie Plourde considèrent aussi cette option. Et Roxanne Valade? «J’adorerais ça, m’impliquer à nouveau, selon mes temps libres. La retraite approche!»