Le doyen de la Faculté de théologie de l’Université Saint-Paul à Ottawa, Michel Andraos, souligne que le pape François, décédé le 21 avril, s’est présenté comme un réformateur dès le départ et il a travaillé sur cette vision jusqu’à la fin.
«La dernière semaine avant sa mort, il parlait de la réforme de toutes les notions apostoliques et la réforme de la représentation politique du Vatican […] parce qu’elles jouent un rôle majeur dans la nomination des évêques», explique le professeur.
Il a tenté de se rapprocher des personnes qui sont dans la «marge», c’est-à-dire des personnes qui sont parfois oubliées ou ignorées. «Il est allé rencontrer les réfugiés politiques, les migrants qui sont des victimes de nos systèmes de gestion au niveau mondial.» Il a aussi tenté de faire une plus grande place aux femmes dans des rôles de responsabilités dans l’Église.
Ses prises de position dépassaient l’Église et la religion catholique. Il a critiqué le capitalisme pour ses effets sur l’environnement, demandé la fin de la guerre en Ukraine, signé le Document sur la fraternité humaine avec le Grand Imam Ahmed al-Tayeb, pour ne nommer que ces quelques actions.
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Le premier ministre Justin Trudeau, le pape François et la gouverneure générale Mary Mary Simon à la cérémonie d’accueil du pape au Canada, le 24 juillet 2022, à Edmonton.
Plus de bonnes intentions que d’actions
Michel Andraos se garde bien d’idéaliser le pape François. Ce dernier a aussi fait des déclarations controversées. De plus, les excuses officielles aux Premières Nations du Canada pourraient ne mener à aucune amélioration.
Près de trois ans après la visite du pape au Canada, l’analyse du professeur n’a pas changé : «On n’a pas la structure, il n’y a pas assez de gens dans les églises, même s’il y a eu des consultations pendant les deux dernières années. Mais on n’a pas la capacité, on n’a pas des personnes formées. Qui va mener, gérer ces réformes?», s’interroge celui qui est également coordonnateur du Centre vérité et réconciliation de l’Université Saint-Paul.
La moyenne d’âge des ecclésiastiques canadiens est élevée et très peu de jeunes, qui pourraient être plus ouverts à mettre en place de nouvelles pratiques, se préparent à l’ordination.
Il y a beaucoup de frustrations parmi les ainés autochtones, chrétiens et catholiques avec qui nous sommes en contact [à l’Université Saint-Paul], parce qu’ils sont un peu déçus. […] Il n’y a pas de place pour leurs rites à l’intérieur de l’Église

«Il y a beaucoup de résistance de toutes les instances à l’intérieur du Vatican même», ce qui ralentit toute tentative de réforme, note Michel Andraos.
Pourtant, selon Michel Andraos, le pape François tentait de décoloniser l’Église et la théologie. C’était l’un des objectifs de ses excuses, mais aussi d’autres actions et déclarations concernant les populations autochtones de l’Amérique centrale et du Sud.
La décolonisation n’a cependant pas encore pris son envol. «Il y a de bonnes intentions ici et là, en attendant, un autre sujet prend priorité, et là on oublie et on continue. Mais donc il y a un manque structurel à l’intérieur de l’Église», ce qui fait qu’elle ne peut pas répondre à la demande.
Malgré cela, le passage du pape François au Canada a tout de même semé des lueurs d’espoir. Par exemple, si le rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada «a donné la permission» d’avoir des programmes d’enseignement par les ainés autochtones dans les écoles de théologie, les excuses du pape ont donné «le mandat de le faire.»
«Mais on est loin, même avec tous ces efforts, de répondre d’une manière systématique, programmatique à long terme qui va vraiment garantir un changement d’après cette vision et pas seulement [servir] de Band-Aid.» Michel Andraos ne croit pas voir de résultats concrets de son temps.
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Un autre héritage à géométrie variable
Les déclarations variées de François 1er à propos des personnes homosexuelles ou membres de la communauté 2ELGBTQIA+ ont également provoqué des réactions mitigées.
Assez tôt dans son mandat, il avait laissé présager un changement d’attitude de l’Église en déclarant : «Si une personne est homosexuelle, qu’elle est en quête de Dieu et qu’elle a de la bonne volonté, qui suis-je pour la juger?»
L’ouverture reste cependant très limitée. Le pape n’appuyait pas pour autant les unions de même sexe. Il a permis le baptême des personnes trans, mais a rejeté la «théorie du genre».
Les associations représentant la communauté 2SLGBTQIA+ contactées par Francopresse ont préféré ne pas commenter le legs de François 1er. Le Comité FrancoQueer de l’Ouest, situé à Edmonton, a tout de même répondu par écrit en précisant qu’il «n’est pas un organisme spécialisé en questions religieuses».
«Nous compatissons avec les personnes qui pleurent la mort du pape François. Cela dit, nous rappelons que l’Église catholique demeure une institution dont l’héritage envers les personnes 2ELGBTQIA+ est lourd : tolérance des thérapies de conversion, exclusion des femmes du sacerdoce, rejet des identités trans et persistance d’une doctrine qui qualifie l’homosexualité “d’intrinsèquement désordonnée”».
«Il nous semble prématuré de parler de réelle ouverture tant que ces fondements demeurent inchangés.»
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