En résumé, les députés Stacey Hassard et Wade Istchenko se demandaient, dans leurs échanges vulgaires, qui de la cheffe du Nouveau Parti démocratique (NPD) du Yukon, Kate White, ou du premier ministre avait «la plus grosse», en référence aux parties génitales.
À titre de réprimande, le chef du Parti du Yukon, Currie Dixon, leur a retiré leurs postes au cabinet fantôme et les obligera à suivre une formation contre le harcèlement.
À mon avis, Currie Dixon a choisi de prendre le chemin le plus facile en donnant une petite tape sur les doigts de ses députés. Depuis, on nous garde dans l’ombre ; on ne sait pas quand, comment ou pendant combien de temps cette formation aura lieu, et on ne sait surtout pas si les deux députés apprendront leur leçon.
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Le difficile travail d’éducation
Ces dernières années, en raison de divers enjeux sociaux dont le racisme systémique, l’homophobie et la misogynie, le rôle des éducateur.trice.s sur les enjeux des minorités et des personnes maginalisées a été de nous pencher davantage sur les questions d’antiracisme et d’antioppression. Ces enjeux sont intersectionnels à l’intimidation et au harcèlement, c’est-à-dire qu’ils vont souvent de pair.
Même si, en tant qu’éducateurs, nous ne sommes pas des magiciens, l’objectif de nos formations est de développer la pensée critique des participant.es et d’offrir des conseils utiles. Cependant, aucune formation n’arrivera à changer les comportements du jour au lendemain.
Ce travail de longue haleine doit se faire de manière individuelle et nécessite que les participant.es soient réceptifs et engagé.es. Offrir une formation à titre de punition, comme c’est le cas pour les deux députés, risque de ne pas avoir les effets escomptés.
De nos jours, il est pratique courante qu’un.e éducateur.trice se fasse interpeler pour former un groupe à la suite d’un incident ; mais même dans ces cas, ce n’est certainement pas pour servir de punition.
Prenez l’exemple de cette dernière année : à la suite des évènements qui ont mené à la mort de George Floyd et de Regis Korchinski-Paquet, les demandes d’ateliers dans les écoles, les bureaux et même les clubs de lecture se sont multipliées.
Le travail d’éducation ne doit pas se faire de manière aléatoire. Il doit assurer le bienêtre de la société en éduquant la majorité sur les enjeux qui affectent les personnes en situation minoritaire et les personnes marginalisées.

Apprendre de nos erreurs
L’Université du Yukon est un exemple de bonne pratique. Tous les employé.es doivent suivre deux formations obligatoires sur l’histoire des Premières Nations du Yukon.
L’objectif de ces formations est strictement éducatif, pour offrir un meilleur service et avoir une meilleure compréhension des enjeux auxquels font face les citoyens des Premières Nations du Yukon. Ces formations ne sont pas des «punitions».
Notre travail n’est pas facile. Il faut avoir des conversations franches avec les participant.es et savoir écouter activement certains commentaires ou idées reçues qui ne sont pas toujours faciles à recevoir, allant parfois même jusqu’aux microagressions, au déni du racisme ou au détournement de vérités.
C’est souvent le cas lorsqu’il est question d’éducation sur les pensionnats au Canada et autres expériences traumatisantes. Il faut une grande ouverture d’esprit et une patience indéniable.
On m’a déjà posé la question suivante : «Comment fais-tu pour garder espoir et avoir un esprit positif?» Pour vous répondre en toute sincérité, je me pose moi-même la question. Vous n’avez qu’à lire les commentaires grossiers échangés par les deux députés pour comprendre mon état d’esprit.
Depuis que cet incident a fait les manchettes au Yukon, plusieurs m’ont demandé si j’accepterais d’offrir la formation aux deux députés fautifs si on me le demandait. Ma réponse est catégorique : NON! Peu importe le cachet.
Je m’imagine mal faire face à des gens qui ne sont pas nécessairement prêts à prendre la responsabilité de leurs actions, qui auraient honte d’avoir été pris en flagrant délit plutôt que d’avoir honte de leur comportement.
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Comment devrait-on procéder?
Les Premières Nations ont demandé la démission des deux députés en guise de reconnaissance qu’aucune éducation ponctuelle ne pourra apaiser le doute et le manque de confiance qui entourent actuellement leur travail et leur capacité à représenter leurs citoyens.
La «cancel culture», la culture du bannissement, a évolué vers la culture de la redevabilité au cours des dernières années. Bien sûr, nous sommes humains – nous commettons des erreurs et c’est formidable de pouvoir être corrigé et d’avoir l’opportunité de s’améliorer.
Il y a bien sûr encore de la place pour la liberté d’expression, mais il faut également reconnaitre que tous les discours peuvent avoir des conséquences. Certaines de ces conséquences sont graves et mènent à la démission, à la perte d’emploi et au retrait de pouvoirs. Avec le «bannissement», le message est clair : ce type de comportement n’est pas acceptable.
Un bon conseil, la prochaine fois que vous prenez part à une conversation qui pourrait vous mettre dans l’embarras, posez-vous la question : est-ce vraiment nécessaire et est-ce que ça vaut vraiment le coup?
Paige Galette est activiste et éducatrice communautaire sur l’antiracisme et la lutte contre les oppressions, à l’échelle nationale. Son chapitre From Cheechako to Sourdough : Reflections on Northern Living and Surviving while being Black se retrouve dans le livre Until We Are Free : Reflections on Black Lives Matter in Canada (Diverlus, Hudson, Ware).