Bien sûr, la motorisation des transports nous permet de petites aventures succinctes à quelques kilomètres de notre maison, surtout l’hiver, mais la rigueur du climat exige une préparation qui rebute de nombreux citadins.
Le moindre piquenique dans la baie de Burton prend des allures d’expédition polaire. On se contente donc de parcourir les quelques kilomètres qui nous maintiennent dans la zone sécuritaire du repère visuel.
Pourtant, dès que l’on passe cette barrière psychologique, c’est la véritable aventure qui commence. La découverte de soi-même, soit, mais l’incroyable poids du paysage infini s’estompe lentement, permettant une ouverture sur un monde fascinant. Encore faut-il faire le premier pas!
Le Nunavoix poursuit sa série de portraits de nouveaux arrivants qui ont choisi l’aventure et qui font déjà partie de notre petite communauté unique, celle des francophones de l’Arctique.
André Beaupré et Charlotte Lapôtre
Dès son arrivée à Iqaluit, en septembre 2019, le Québécois André Beaupré a fait preuve de curiosité. Il n’allait pas se contenter d’arpenter la zone comprise entre les murs invisibles du confort!
Avec rapidité, il s’est imprégné dans la communauté pour assouvir sa soif de dépaysement et de culture inuite.
Très tôt, il décide d’allonger son séjour, prévu originalement pour 9 mois, mais surtout, de le maximiser. L’homme, dont un projet n’attend pas l’autre, ne s’est pas mis de barrière et c’est avec zèle qu’il s’est lancé dans l’ambitieuse traversée de la péninsule Meta Incognita pour l’été 2020.
Le plan : marcher de sa maison d’Iqaluit jusqu’au village de Kimmirut, quelque 150 kilomètres plus loin. Quatorze jours en autonomie complète ; et ce n’est pas la possible présence d’ours polaires qui allait l’arrêter.
Il n’est pas le seul et surtout pas le premier à accomplir cette randonnée, mais il faut le dire, ils ne sont pas légion à pouvoir l’affirmer. Plusieurs l’ont fait en ski de fond, un tout autre genre de défi, la majorité en motoneige, une longue promenade d’une journée.
Ils ne seraient qu’une petite dizaine à la faire à pied chaque été, selon les données des gens du parc territorial Katannilik, qui traverse la péninsule en suivant la rivière Soper.
Ayant vent de l’entreprise, Charlotte Lapôtre, amie et collègue de M. Beaupré au service de garde de l’école des Trois-Soleils, a décidé de s’y joindre.
La Française d’origine, en ville depuis quelques mois, possède une formation en biologie. Jointe à celle de géographe d’André, cela donne un aspect scientifique à l’affaire. Ce ne sera pas un exploit sportif, mais plutôt un moment privilégié avec la faune et la flore indigène de la terre de Baffin. Et ce qu’ils ont pu voir les enthousiasma!

Harfang et caribou
Bien entendu, il y a peu de biodiversité dans l’Arctique. Nous sommes en quelque sorte plus près du Sahara que de l’Amazonie. Il faut prendre le temps, s’éloigner un peu de la piste, faire silence et observer, et, avec un peu de chance, la faune se pointera le bout du nez.
Habitués aux randonnées autour de la ville, André et Charlotte ne s’attendaient pas à tant de vitalité. Les animaux sont dans les livres, mais où se cachent-ils dans la toundra?
La première rencontre fut un caribou si curieux et peu effarouché qu’il poussa l’audace jusqu’à les accompagner pendant quelque temps, toujours en gardant une distance, toujours sous le vent. Cet animal, si important dans la culture inuite pour sa survie, ne fraie plus dans les environs de la capitale depuis au moins une bonne quinzaine d’années.
La rencontre avec un harfang des neiges et l’observation de ce dernier à la chasse ont aussi marqué leur esprit. Un autre moment inoubliable pour eux.
Bien préparés, les randonneurs connaissaient plusieurs plantes et leurs utilités, grâce aux nombreuses conversations avec des Inuits, experts locaux et transmetteurs de connaissances par excellence. Ils ont pu apprécier autrement le périple et voir, sentir et gouter ce qu’un autre dépasserait sans s’arrêter.
D’ailleurs, quatorze jours pour couvrir une distance relativement courte, c’est tout à fait voulu. Rien ne sert de courir si l’objectif est de s’éduquer sur son environnement et de l’apprécier à un autre niveau. Soudainement, le désert devient fécond.

Défi physique et logistique
Transporter sa nourriture, son matériel et marcher hors-piste dans les roches, ce n’est pas de tout repos ; seulement pour la nourriture, il faut être prévoyant. C’est ainsi qu’ils ont passé la semaine précédant l’aventure à déshydrater tout ce qu’ils trouvaient d’intéressant dans les rayons de fruits et légumes.
L’eau, bon, il y en a tout le long du parcours, mais quand même, il faut pouvoir la transporter lorsque l’on traverse un plateau rocheux aride.
Il y a aussi un côté sécuritaire qu’ils n’allaient pas prendre à la légère. Ainsi, ils se baladèrent avec un équipement électronique de pointe, allant du téléphone satellite au système de géolocalisation Spot en passant par l’appareil de communication satellitaire Inreach.
Triple protection donc, mais ce n’était sans compter sur l’expérience d’André qui tenait à trimbaler aussi sa carte topographique et sa boussole. Ils étaient blindés!
Et les ours? Pas la moindre trace, mais ils étaient prêts à toutes rencontres inopinées grâce à leurs cartouches antiours. C’est donc la tête tranquille qu’ils ont pu aborder l’aventure lorsqu’ils furent déposés en bateau de l’autre côté de la baie par M. Jack Anawak, dernier humain qu’ils ont côtoyé durant deux semaines.
L’arrivée à Kimmirut fut grandiose pour les marcheurs : un accueil chaleureux, la découverte d’une magnifique communauté nichée au fond d’une baie et de belles conversations avec les locaux, curieux d’en connaitre plus sur leurs motivations. C’est avec un sentiment d’accomplissement indescriptible qu’ils ont pu faire le chemin inverse vers Iqaluit, en avion cette fois-ci, mais surtout en quelques dizaines de minutes!
La deuxième saison de Nomade Boréal, animée par André Beaupré, sera aussi disponible bientôt sur les ondes de CFRT 107,3 FM et présentera toutes sortes de chroniques sur son expédition Iqaluit-Kimmirut.