«Le français est tellement minoritaire qu’il est perçu comme une langue étrangère, davantage que le chinois ou le pendjabi.» Cette constatation vient de Christian Deron de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique (FFCB). Le coordonnateur des relations gouvernementales et de la recherche au sein de la FFCB constate même qu’après toutes ces années, certains s’étonnent encore que les francophones aient accès à l’école française. «Pourquoi, moi, n’aurais-je pas le droit d’envoyer gratuitement mon enfant à l’école chinoise?» Voilà encore le genre de réaction qui subsiste 50 ans plus tard.
Après tout, selon le recensement de 2016, les chiffres de Statistique Canada sont éloquents : 92 % des jeunes francophones en situation minoritaire sont bilingues alors que du côté anglophone en situation majoritaire, ils le sont à 12 %.
Pourtant, la Loi sur les langues officielles (LLO) a permis aux francophones d’avoir accès à leurs écoles et de les gérer eux-mêmes. Mais attention, là-dessus Raymond Hébert est catégorique : «C’est la Charte des droits et libertés de 1982, qui a amené l’augmentation d’écoles françaises grâce à l’article 23, et non la LLO», tient à spécifier celui qui fut sous-ministre adjoint pour le Bureau d’éducation française au Manitoba.
Cet important point de la charte stipule que «les citoyens canadiens dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident ou qui ont reçu leur instruction au niveau primaire, en français ou en anglais, ont, dans l’un ou l’autre cas, le droit d’y faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue.»
Croire en sa langue et ses droits
Il est vrai cependant que la LLO a amené un sentiment de confiance entrainant la création d’un grand nombre d’organismes provinciaux voués à la défense des droits des francophones. Ce fut vrai, par exemple au Manitoba, mais aussi dans le Nunavut. Karine Baron, la directrice générale de l’Association des francophones du Nunavut (AFN), est d’avis qu’à la suite de la fondation de l’AFN en 1981, il y a eu «une diversification des services et des organismes communautaires, jusqu’au plan de développement global de la communauté francophone en 2017.»
De son côté, Jean-Michel Beaudry de la Société de la francophonie manitobaine (SFM) estime que le français a progressé pendant les 50 dernières années. Le directeur adjoint rappelle que sa province est passée d’unilingue anglophone, a dû subir deux procès qui contestaient son unilinguisme — l’affaire Forest et l’affaire Bilodeau —, pour aboutir en 2016 à une Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie.
Moderniser la loi
La campagne électorale canadienne qui se mettra en branle dans quelques jours abordera-t-elle la question de la modernisation de la LLO? Certains le souhaitent. Par exemple, il faudra se poser la question : qui est francophone en 2019? Pour Jean-Michel Beaudry, il ne fait aucun doute que «la communauté s’intéresse davantage à l’immigration francophone, aux personnes pour qui le français est une langue seconde, aux familles exogames et à la sensibilisation de la majorité anglophone.»
D’autres ont même travaillé ardemment à fournir certaines balises menant à cette modernisation. C’est le cas de René Cormier. L’homme de théâtre acadien, et sénateur a présidé le Comité sénatorial permanent des langues officielles, chargé de réfléchir à la modernisation de la LLO. Pendant deux ans, M. Cormier et sept acolytes sont allés à la rencontre de la jeunesse canadienne, mais aussi d’experts et d’organismes pour voir comment ils percevaient l’avenir de leur langue.
Après avoir reçu plus de 70 mémoires, écouté quelque 300 personnes dont les deux tiers étaient francophones, en juin dernier, le comité déposait son rapport contenant une vingtaine de recommandations touchant notamment les institutions fédérales, la justice ou encore le Conseil du Trésor. La lecture du rapport montre un comité soucieux de faire comprendre que la modernisation urge.
Le comité sénatorial propose notamment la création d’un Tribunal des langues officielles, indépendant du Commissariat aux langues officielles. Ce n’est pas un désaveu du Commissaire aux langues officielles, tient à préciser le Sénateur Cormier. «On ne veut pas qu’il soit juge et partie. Le Commissaire continuera de faire ses enquêtes à la suite de plaintes. Le Tribunal sera là pour sanctionner le cas échéant.»
Le rapport a été bien perçu par bon nombre d’organismes comme la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA). Il reste évidemment à être discuté en chambre après les élections. Le temps presse. René Cormier reste cependant optimiste.
«Après tout, 85 % des Canadiens croient au bilinguisme. Mais ça doit se traduire dans des faits.»