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le Jeudi 7 juin 2018 20:00 Actualité

Le doublé Trump et Ford cause « la pire crise du gouvernement Trudeau depuis son élection »

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Une capture d’écran de la couverture du journal Le Droit du 8 juin montre le premier ministre élu de l’Ontario, le conservateur Doug Ford, et le capitaine de l’équipe victorieuse de la Coupe Stanley, Alex Ovechkin.
Une capture d’écran de la couverture du journal Le Droit du 8 juin montre le premier ministre élu de l’Ontario, le conservateur Doug Ford, et le capitaine de l’équipe victorieuse de la Coupe Stanley, Alex Ovechkin.
Les tarifs de Donald Trump et l’élection de Doug Ford cette semaine annoncent une hausse des tensions entre les provinces et les partis politiques. Au cœur des enjeux : la gestion des ressources naturelles et le scrutin national de 2019.
Le doublé Trump et Ford cause « la pire crise du gouvernement Trudeau depuis son élection »
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La semaine a commencé sous le choc avec l’imposition par le président américain de tarifs sur l’acier et l’aluminium. Elle s’est terminée avec l’élection d’un gouvernement conservateur en Ontario dont le chef est climatosceptique. Il en résulte que les plans économiques et écologiques du fédéral pourraient être encore plus contestés, autant de l’intérieur que de l’extérieur, annonçant de grands tiraillements.

« L’arrivée de Doug Ford va tout chambarder, croit l’analyste politique Roger Turenne de Winnipeg. Le principal allié du fédéral [le gouvernement ontarien] devient son principal adversaire. Le plan du gouvernement Trudeau de respecter l’Accord de Paris sur le climat a absolument besoin de l’Ontario. »

Il déplore la promesse du chef conservateur de se retirer de l’entente sur le marché du carbone que l’Ontario a conclu avec le Québec et la Californie. « Ford est non seulement hostile à toute taxe, mais il veut aussi encourager les dépenses sur le carbone en coupant celle sur l’essence. »

Même signal de la politicologue Geneviève Tellier, de l’Université d’Ottawa. « La dynamique vient de changer. Justin Trudeau a perdu sa plus fidèle alliée de toutes les provinces. Il s’entendait très bien avec [la première ministre libérale sortante] Kathleen Wynne.

« Monsieur Ford l’a dit souvent durant la campagne qu’il allait se battre contre M. Trudeau, poursuit-elle, qu’il allait joindre son confrère de la Saskatchewan pour amener le fédéral en cour. »

Une approche très 19e siècle sur les ressources naturelles

Selon l’éditorialiste François Bergeron, de L’Express (Toronto), l’élection du chef progressiste-conservateur « bouleverse la donne au national et complique la vie du chef libéral, notamment en raison de son opposition à toute taxe carbone et au système actuel d’échanges de gaz à effet de serre ».

Pour lui, la défaite administrée à Kathleen Wynne constitue un désaveu des politiques fédérales. « Il n’y avait pas de libéraux provinciaux plus proches des fédéraux que ceux de l’Ontario. Wynne a replongé la province dans le rouge alors qu’on allait atteindre le déficit zéro. »

La politicologue de l’Université Lakehead (Thunder Bay), Laure Paquette, partage les mêmes craintes. « Sur l’environnement, c’est à peu près garanti que ça va devenir plus difficile. Doug Ford n’appuie pas l’ordre du jour du premier ministre et il parle d’éliminer la taxe sur le carbone. Mais ça va tellement affecter les finances publiques qu’il sera obligé de faire des compromis. »

La professeure signale qu’en matière d’environnement, tous les partis conservateurs du pays, fédéral inclus, ont une approche dépassée « très 19e siècle » de la gestion des ressources naturelles. « C’est comme pour les déficits, plus on remet ces questions, plus ce sera difficile de s’en sortir. »

« Doug Ford, c’est du Donald Trump tout craché »

Le 7 juin, les conservateurs de Doug Ford ont emporté 76 des 124 circonscriptions en Ontario, limitant les néo-démocrates d’Andrea Horwath à 40 sièges et privant de statut officiel les sept députés libéraux de Kathleen Wynne. L’élection du chef populiste confirme une tendance à droite qui menacerait les politiques et la réélection des libéraux à Ottawa en 2019.

Selon Roger Turenne, un affrontement d’envergure est inévitable entre les deux gouvernements. « Le problème, c’est que le tiers de la population canadienne et 40 % de l’économie sont en Ontario. Si la province ne fonctionne pas, le Canada non plus. »

L’ex-haut fonctionnaire manitobain ajoute que l’élection de Doug Ford survient en même temps que la crise sur les tarifs américains et la visite canadienne de Donald Trump au Sommet du G7. « Les deux évènements représentent peut-être la pire crise du gouvernement Trudeau » depuis l’élection de 2015.

« Doug Ford est un Donald Trump canadien, clame-t-il. Il n’est pas raciste et xénophobe, mais pour le reste, il est ignorant, démagogue et irresponsable. C’est du Trump tout craché. Il faut s’attendre au chaos pour les quatre prochaines années. »

Laure Paquette s’attend à ce que Doug Ford complique non seulement les initiatives libérales, mais aussi les efforts de l’opposition conservatrice à Ottawa. Selon elle, le chef national Andrew Scheer gardera ses distances, comme il l’a fait durant la campagne électorale, en attendant que le nouveau chef ontarien trouve ses repères politiques.

« Il arrive que les alliés politiques sont dangereux et Doug Ford a été tellement vague durant la campagne. S’il s’embourbe — et je m’attends à ce qu’il s’embourbe rapidement — Justin Trudeau va se servir de ça durant la campagne électorale. »

La droite se dirigerait vers une « tempête parfaite »

Il demeure possible, selon la politicologue, que Ford soit « obligé de réfléchir avant d’agir ». Tout dépendrait de sa capacité d’écouter ses conseillers et ses ministres. Geneviève Tellier l’espère aussi, ajoutant que durant sa campagne, le chef a réussi à limiter ses interventions et à contrôler ses messages, évitant de mettre en évidence ses lacunes.

« Doug Ford est novice, mais il a gagné le leadership du parti et l’élection provinciale. Il ne faut pas le sous-estimer. Dans son premier discours de chef, il n’a pas donné l’impression d’être rassembleur. Mais il a une équipe pour l’appuyer, des gens qui vont faire le pont entre le provincial et le fédéral. »

François Bergeron estime que les prochains scrutins provinciaux pourraient mener la droite canadienne vers une « tempête parfaite ». Il mentionne l’éventualité d’une victoire de la Coalition avenir Québec, bien placée pour remplacer les libéraux québécois le 1er octobre. L’effet domino pourrait aussi conduire l’an prochain à l’élection des conservateurs en Alberta aux dépens des néo-démocrates.

Les électeurs pourraient jouer sur les deux fronts, suggère Geneviève Tellier, en élisant une formation au fédéral et un autre au provincial. « L’alternance pourrait jouer en faveur de Justin Trudeau. »

Pour l’instant, la partisanerie est nettement démarquée sur le plan régional. Dans l’Est, le Québec et les provinces de l’Atlantique sont libérales, tandis que les trois provinces du centre sont conservatrices et les deux de l’Ouest appartiennent aux néo-démocrates. Mais tout pourrait changer en 2019.