La francophonie grimpe dans l’échelle démographique grâce à l’essor du français en Afrique. Selon l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), la population continentale de langue française est passée de 270 à 300 millions en quatre ans et pourrait doubler d’ici 2070.
«On est tout à fait conscient de ce boum, affirme Dilek Elveren, de la Direction des Affaires politiques et gouvernance démocratique. Ça aura un impact sur notre réflexion globale et notre manière d’intervenir.»
Dans un blogue du journal Le Temps, le professeur de droit international Yves Sandoz résume la situation africaine. «La population de ces pays souffrira de l’explosion démographique et c’est de ceux-ci que proviendront toujours davantage de migrants, en sus des réfugiés climatiques que la hausse des niveaux des mers ou la sècheresse chasseront de leurs terres.»
«Plus de migrants et de réfugiés climatiques»
L’OIF souscrit aux «17 Objectifs de développement durable pour transformer notre monde» adoptés par l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 2015 pour l’horizon 2030. Les premiers ciblent la pauvreté, la faim et la santé. Un autre vise la lutte contre les changements climatiques. «La finalité est le bienêtre de l’humanité dans le respect de la planète, souligne Mme Elveren, spécialiste du programme Égalité femmes-hommes. Le crédo, c’est de ne laisser personne de côté, particulièrement les femmes. Ça fait très idéaliste, mais il faut avoir de l’ambition. Pour atteindre les cibles en dix ans, va falloir donner un gros coup d’accélérateur.»
Selon le rapport 2019 du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), huit des 12 pays où le risque pour les femmes est le plus élevé sont en Afrique centrale et subsaharienne (p. 89), là où se trouvent des francophones. L’indice des dangers est mesuré à partir d’une évaluation «des dangers et expositions, vulnérabilités et manques de capacités d’adaptation».
D’ailleurs, le chercheur Sandoz relie le sous-développement et le taux de fertilité élevé sur le continent. «Le [faible] statut de la femme, l’insuffisance de l’éducation, l’absence d’une planification sérieuse, le poids de dogmes religieux ou de superstitions, une gouvernance déficiente et une corruption élevée caractérisent les pays vulnérables.»
«Le droit de décider si elles veulent des enfants»
Le taux de fertilité est un indicateur des effets de la surpopulation, d’après le FNUAP. Dans les régions développées de la planète, l’indice serait de 1,7 enfant par femme; dans les parties moins développées, il monte à 2,6 et à 3,9 dans les régions les moins développées.
En 1994, un consensus global émergeait de l’ONU pour consacrer «le droit des femmes de décider si elles souhaitent avoir des enfants, quand et à quelle fréquence». Les gouvernements lient les droits à la reproduction, l’égalité des sexes et le développement durable.

Une baisse de la fécondité parait «indispensable pour réduire la taille des cohortes futures», martèle le rapport (p. 43). «La population active augmente lorsque les femmes peuvent apporter une contribution effective au marché de l’emploi – ce qui reste également vrai pour les populations marginalisées et exclues», notamment les minorités sexuelles.
L’OIF n’a pas de mandat en matière de santé des populations, précise Dilek Elveren. Son approche serait plutôt de nature socioculturelle. «Par rapport à l’éducation et à l’égalité, il y a un enjeu éminemment important au cœur des questions de population : la santé reproductive et sexuelle des femmes.»
«Ça fait des années que j’entends ce discours»
Sa contribution complémente celle de l’ONU. Les 18 et 19 juin à N’Djamena (Tchad), Dilek Elveren participait à une conférence internationale de l’OIF sur l’éducation des filles et la formation des femmes dans l’espace francophone.
«C’est une question qu’on a prise en main depuis plus de 20 ans. Maintenant, on a aussi un momentum politique du fait d’avoir deux dirigeantes qui sont des femmes [la secrétaire générale rwandaise Louise Mushikiwabo et l’administratrice canadienne Catherine Cano]. On peut vraiment avancer.»
Selon la spécialiste, des comportements doivent changer, comme le réflexe d’accorder la parole aux garçons en classe. «Il faut des outils pour augmenter les compétences sur l’inclusion, pour encourager le personnel à s’adresser de la même manière aux filles.» On aurait aussi évoqué leur pénurie dans les sciences, le génie et les technologies.
La Djiboutienne-Somalienne Amina Hufane, arrivée à Ottawa à l’âge de 17 ans, s’impatiente du rythme du changement. «Cela fait des années que j’entends ce discours, à savoir qu’il faut travailler avec cette population, la sauver. Miser sur la scolarisation des filles et la formation des femmes africaines est une chose, les rendre accessibles en est une autre.»
«Une réflexion sur les relations non consensuelles»
«Ce n’est pas possible pour toutes les familles de scolariser leurs enfants, particulièrement leurs filles, estime la travailleuse sociale. Celles qui vivent une situation de pauvreté n’ont pas ce luxe. Ce serait idéal de parler en termes de gratuité scolaire et de s’assurer que les infrastructures soient en place.»
Amina Hufane se préoccupe de l’inertie en matière d’égalité. «Tant que la fille et la femme auront un statut inférieur au garçon et à l’homme, cela va engendrer différentes formes de violence : physique, sexuelle, psychologique, économique, féminicide, mariage et travail forcé, mutilations sexuelles féminines.»
Les questions de planification familiale et d’autonomisation des femmes figuraient également à l’agenda de la conférence, souligne Dilek Elveren, «pour qu’elles aient moins d’enfants et plus d’accès à l’éducation et à l’emploi».
«Une réflexion reste à faire sur les relations non consensuelles. On peut encourager les filles à adopter des comportements responsables pour qu’elles aient un certain contrôle sur leur vie. On aborde l’accès à l’information comme un droit, pour les femmes et les hommes.»
Plus de 400 personnes de 31 pays ont participé aux débats et produit sept recommandations.
Une baisse de mortalité maternelle d’environ 44 %
Côté santé reproductive, le FNUAP consacre d’importantes ressources pour mesurer l’évolution globale des soins. Il serait le premier distributeur mondial de fournitures et de matériel. Son rapport révèle une baisse de mortalité maternelle d’environ 44 % depuis 1990 dans la région saharienne.
L’organisme évalue les interventions sur l’ensemble du continuum de 20 types de soins disponibles dans 81 pays où sont concentrés «90 % des décès d’enfants de moins de cinq ans et 95 % des décès maternels».
Dans cette couverture se trouvent la planification familiale, les soins prénatals, le traitement du VIH et de la pneumonie, l’accouchement professionnel, les suivis postnatals pour maman et nouveau-né, l’allaitement, les vaccinations et les services d’eau potable.
En 2017, le Canada a contribué 46,6 millions au FNUAP, en 6e place derrière le meneur, le Royaume-Uni, avec 166 millions. La même année, le financement annuel de 32,5 M des États-Unis était coupé. Le président Trump accuse l’organisme de promouvoir l’avortement et la contraception. En termes pluriannuels, la perte s’élève à plusieurs milliards.
Plus de 15 millions de filles mariées de force
La réaction internationale s’est manifestée face à ce recul, notamment par une initiative de la ministre néerlandaise de la Coopération au développement. Lilianne Ploumen a lancé SheDecides, une plateforme globale de financement participatif.
«Chaque année, plus de 15 millions de filles sont mariées de force avant l’âge de 18 ans, estime l’organisme, 16 millions de 15 à 19 ans et un million de moins de 15 ans accouchent. La plupart sont dans les pays en développement. Trois millions d’entre elles de moins de 19 ans avortent dans de mauvaises conditions.»
Le professeur Sandoz cherche des solutions. «Pourquoi ne pas tenter de désamorcer la bombe démographique en augmentant massivement l’aide au développement à ces pays en l’assortissant de conditions strictes en ce qui concerne la gouvernance, les droits de la personne, l’éducation et la planification familiale?
«Ce n’est toutefois envisageable que dans le cadre d’une coalition de toutes les forces, d’une coordination de politiques nationales, d’une mise au pas des autorités religieuses qui sapent les efforts de planification familiale et de fermes sanctions des pratiques de corruption.»
«Réconcilier l’humanité et la planète»
L’OIF tiendra en octobre sa conférence ministérielle annuelle sur cette thématique : «Réconcilier l’humanité et la planète».
«La francophonie a une capacité de mobilisation sur ces problématiques parce qu’on a un volet politique, conclut Dilek Elveren. La question du nombre d’habitants n’est pas l’enjeu, mais d’assurer un monde meilleur pour tous et toutes dans l’espace francophone.»
Marocaine d’origine arrivée au Canada à l’âge de 14 ans, Soukaina Boutiyeb ne craint pas une augmentation de la population. «Il faut voir le potentiel d’avoir plus de personnes dynamiques à qui on peut donner des ressources pour contribuer à la société.»
Le problème : gérer les politiques
«L’Afrique est très riche en termes de ressources naturelles, des minéraux et du pétrole. Beaucoup d’exploitation est possible si les gouvernements le font dans le bon sens, s’ils investissent dans l’éducation et la santé. Pour moi, le problème n’est pas la surpopulation, mais comment on va gérer les politiques.»
La leadeuse francophone reconnait l’ampleur du travail à faire pour appuyer adéquatement les femmes. «Quand elles font des enfants, c’est un choix ou une pression sociale? Est-ce qu’elles le font en connaissance de cause?»
Soukaina Boutiyeb conclut : «On doit faire un travail de sensibilisation qui n’est pas destiné juste aux femmes, mais à la population en général. Si avoir un enfant était la responsabilité de deux personnes, on n’aura peut-être plus besoin de parler de cet enjeu de surpopulation.»