C’est au cœur de l’Académie française à Paris qu’Emmanuel Macron s’est exprimé devant les académiciens et 300 jeunes conviés pour l’occasion. « Le signal envoyé est très fort », commente Jean-Benoît Nadeau, auteur de plusieurs livres sur la langue française qui a rencontré le président.
Le discours faisait suite à la clôture de la plateforme de consultation en ligne Mon idée pour le français, lancée en janvier dernier et parrainée par l’Institut français. L’objectif : mettre en avant la richesse de la francophonie mondiale en consultant ses membres aux quatre coins du globe.
Changement d’esprit
L’auteur québécois faisait partie des 500 intellectuels chargés d’étudier les 5000 idées reçues dans le cadre de la plateforme virtuelle. Il a même pu rencontrer le président français en comité restreint à l’Élysée. « Les Franco-Canadiens ont de quoi se réjouir », déclare-t-il. Le changement de cap est clair pour le spécialiste de la langue française : « Macron veut une francophonie décentrée, plurielle, où la francophonie n’est plus une périphérie de la France. C’est un discours libérateur », estime Jean-benoît Nadeau.
Pour Denis Desgagné, président-directeur général du Centre de la francophonie des Amériques, l’ouverture affichée par Macron est de bon augure. « La francophonie canadienne a des savoirs et des expériences qui peuvent bénéficier au plus grand nombre. La France n’est pas seule », explique-t-il.
Un Macron conquérant
Le président français est ambitieux. Il veut, entre autres, faire du français la troisième langue la plus parlée au monde, doubler le nombre d’élèves dans les lycées français à l’étranger, qui s’élève déjà à 350 000, faire du français une langue influente dans les médias et sur l’internet, et renforcer son rôle en tant que langue de création.
Puis, c’est toute la diplomatie culturelle qui a été réaffirmée, forte d’un réseau tentaculaire : Institut français, Agence pour l’enseignement français à l’étranger, France Médias Monde, Agence française de développement, Organisation internationale de la Francophonie, TV5 Monde, Alliance française, lycées français… Si depuis plusieurs décennies les efforts de ces organismes s’éparpillaient entre les ministères de l’Éducation, de la Culture et des Affaires étrangères, c’est le Quai d’Orsay qui sera désormais aux commandes. « Les organismes ne recevront plus de signaux contradictoires, ce qui améliorera l’efficacité sur le terrain », relève Jean-Benoît Nadeau.
Le président français a affiché une ouverture inédite en annonçant la création d’une « Académie francophone » qui mettra en relation les académies de différents pays d’expression française. Une mesure applaudie par beaucoup : « C’est nécessaire si on s’intéresse vraiment à la francophonie plurielle. Il faut épouser ces valeurs et avoir une éthique sociale en accord », commente Denis Desgagné. De son côté, Jean-Benoît Nadeau juge l’idée bonne et s’appuie sur l’exemple des hispanophones qui comptent « 23 académies dans 22 pays de langue espagnole, qui se concertent à l’Académie royale à Madrid ».
Nouveaux discours
L’Afrique est revenue plusieurs fois dans l’allocution présidentielle. Car c’est là-bas que réside l’avenir de la francophonie pour beaucoup d’analystes. Selon l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), 80 % de la croissance mondiale du français revient au continent africain. Et grâce à sa démographie, un milliard de francophones sont attendus d’ici à 2065, contre 275 millions aujourd’hui. L’enjeu est donc de taille : « L’Afrique ne veut plus de cette relation de colonisateur, ethnocentrique, relève Denis Desgagné. C’est rafraîchissant de voir l’approche inclusive d’Emmanuel Macron. »
Détail non négligeable : le discours d’Emmanuel Macron était pour la langue française « et le plurilinguisme ». Un point qui n’a pas échappé à plusieurs observateurs : « On parle de plurilinguisme aujourd’hui. Car la francophonie, ce n’est pas qu’une langue. C’est aussi des valeurs : c’est la collaboration, c’est un humanisme », assure Denis Desgagné. En tant que directeur et président du Centre de la francophonie des Amériques, il constate que le français joue un rôle de « trait d’union » entre les cultures, notamment en Amérique latine.
Pour Jean-Benoît Nadeau, l’avenir se fera autour de la notion de « francophonie-projet ». « La francophonie n’est pas une fatalité qui s’imposerait aux pays. C’est quelque chose à bâtir, quelque chose qu’on doit vouloir », analyse-t-il. Et même si la francophonie n’est pas très populaire avec les Français d’après le Québécois, elle l’est pour le reste du monde : « Le plus important, c’est que la France y adhère ».