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le Jeudi 17 février 2022 7:30 Arts et culture

La littérature francophone manque de repères dans le Nord canadien

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Le milieu de l’édition en français dans le Nord canadien résiste, mais peine à prendre de l’essor.  — Jessica Ruscello - Unsplash
Le milieu de l’édition en français dans le Nord canadien résiste, mais peine à prendre de l’essor.
Jessica Ruscello - Unsplash
IJL — RÉSEAU.PRESSE – L’AQUILON (Territoires du Nord-Ouest) – Le milieu de l’édition en français dans le Nord canadien résiste, mais peine à prendre de l’essor. Le manque d’acteurs locaux et l’omniprésence des catalogues en ligne freinent la croissance d’une littérature locale et en français.
La littérature francophone manque de repères dans le Nord canadien
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Jennifer Baerg Steyn, nouvelle propriétaire de la librairie Book Cellar à Yellowknife.

Lambert Baraut-Guinet - L’Aquilon

Avec leurs petites communautés francophones, les territoires du Nord canadien semblent absents du paysage littéraire francophone. Pourtant, la demande de livres en français existe.

Comme le mentionne Jennifer Baerg Steyn, nouvelle propriétaire de la librairie Book Cellar à Yellowknife, nombreux sont les lecteurs qui lui demandent «d’enrichir sa collection francophone».

À l’instar de nombreux acteurs du milieu littéraire dans le Nord, elle se heurte à diverses difficultés, notamment en ce qui concerne les relations avec les maisons d’édition et les fournisseurs francophones, souvent installés dans l’Est canadien.

«Les gens veulent plus de contenu en français, pour les adultes et pas seulement pour les enfants», explique Jennifer Baerg Steyn. Pour répondre à cette demande, elle essaie de se tourner vers les ressources présentes aux Territoires du Nord-Ouest.

L’auteur Isidore Guy Makaya, installé à Yellowknife, a créé les Éditions Présence Francophone en 2017.

Cécile Antoine-Meyzonnade – L’Aquilon

Ces ressources restent cependant limitées. Les Éditions Présence Francophone, créées en 2017 à l’initiative de l’auteur Isidore Guy Makaya, installé à Yellowknife, constituent cependant un bel exemple d’une telle ressource qui illustre tout le potentiel local.

À lire aussi : La librairie Book Cellar change de propriétaire (L’Aquilon)

Une initiative bienvenue, mais insuffisante

Pour arriver à éditer ses propres textes, Isidore Guy Makaya a décidé de suivre une formation à distance en vue d’ouvrir une maison d’édition. Il voulait aussi assurer des services d’édition pour les auteurs et autrices de la francophonie canadienne à l’ouest de l’Ontario.

Si le nombre d’ouvrages publiés par Présence Francophone reste pour l’instant modeste, la création de cette maison d’édition et son ambition de se tailler une place durable aux Territoires du Nord-Ouest montrent peut-être qu’une dynamique s’enclenche pour la littérature francophone dans le Nord.

À l’aide d’une équipe de bénévoles, Présence Francophone cherche maintenant à prendre de l’essor, notamment en s’alliant avec d’autres entités de l’Ouest canadien. Trois ouvrages devraient sortir au printemps et quatre autres sont en cours de préparation.

Ces parutions s’ajouteront aux six ouvrages déjà publiés, dont un recueil de poèmes de Séréna Jenna, étudiante à l’école Allain St-Cyr de Yellowknife. Comme le souligne Zakaria Traoré, animateur culturel à la Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest (CSFTNO) : «C’est une chance qu’une élève de l’école arrive à publier un livre avec l’appui de cette maison d’édition.»

«On essaie d’avoir au moins deux sorties par an, notamment pour pouvoir remplir les conditions qui nous donneront accès à des aides du gouvernement», déclare Angélique Ruzindana Umunyana, membre de l’équipe de la maison d’édition.

La tâche est cependant difficile, ajoute-t-elle, parce que «pour le moment, nous sommes bénévoles. Donc, il faut vraiment être passionnés par la littérature pour faire ce qu’on fait».

Or, du point de vue des lecteurs et acteurs éducatifs, l’offre reste encore suffisante. Ceux-ci sont forcés d’arriver au même constat que la libraire Jennifer Baerg Steyn : trop peu d’auteurs locaux sont publiés et reconnus, et l’accès à des ouvrages en provenance du reste de la francophonie est encore trop compliqué.

Pour s’approvisionner en livres, la bibliothèque de l’école Allain St-Cyr est contrainte de faire appel à la succursale canadienne d’un fournisseur américain, Scholastic, voire de commander directement les ouvrages recherchés sur Amazon.

Zakaria Traoré, animateur culturel à la Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest.

Site Web CSFTNO

Zakaria Traoré déplore lui aussi la rareté des ouvrages jeunesse à vendre aux Territoires du Nord-Ouest. En quête de ce type de livres, il raconte s’être rendu à la libraire Book Cellar et au Walmart et avoir été surpris du peu de ressources en français.

Il affirme que «quand on souhaite acheter sur le marché local, on est très limité. Au Book Cellar, les ouvrages en français représentent à peine 1 ou 2 % de l’offre, à peine quelques étagères. C’est très, très insuffisant».

Pour tenter de pallier cette lacune, la maison Présence Francophone prépare entre autres la sortie de deux livres de contes cette année, ce qui pourrait marquer un renouveau pour la littérature jeunesse qui manque tant aux Territoires du Nord-Ouest. Ce début de solution viendrait enrichir le marché local, que les acteurs souhaitent visiblement voir s’élargir.

D’autres initiatives venues de l’Est

Ailleurs au pays, certains organismes déploient des efforts pour accompagner la croissance de la francophonie. Mandaté par le gouvernement du Québec, le Centre de la francophonie des Amériques (CFA) a pour objectif d’assurer des liens entre les communautés francophones de partout dans les Amériques.

Son président-directeur général, Sylvain Lavoie, est bien conscient du rôle moteur que son organisation peut et doit avoir pour l’expansion de la littérature francophone aux Territoires du Nord-Ouest.

«Ce qui est intéressant, c’est de voir de quelle façon on est en mesure de faire ressortir la littérature qui vient des territoires et de faire en sorte qu’on puisse la promouvoir pour l’encourager», explique-t-il.

Il ajoute que «les auteurs, les auteures, deviennent des modèles et inspirent aussi par la suite de nouvelles personnes à suivre le chemin».

La série de conférences Noires Amériques, organisée par le CFA pour la seconde année consécutive, connait un franc succès et participe à la promotion de l’écriture francophone en milieu minoritaire.

Une action que le CFA ne compte pas limiter aux provinces, comme le souligne son dirigeant :

Notre objectif, c’est aussi de faire connaitre les particularités [du Nord] parce que vous avez une histoire, une réalité tellement intéressante, riche et différente qui fait partie de la diversité culturelle et linguistique de la francophonie canadienne et des Amériques.

— Sylvain Lavoie, président-directeur général du Centre de la francophonie des Amériques (CFA)

«C’est certain que de faire connaitre et promouvoir cette idée-là via la littérature ou via d’autres formes d’art aussi, c’est ce qu’on souhaite faire», ajoute Sylvain Lavoie.

Il encourage donc fortement les auteurs et autrices du Nord à se manifester pour mettre en avant leurs réalités. Il assure que même si le CFA «a des choix difficiles à faire, parce que nous sommes limités tant par le temps que par les ressources, il est certain que nous cherchons à promouvoir le rayonnement de talent».

Il rappelle que le CFA tient «à mettre en mouvement cette francophonie pour permettre à ces auteurs-là aussi d’avoir leur place et de rayonner dans l’ensemble des Amériques. C’est aussi notre mandat, de contribuer à faire ça, notamment avec les différents intervenants du milieu».