Il est là, juste devant moi. Dix mètres nous séparent et pourtant il reste là, impassible sur son poteau dans son épais manteau blanc. Sa tête pivote, un sourcil se lève de temps à autre pour être certain que je ne m’approche pas plus près. Je recule pour être sûr de pouvoir profiter du spectacle au maximum. Majestueux et emblématique, le harfang des neiges, est une des seules espèces d’oiseaux qui ferait déplacer mes amis non ornithologues.
À force de voir toujours l’herbe plus verte chez le voisin, nous en oublions de regarder ce qui se passe chez nous. Pourtant, nombreux sont ceux qui aimeraient être à notre place. L’Alberta et la Saskatchewan sont les deux provinces où il est le plus facile d’observer le harfang des neiges en période hivernale.

Plus blanc que blanc
L’hiver dernier, lors de ma première rencontre avec Marten Stoffel, bagueur aguerri et certifié de rapace en Saskatchewan, je lui faisais part de mon inquiétude pour repérer les harfangs dans cet océan neigeux et j’avais peur de ne pas être d’une grande aide lors de son transect hebdomadaire. Il a ri et m’a dit « tu penses réellement que la neige est blanche? » Naïvement, je le pensais. C’était avant que mon regard se pose pour la première fois sur un harfang. Un blanc si perçant que la neige qui l’entourait me paraissait bien terne, un blanc qui me laisse à penser que ma machine à laver fait le travail qu’à moitié.
Marten Stoffel n’a pas de cursus scientifique, mais il est tombé amoureux de cet oiseau mystérieux. Il ne compte plus ses heures et son pickup, les kilomètres, où il a attendu que le harfang tombe dans le piège pour pouvoir le baguer et récupérer de précieuses données.
Ces données ont permis à une chercheuse de l’Université de la Saskatchewan, Karen Wiebe, de faire tomber un mythe. Celui qui prétend que les harfangs, poussés par la faim, se dirigent plein sud et arrivent affamés dans nos prairies. Quelque 537 captures de harfangs réparties sur 18 hivers ont permis de démontrer que les harfangs se portent très bien.
Les individus adultes piégés dans la nature avaient une masse corporelle moyenne de 73 % supérieure au seuil d’émaciation; l’émaciation correspondant à un stade d’amaigrissement extrême. Un chiffre qui démontre que la plupart des individus visibles en Saskatchewan ne souffre pas de faim. Les harfangs viennent donc de leur plein gré en Saskatchewan en hiver (animal mythique, je vous l’avais bien dit).
Ils arrivent même lorsque les réserves alimentaires sont suffisantes que certains individus prennent du poids en hiver, augmentant ainsi leurs réserves de graisse sous-cutanée. Il s’agit principalement d’adultes expérimentés pour qui la chasse n’a plus de secrets. Seize-cents lemmings, voici la quantité de petits rongeurs que peut manger annuellement un harfang.
L’hiver semble donc une période propice pour faire le plein d’énergie avant la saison estivale. Tout d’abord, il y aura le grand voyage vers le nord de l’Arctique puis la saison de reproduction où le mâle sélectionnera le territoire et la femelle l’emplacement du nid. Elle incubera ses œufs pendant un mois. Le mâle arpentera la toundra, en quête de proies pour sa petite famille, « le jour comme le jour », la nuit ne faisant pas partie de l’été au pôle Nord.
Profitons au maximum de leur présence, car lorsqu’ils partiront, l’hiver pourrait bien nous manquer…

Chang, A.M., and Wiebe, K.L (2016). Body condition in Snowy Owls wintering on the prairies is greater in females and older individuals and may contribute to sex-biased mortality.
Cirino, Erica (2017). Snowy Owls aren’t Starving: Two Canadian Farmers Help bust a Pervasive Myth.