« Quarante-deux milles de choses tranquilles ». Le tour de l’île de Félix Leclerc me revient en mémoire alors que je roule vers la province de Doug Ford… Je suis sur l’autoroute 20 d’où on voit l’île d’Orléans. Orléans, commune du sud de Paris, dont le nom s’est inscrit en terre d’Amérique sur cette île du Saint-Laurent, en Louisiane et même en Ontario.
Ce bout de terre flottante évoque ce qu’il y a de plus français en Amérique. Elle est là aujourd’hui, présentant le galbe de son paysage blanchi par l’hiver précoce qui fouette l’Est du pays.
Ce froid bleu est aussi celui qui s’abat sur la francophonie.
En Ontario, Doug Ford prive le commissaire aux services en français de son indépendance et remet aux calendes grecques la création d’une université franco-ontarienne, puis il enlève trois millions de dollars au secteur culturel francophone. Il fait tout ça sans prévenir personne, laissant pantoise l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO).
Le temps est froid aussi au Nouveau-Brunswick. Le parti conservateur minoritaire a besoin de l’Alliance des gens pour gouverner. L’Alliance des gens est un petit parti au relent d’une autre époque, celle où l’Acadie devait descendre dans la rue pour se faire entendre.
Cela nous donne deux gouvernements aux intentions douteuses à l’égard des trois quarts de la francophonie canadienne, 250 000 Acadiens et 500 000 Franco-Ontariens.
Il y a plus de l’Atlantique au Pacifique.
À l’Île-du-Prince-Édouard, la Commission scolaire de langue française songe à poursuivre le gouvernement. Un flou dans l’usage que l’on fait des fonds fédéraux pour l’éducation en français l’inquiète.
De perte en gain
À l’autre bout du pays, la Fédération des francophones de Colombie-Britannique (FFCB) a une cause qui traine contre Emploi et Développement social Canada. En 2008, le fédéral a confié à la province la responsabilité de l’aide à l’emploi. Depuis, les Franco-Colombiens ont perdu cinq centres qui offraient les services dans leur langue.
Deux jours avant de longer le Saint-Laurent, je serpentais dans la partie acadienne des Appalaches… Je venais de lire dans la presse locale qu’une petite école de neuf élèves située à Tide Head, un hameau anglophone, a de quoi répondre à tous ses besoins.
Tide Head, ce sont quelques maisons à flanc de colline au fond de la vallée de la rivière Restigouche qui fracture les Appalaches tout près de la baie des Chaleurs, ainsi nommée par Jacques Cartier… Au nord, c’est le Québec, puis au sud, l’Acadie. N’empêche que c’est nanti de tous ses droits que l’on y fréquente l’école en anglais.
Quand on pense que de Terre-Neuve à la Colombie-Britannique, des écoles 10 à 20 fois plus grandes n’en ont pas autant…
Tout ne va peut-être pas si mal… Les écoles de français par immersion débordent, de plus en plus d’anglophones parlent français, le nombre d’inscrits aux écoles françaises dépasse souvent les attentes et puis, des anglophones se sont dressés contre Ford et ses maléfices.
Hélas, des quotidiens influents comme le National Post et le Ottawa Citizen viennent gâter la sauce.
Randall Denley, éditorialiste au Citizen et ancien candidat conservateur, écrit qu’il « n’y a pas de réelles preuves que les Franco-Ontariens vont avoir moins de services ». « Ce n’est pas l’apocalypse », lance de son côté l’éditorialiste du National Post, Chris Selley.
Je reviens au Tour de l’île du grand Félix. « On veut la mettre en mini-jupe and speak English ». Eh oui, il y en a encore qui en rêvent.
Il fait froid dans ces quarante-deux milles de choses tranquilles en cette saison… À voir ce qui se passe et se pense ailleurs, les brises cinglantes sont à craindre.
Dans la bourrasque, je me suis arrêté à Québec pour entendre un concert de l’auteur-compositeur-interprète acadien Calixte Duguay. Poète engagé, il a offert sa chanson Mourir pour vivre aux Franco-Ontariens. « Y arrive un temps quand ça donne plus rien de parler, il faut crier sa liberté ». Oui certain!
