Hélas, l’automne y a apporté ses pluies froides.
La ministre fédérale de la justice, Jody Wilson-Raybould, a annoncé le 12 décembre qu’elle n’imposerait pas le bilinguisme aux juges du plus haut tribunal du pays. Elle répondait au Comité permanent des langues officielles qui venait tout juste de déposer un rapport sur cette question à la Chambre des communes. Les députés libéraux, néo-démocrates et conservateurs qui y siègent avaient tous conclu que les juges devaient être capables de parler la langue du justiciable, qu’il soit anglophone ou francophone.
À la fin octobre, on a assisté à une volte-face des Libéraux. Eux qui appuyaient ce principe quand ils étaient dans l’Opposition, ont rejeté le projet de loi que les néo-démocrates avaient déposé à cet effet. De l’Opposition au pouvoir, on change en politique.
Le texte avait des failles selon David Lametti, un des députés libéraux qui a voté contre. Il était mal rédigé et ne tenait pas compte des questions constitutionnelles.
La belle affaire ! Si les Libéraux avaient encore la ferveur affichée à l’époque où ils étaient dans l’Opposition, ils pourraient en ficeler un nouveau dans leurs propres mots. L’adopter par la suite ne serait qu’une question de procédure comme c’est habituellement le cas pour les projets de loi émanant du gouvernement.
Mais laissons de côté la joute politique pour confronter l’idéal de notre pays bilingue à la réalité.
L’opinion de la Juge en chef sortante, Beverley McLachlin, est révélatrice à cet égard.
Important les juges bilingues ? Oui, mais pas nécessaire. « Le bilinguisme n’est pas un absolu pour moi. Avoir des juges complètement bilingues est un atout, mais ce n’est pas quelque chose qu’il faut avoir. Il y a d’autres compétences, d’autres qualités que l’on doit rechercher chez un juge », a-t-elle confié dans une entrevue à Radio-Canada.
Voyons maintenant dans la cour du commissaire aux langues officielles.
Raymond Théberge s’est exprimé là-dessus le 5 décembre devant le Comité permanent des langues officielles. Il croit au principe des juges bilingues, mais pas au point de s’y conformer sans discernement. Il faut tenir compte du Canada dans toute sa diversité y compris sa composante autochtone.
On voit tout de suite le problème. Sera-t-il toujours possible de trouver un juge qui réunit toutes les qualités recherchées dans des circonstances particulières tout en étant parfaitement bilingue ? Pas toujours évident.
Rien n’est simple. Le Canada est pays diversifié dont la conduite nécessite d’infinies nuances.
Un mot sur l’alternance au poste clef de l’État en terminant… Cette coutume vieille comme le pays vient de produire une nette convergence vers le français.
Richard Wagner est juge en chef de la Cour Suprême, Julie Payette, gouverneure générale, puis Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles. Tout ce monde est sous la houlette du premier ministre, Justin Trudeau.
On ne peut s’en plaindre, mais n’empêche que les valeurs qui font la somme de deux dans notre pays ne sont pas tout à fait égales. Ça donnerait quelque chose comme un et quart plus trois quarts… Peut-être ?