«J’ai l’immense privilège de diriger le plus vieux théâtre francophone du pays. […] Mon théâtre s’appuie sur son histoire, une histoire de cercle où je veux croire que tout le monde a sa place. […] Le théâtre, c’est un art du vivant où tout est possible tout en étant rempli d’inconnu et de mystère.» Ces extraits du message canadien de la Journée mondiale du théâtre 2020 sont signés par Geneviève Pelletier, metteuse en scène et directrice artistique et générale du Théâtre Cercle Molière à Winnipeg.
Pour Geneviève Pineault, directrice sortante de l’Association des théâtres francophones du Canada (ATFC), il est important de faire circuler ce message d’espoir même en cette période où les planches se taisent côté cour comme côté jardin.

En ce moment, la tâche de son organisme est d’essayer le plus possible de tenir le milieu théâtral informé de ce qui arrive. «Je suis en train d’éplucher les mesures administratives du gouvernement canadien [en rapport avec les arts de la scène]», souligne Mme Pineault. L’ATFC est en contact également avec les bailleurs de fonds et les syndicats d’artistes.
En ce qui concerne l’Ontario, la directrice générale de Théâtre Action, Marie Ève Chassé, croit pour sa part que «les bailleurs de fonds comme le Conseil des arts du Canada semblent être des alliés pour le moment.» Mais d’après celle qui dirige l’organisme porte-parole du milieu théâtral franco-ontarien, «il faut trouver des solutions pour que les artistes puissent entrer dans les maisons!»

Diffuser l’esprit créateur en ligne
Satellite Théâtre à Moncton utilise la diffusion en direct sur le web. Le Cercle Molière à Winnipeg invite les parents et leurs enfants à filmer de courtes pièces de théâtre, des saynètes, des lectures de poèmes ou des spectacles de marionnettes et à les envoyer à [email protected]. Le Théâtre du Trillium à Ottawa propose en balado-théâtre Néon Boréal, une pièce en quatre épisodes.
Geneviève Pineault se réjouit de voir plusieurs des seize membres de l’ATFC mettre en place des initiatives pour garder le théâtre bien vivant, même en temps de crise.
De son côté, l’École nationale de théâtre du Canada a lancé l’initiative #ArtApart, qui versera 60 000 $ en soutien à la relève artistique sous forme de 80 bourses de 750 $. Ces fonds seront versés à des artistes de théâtre en formation ou ayant terminé une formation au cours des cinq dernières années pour présenter une œuvre en ligne.
Le Centre national des arts (CNA) à Ottawa a pour sa part lancé l’initiative #CanadaEnPrestation, un fonds d’aide à court terme de 200 000 $ qui sert à financer des prestations d’artistes canadiens en ligne. L’initiative a été lancée par Facebook Canada et le CNA «en réponse à la crise de la COVID-19 pour alléger les pressions financières sur les artistes touchés par la fermeture des rideaux à l’échelle du pays», peut-on lire sur le site web du CNA.
Qu’ils soient du monde de la musique, de la danse ou du théâtre, les artistes sélectionnés recevront un cachet de 1 000 $. Leur prestation sera ensuite diffusée sur la page Facebook du CNA. Facebook Canada et Slaight Music ont contribué à raison de 100 000 $ chacun.
Pour ma part, en tant que comédien, tous mes spectacles et tournages du printemps ont été annulés ou reportés, donc j’ai perdu trois mois de revenus jusqu’à présent. Heureusement, j’avais quelques contrats d’écriture qui, eux, peuvent encore se faire. Disons que les temps sont durs financièrement.
L’artiste Stéphane Guertin, membre du célèbre groupe franco-ontarien Improtéine, devait présenter en avril Vaches, the musical, un premier Broadway franco-ontarien produit par Créations In Vivo. Sa confidence illustre bien ce que subissent en ce moment les artistes de la scène. La compagnie a annoncé le report du spectacle à une date indéterminée.
Prendre le pouls du milieu
C’est d’ailleurs pour être à l’affut des besoins du monde théâtral que l’ATFC a mis en ligne un sondage sur son site web. Une façon pour l’organisme d’évaluer les questions de liquidité de ses membres pour les mois à venir. «Le milieu se questionne», confie Geneviève Pineault. Par exemple, pour des tournées qui avaient été planifiées, qu’arrivera-t-il des billets d’avion déjà achetés? Quand les subventions suivront-elles?
Un tel sondage permettra de rapatrier une bonne quantité de données pour l’ATFC, qui lui serviront dans ses pourparlers avec le milieu et les bailleurs de fonds, entre autres. Pour l’heure, sans vouloir en dévoiler beaucoup, la directrice de l’ATFC laisse entendre que dans les jours qui viennent, son association devrait dévoiler une initiative artistique pour tenter de contrer la crise.
Comment le théâtre franco-canadien sortira-t-il de cette aventure? En deuil surement de certains projets annulés, qui parfois avaient pris des mois à être montés. Pour Marie Ève Chassé, «il va falloir repenser certaines choses. Par exemple, comment assurer plus de sécurité en matière de développement du public. Les spécialistes en la matière sont déjà en action.»
Pour Geneviève Pineault, qui occupera prochainement le poste de directrice artistique au sein du Théâtre de la Vieille 17, «le théâtre est là depuis 2 000 ans, il va survivre!»