le Jeudi 12 juin 2025
le Mercredi 11 juin 2025 6:30 Actualité

Le fédéralisme canadien à l’ère du gouvernement Carney

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Lors de la campagne électorale, Mark Carney s’était engagé à investir 150 milliards de dollars supplémentaires pour stimuler et stabiliser l’économie canadienne.  — Photo : Inès Lombardo – Francopresse
Lors de la campagne électorale, Mark Carney s’était engagé à investir 150 milliards de dollars supplémentaires pour stimuler et stabiliser l’économie canadienne.
Photo : Inès Lombardo – Francopresse
CHRONIQUE – Le premier ministre Mark Carney a convoqué ses homologues provinciaux et territoriaux à une rencontre à Saskatoon, le 2 juin, dans le but de discuter des défis économiques auxquels le pays est actuellement confronté. Or, ses efforts porteront-ils vraiment les fruits escomptés?
Le fédéralisme canadien à l’ère du gouvernement Carney
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Pour le premier ministre Mark Carney, la solution passe notamment par la création d’une véritable union économique entre l’ensemble des provinces et territoires. Il l’a dit à de nombreuses reprises : il désire créer une seule économie canadienne au lieu de treize.

S’il n’en tenait qu’à lui, le Canada deviendrait une superpuissance énergétique et la plus forte économie du G7.

Mark Carney voudrait notamment que les provinces abolissent toute entrave à la libre circulation des biens et des personnes à l’intérieur du pays. Rappelons que les provinces peuvent mettre en place de nombreuses règles auxquelles doit se soumettre la très grande majorité des entreprises.

Par ailleurs, les provinces n’ont aucune obligation de consulter les autres provinces dans l’élaboration et la mise en œuvre de leurs propres règles. C’est comme si elles agissaient en États souverains et indépendants.

Voudront-elles se plier aux désirs du premier ministre?

Malgré les grands sourires affichés à la sortie de la rencontre des premiers ministres, rien n’est moins sûr.

Les provinces canadiennes bénéficient d’une très grande liberté d’action et il serait étonnant qu’elles veuillent renoncer à cet avantage. D’ailleurs, elles ont toujours refusé de le faire par le passé.

— Geneviève Tellier

À lire aussi : Les limites du commerce interprovincial au Canada

La place des provinces dans la fédération canadienne

L’autonomie des provinces canadiennes a toujours été un sujet d’intenses discussions au pays.

Dès les débuts de la Confédération canadienne, deux visions se sont opposées : l’une voulant un gouvernement central fort et l’autre des provinces autonomes.

Malgré les efforts des partisans de la centralisation, ce sont toujours les provinces qui ont eu le dernier mot.

Il est vrai qu’il y a eu quelques succès pour ceux qui prônent une vision centralisatrice.

Ainsi, l’expansion du chemin de fer vers l’ouest piloté par le gouvernement fédéral à la fin du XIXe siècle a permis l’agrandissement et l’unification du pays. Le gouvernement fédéral est devenu le maitre d’œuvre en matière de transport national.

Par ailleurs, la constitution canadienne a été amendée à quelques reprises afin de transférer certains programmes de compétence provinciale au gouvernement fédéral. C’est ainsi que l’assurance-emploi et les pensions de la Sécurité de la vieillesse relèvent maintenant du gouvernement fédéral.

Puis il y a eu le rapatriement de la Constitution et la promulgation de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982.

À lire aussi : La Constitution de 1982 a transformé le Canada

La résistance des provinces canadiennes

Mais l’extension des pouvoirs du gouvernement fédéral s’est toujours butée à la volonté d’autonomie des provinces.

La présence du chemin de fer, financé à grands frais par le gouvernement fédéral, a surtout permis aux provinces de s’industrialiser et d’exploiter leurs propres richesses naturelles.

Les pouvoirs constitutionnels accrus du fédéral dans certains domaines n’ont été qu’une toute petite victoire pour un gouvernement qui voulait que les provinces renoncent une fois pour toutes à leur pouvoir de taxation. Il n’y est jamais parvenu.

Le rapatriement de la Constitution en 1982 n’a pu se concrétiser qu’en ajoutant la disposition de dérogation qui permet aux provinces de se soustraire à plusieurs articles de la Charte.

On le voit, des efforts de centralisation du gouvernement fédéral ont bel et bien eu lieu, mais les provinces s’y sont toujours opposées.

— Geneviève Tellier

Si elles ont parfois accepté de se départir de certaines responsabilités, c’est qu’en général, le gouvernement fédéral payait la note.

C’est dans ce contexte qu’il faut examiner la proposition du premier ministre Carney.

Mark Carney réussira-t-il à créer une seule économie canadienne?

Si l’avenir est garant du passé, le premier ministre Carney se dirige vers un échec, si son intention est de transformer la fédération canadienne.

Les provinces n’ont jamais manifesté une réelle volonté de céder une partie de leur autonomie au profit du gouvernement fédéral. Les circonstances actuelles, bien que sérieuses pour l’avenir économique du pays, ne changeront pas les choses.

Comment alors expliquer la bonne humeur des premiers ministres provinciaux et territoriaux lors de la rencontre de Saskatoon?

Encore une fois, le gouvernement fédéral utilise une tactique qui lui a réussi par le passé : il paiera la note. D’ailleurs, le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, n’a-t-il pas dit à la sortie de la rencontre que le premier ministre canadien était le père Noël? Tout le monde aura compris : Mark Carney entend distribuer des cadeaux.

Les largesses du gouvernement fédéral

Rappelons qu’en campagne électorale, Mark Carney s’était engagé à investir 150 milliards de dollars supplémentaires pour stimuler et stabiliser l’économie canadienne.

Les provinces et territoires sont bien au courant de cet engagement et veulent obtenir leur part des largesses du gouvernement fédéral.

Par contre, elles n’ont manifesté jusqu’à présent aucune intention de se départir de certaines responsabilités au profit du gouvernement fédéral pour obtenir ces largesses.

Bien au contraire. Les provinces ne sont-elles pas en train d’abolir elles-mêmes les barrières commerciales interprovinciales sans l’aide du gouvernement fédéral?

Pour Mark Carney, le défi consiste donc à transformer la société canadienne sans modifier les droits et responsabilités des provinces.

Dans cette aventure, il risque de se trouver bien seul face aux 13 provinces et territoires qui défendront vigoureusement leur autonomie, malgré les cadeaux que le gouvernement fédéral semble prêt à distribuer.

Geneviève Tellier est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias de tout le pays.

Type: Opinion

Opinion: Contenu qui avance des idées et qui tire des conclusions fondées sur une interprétation des faits ou des données émanant de l’auteur.