Ce qui pouvait s’enflammer a pris feu en 2018. Les forêts dans l’Ouest du Canada et des États-Unis, les idées de populistes de droite ainsi que les acquis franco-ontariens et néo-brunswickois. L’année laisse la francophonie canadienne avec des brulures que le cannabis légalisé ne peut soigner.
« Encore une année marquée par le populisme et une violence croissante du discours public », résume le sociologue Mathieu Wade de l’Université de Moncton, avec des conséquences directes sur la francophonie en Ontario et au Nouveau-Brunswick.
Le chercheur à l’Institut des études acadiennes est frappé par « les mobilisations sans précédent — de mémoire récente — qui se propagent au Canada français » en solidarité des Franco-Ontariens. La question politique est claire en Ontario, selon lui, mais il craint pour sa province.
« Au lendemain des élections, on n’était pas sûr qui allait avoir la balance du pouvoir. On avait l’Alliance des gens avec une position assez réfractaire au bilinguisme. On se disait que c’était pire pour nous qu’en Ontario avec Doug Ford, même si on n’est pas dans une situation démographique pareille. »
« En Ontario, il semblait y avoir un vernis »
Mathieu Wade estime que les Acadiens ont un avantage. « On est un peu protégés, même si le premier ministre n’est pas un grand ami des Acadiens. Il doit faire des compromis. Mais en Ontario, il semblait y avoir un vernis, on ne touchait pas trop aux langues officielles, on essayait de faire des gains. Mais maintenant, ça a volé en éclats. »
Depuis que les députés de l’Alliance participent au pouvoir, analyse le sociologue, leur rhétorique anti-bilinguisme semblait fléchir. « Une partie de la population partage un mécontentement, mais ce n’est pas uniquement à l’égard des langues officielles. C’est le mécontentement général des populistes. »
Le gouvernement de coalition a montré ses vraies couleurs le 18 décembre en éliminant les exigences linguistiques à l’embauche d’ambulanciers, afin de pallier le manque chronique de personnel bilingue. La mesure serait en violation de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick.
L’annonce de Fredericton inquiète aussi Éric Forgues, le directeur général de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques. Les gains du populisme sont pour lui « un véritable test pour les langues officielles au pays et ça se joue maintenant. »

« Il reste à voir si la communauté va se mobiliser »
Selon lui, la décision du gouvernement de Blaine Higgs est une douche froide à la veille du 50e anniversaire de la Loi. « Il reste à voir si la communauté va se mobiliser. Ma crainte c’est qu’elle n’est pas suffisamment consciente des enjeux. Les élus non plus d’ailleurs.
« Quand j’entends le seul député francophone au pouvoir, Robert Gauvin, dire que ce n’est pas une question de langue, mais de sécurité, je me dis qu’il reste du travail de sensibilisation à faire auprès des élus et de la population. Beaucoup de recherche montre que la langue est une question de sécurité et de qualité des services. »
Mathieu Wade n’est pas surpris par la décision, une promesse électorale et l’enjeu de la campagne. « C’est un cas limite qui teste le contrat social linguistique, c’est pourquoi on l’aime tant. Il oppose des questions de vie et de mort à des questions linguistiques ; il interroge jusqu’où nous sommes prêts à aller — et qui nous sommes prêts à mettre en danger — au nom des droits linguistiques. »
Il questionne la réaction acadienne centrée sur la protection des acquis. « Il y a probablement des compromis à faire, des gains politiques à chercher. Je ne sais pas si c’est stratégique de déchirer sa chemise pour des ambulanciers bilingues à St. Andrews. À la fois parce que ça ne profite pas aux Acadiens, concrètement, et que ça nourrit un populisme qui s’abreuve à l’intransigeance du droit. »
« Un populisme qui s’abreuve à l’intransigeance du droit »
L’avocate des droits de la personne, Anne Lévesque, est également préoccupée par les gestes de la coalition au Nouveau-Brunswick. Elle se réjouit toutefois de l’émergence récente d’une solidarité pancanadienne, d’abord entre Franco-Ontariens et Acadiens.
La juriste d’Ottawa regrette vivement les attaques du gouvernement Ford contre la communauté franco-ontarienne avec les coupes budgétaires du 15 novembre touchant le Commissariat aux services en français et l’Université de l’Ontario français. Mais la mobilisation générale l’a rassurée.
« Les gens des deux provinces ont été très solidaires, ils revendiquent et deviennent militants. Ils voient le lien entre les politiques provinciales. »
Pour le directeur de la Société historique francophone de l’Alberta, Denis Perreaux, « le splash de l’année » est la réaction aux coupes en Ontario. « Ce qui m’a étonné, c’est le degré de mobilisation nationale sur une question très provinciale. »

« Un imaginaire peut-être en train de se reconstruire »
Après les manifs du 1er décembre, le militant s’est demandé si la solidarité pancanadienne allait se poursuivre. « Lorsqu’on aura la prochaine crise, est-ce qu’il y aura une réciprocité? En principe, les facteurs sont semblables au Nouveau-Brunswick. Est-ce que les gens de l’Ontario vont se mobiliser? »
L’élan de solidarité a gagné les Québécois, rappelle Anne Lévesque. « Il y a une prise de conscience qu’on a des luttes communes, qu’il ne faut pas prendre nos droits pour acquis, même au Québec. On a vu pour la première fois le drapeau franco-ontarien hissé à l’Assemblée nationale. Il reste à savoir si c’est un point tournant dans les relations entre les francophones du Canada. »
Le même drapeau flottant au-dessus de l’hôtel de ville de Montréal a impressionné Mathieu Wade. « L’éclatement du projet souverainiste québécois, à court ou moyen terme, c’est quelque chose d’assez majeur dans la psyché canadienne-française. Il y a peut-être un imaginaire en train de se reconstruire. »
Le sociologue a l’impression que « la question linguistique va encore entrer dans le domaine judiciaire et va faire son chemin ». Dans le contexte, il signale le retour en 2019 du Programme de contestation judiciaire, promis par le gouvernement libéral.

Des mesures sur l’égalité salariale et le harcèlement
L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario compte sur la réouverture du Programme pour appuyer ses prochaines démarches. L’organisme a embauché mi-décembre deux plaideurs d’Ottawa pour élaborer la contestation contre les frappes au Commissariat.
Le juridique est aussi dans les pensées de Anne Lévesque en cette fin d’année marquée par des progrès en matière de droits des femmes. Elle applaudit l’introduction de mesures législatives par Ottawa sur l’égalité salariale et le harcèlement au travail.
« Le fédéral a commencé à offrir du financement aux organismes féministes qui avaient été coupés durant l’époque (du chef conservateur) Harper. » L’avocate insiste également sur l’importance des conclusions de l’Enquête nationale sur les filles et les femmes autochtones disparues et assassinées.
« L’Enquête vient de terminer ses travaux et on attend le rapport final. Les commissaires ont constaté plus de 100 causes de la violence systémique faite aux autochtones. »

Langues officielles : que penser du Plan d’action 2018-2023?
Parmi les évènements de l’année, Éric Forgues revient sur le Plan d’action pour les langues officielles 2018-2023 lancé en mars. L’initiative fédérale bonifie notamment l’aide aux organismes, mais ne constituerait pas un vrai plan d’action.
« Je compte deux objectifs mesurables : une cible en immigration francophone de 4,4 % pour 2023 et une cible démographique de 4 % pour la population hors Québec. Un véritable plan comporterait des objectifs précis avec des moyens clairement identifiés pour atteindre des résultats mesurables. »
Le chercheur regrette l’absence d’un volet pour la recherche et la production de données probantes afin de sonder les besoins et d’appuyer les actions susceptibles d’avoir un impact positif.
Denis Perreaux s’étonne de la réaction sur le terrain à la bonification de l’appui communautaire. « Ça fait 20 ans que je travaille dans le milieu et je trouve curieux que l’augmentation de Patrimoine canadien aux organismes ne fasse pas plus d’éclats. »
Parmi les 500 millions de nouveaux fonds, l’initiative quinquennale comprend une hausse de 390 millions en développement communautaire, dont 62,6 millions destinés aux milieux associatifs.
L’Albertain conclut : « J’aurais pensé que, le jour où il annoncerait une telle augmentation, le gouvernement recevrait plus de crédit, qu’on lui enverrait des bouquets de fleurs. »