La baie de Fundy est plus qu’un plan d’eau. Elle est une pulsation à l’échelle planétaire. Elle monte et descend à la vitesse d’un marcheur, pour livrer des marées record et remplir la rivière Petitcodiac en une seule vague jusqu’à Moncton. Elle la vide ensuite pour l’emplir à nouveau ; systole et diastole, le pouls au cœur de l’histoire de la présence française en Amérique.
Ce qui a commencé ici, c’est l’évolution de toute la francophonie canadienne que le dernier recensement a mesurée. Mesurée… avec précision ? Le terme est peut-être un peu fort. En tout cas, le porte-parole du Bloc québécois en matière de langues officielles en doute.
D’après Mario Beaulieu, Statistique Canada compte comme francophone non seulement les Canadiens qui parlent le plus souvent français à la maison, mais aussi tous ceux qui disent le faire régulièrement. Parmi les francophones répertoriés, il y aurait donc des allophones et anglophones dont le français serait langue seconde. C’est la première fois selon Mario Beaulieu que Statistique Canada procède de la sorte.
Ce calcul va nécessairement répertorier davantage de francophones que les recensements précédents. On voit tout de suite le problème… On peut produire des chiffres qui vont traduire sur papier une progression du français qui n’a rien à voir avec la réalité, et qu’on va peut-être surestimer.
La mesure proposée ferait donc état de la présence de la langue française sur le territoire, et non de la vitalité des communautés francophones ; deux choses à ne pas confondre, de toute évidence.
Bien sûr, il faut applaudir que des anglophones et allophones aiment suffisamment notre langue pour en faire usage. En prendre la mesure est fort valable d’autant plus que le Canada peut en tirer avantage sur la scène internationale à titre de pays membre de l’Organisation internationale de la Francophonie.
Cela dit, les chiffres récoltés par un recensement doivent d’abord compter des êtres en chair et en os. Ce sont ces citoyens qui attendent de l’État politiques et programmes qui vont les servir.
Pour les francophones minoritaires, cela signifie des écoles, des services, bref, des initiatives fondées sur la Charte des droits et libertés et la Loi sur les langues officielles qui leur garantit le droit à l’épanouissement et au développement.
Tout ça dépasse les besoins des locuteurs qui ont appris le français après leur langue maternelle. On touche des êtres humains qui veulent vivre ensemble une langue et une culture qu’ils portent dans leur cœur, voire dans leurs gènes.
Après la baie de Fundy, Champlain s’est enfoncé dans le continent pour atteindre Québec. Aujourd’hui, on contemple sa statue juchée sur la pointe Nepean, derrière le Parlement à Ottawa, sur les berges de l’Outaouais, terre des Franco-Ontariens.
Puis la francophonie a poursuivi sa route, loin… loin… Prairies, Rocheuses, taïga, toundra… Pacifique et Arctique… Des hommes et des femmes au verbe français ont marché telle une vague venue de loin pour finir en un mince filet quelque part au pied de la dune.
Ainsi rayonne la francité au Canada. Mais ne perdons pas ceci de vue. Le chiffre qui désigne le francophone de souche compte celui ou celle qui lancera en français tout cri du cœur, soudain et spontané, avant que le cerveau ait eu le temps de traduire.
C’est la langue de l’âme, non pas celle d’un dictionnaire…