Cette lettre est, de prime abord, une belle surprise. En balançant coup sur coup les noms des canons de la culture franco-sudburoise et en traçant des évènements marquants de l’histoire franco-ontarienne, on comprend rapidement que le recteur souhaite inscrire les 60 ans de l’institution dans le récit franco-ontarien.
Cela dit, le bricolage mémoriel proposé par le recteur pour célébrer les 60 ans de l’institution fait sourciller. Il s’agit d’une courtepointe qui passe sous silence les défis auxquels ont fait face les francophones à la Laurentienne. En effet, son bilan propose une lecture aseptisée de l’histoire et gomme un bilan qui est beaucoup plus complexe et mitigé.
Les trous de mémoire d’une institution en party
Ne nions pas l’importance de la Laurentienne pour l’Ontario français. Elle a formé des gens exceptionnels, a joué un rôle central pour notre communauté et a occupé une place importante dans notre histoire. Ne nions pas, non plus, les grandes avancées que nous avons réussi à gagner au fil des décennies.
L’historien Guy Gaudreau avait vu juste dans L’Université Laurentienne : une histoire, livre publié pour célébrer les 50 ans de la Laurentienne. Il souligne dans les trois chapitres dont il est l’auteur la présence d’une relation antagoniste qui domine l’évolution du fait français à la Laurentienne. Si nous avons fait d’importants gains pendant ce temps, ils auraient principalement été le résultat de luttes. Rappelons quelques évènements.
En 1969, la Laurentienne a neuf ans. Le jeune Donald Obomsawin, le premier étudiant autochtone à obtenir un B.A. dans notre institution, dénonçait en 1969 dans le Lambda ce qu’il considérait être l’échec du bilinguisme de la Laurentienne. C’était un constat qu’avait déjà fait le recteur Mullin trois ans plus tôt au Sudbury Star.
En quête de solutions, l’Université demande à l’ancien recteur de l’Université de Waterloo, J. G. Hagen, de trouver une solution durable. Celui-ci propose la création d’un collège de langue française qui permettrait de regrouper l’ensemble des programmes, professeurs et étudiants francophones. Celui-ci serait dirigé par son propre principal.
C’est sans surprise que le conseil des gouverneurs, majoritairement anglophone, rejette l’idée. Il refuse ainsi de donner aux francophones une institution universitaire de langue française qui lui serait fédérée au même moment où, à moins de 100 km de Sudbury, les Franco-Ontariens faisaient la grève à Sturgeon Falls pour obtenir une école secondaire de langue française. Le résultat? On obtiendra ultimement — et de peine et de misère et après de nombreuses luttes — une politique sur le bilinguisme.
De son côté, le professeur et jésuite Fernand Dorais — lui qui a encouragé les étudiants qui ont fondé CANO, le TNO, la Nuit sur l’étang et Prise de parole — dénonçait en 1973, lors du colloque Franco Parole, ce qu’il estimait être des structures de domination anglophone sur la minorité franco-ontarienne. Connu pour brasser la cage, il poursuit le combat pour une division de l’institution sur le plan linguistique.
En septembre 1975, l’Université refusa de hisser le drapeau franco-ontarien nouvellement créé. Ses artisans, parmi lesquelles on pouvait compter l’historien Gaétan Gervais, ont dû aller au haut de la colline, à l’Université de Sudbury, pour dévoiler ce qui deviendrait le plus puissant symbole politique de l’Ontario français. Il faudra attendre de longues années avant que la Laurentienne accepte de faire flotter le drapeau sur son mât.
Gervais, va d’ailleurs dédier une partie de sa vie professionnelle à l’amélioration du fait français à la Laurentienne. Il sera, avec plusieurs autres, de toutes les luttes : celle pour augmenter le nombre de cours en français durant les années 1970, celle durant les années 1980 pour imposer une politique d’achats de livres en français à la bibliothèque et celle à la même époque pour créer un programme de gestion en français, pour ne nommer qu’eux. On imaginait mal en 1980 la pertinence d’étudier les affaires (ou les sciences) dans la langue de Molière!
Malgré ces luttes, les francophones n’ont jamais réussi à obtenir une gestion autonome de leurs programmes. Par exemple : pour créer un cours, il faut d’abord convaincre ses collègues anglophones au niveau du département, puis de la faculté — ils y sont généralement majoritaires —, avant que le Comité des programmes en français puisse enfin exercer ses fonctions. Nous sommes loin d’une gestion «par et pour».
Sur le plan symbolique, un ancien recteur s’est beaucoup vanté d’avoir piloté la désignation en 2014 de l’Université sous la loi 8 sur les services en français, rappelant que nous étions la première université bilingue à le faire. Malheureusement, ceux qui se sont épuisés à faire avancer cette cause savent que cette désignation a tellement été diluée avant son adoption qu’elle est pratiquement insignifiante.
Enfin, nous sommes surpris d’apprendre que le recteur identifie Droit et justice dans sa liste de programmes «novateurs» en français, surtout que l’université ne compte pas remplacer un départ à la retraite dans ce département. Cela réduira inexorablement l’offre de cours. Ce programme avant-gardiste serait-il déjà à la fin de son «cycle naturel»? Est-il aux soins palliatifs? À quand l’extrême-onction?
«L’Ontario français, c’est le nom d’un combat»
L’angoisse sur l’avenir de la francophonie à la Laurentienne, contrairement à ce que suggère le recteur, prend son sens non pas dans les combats politiques contre le gouvernement provincial, mais bien dans les 60 ans de luttes qu’ont menées les francophones de l’université pour améliorer leur sort. C’est pourquoi Gaétan Gervais parlait en connaissance de cause lorsqu’il écrit, en 1986, que «[l]’Ontario français, c’est le nom d’un combat».
Après avoir réfléchi son passé francophone, proposons, pour la semaine prochaine, une analyse sur la Laurentienne comme institution franco-ontarienne.
Cette lettre est la première partie d’un triptyque dont la suite paraitra dans les deux prochaines semaines.