le Samedi 19 avril 2025
le Jeudi 30 mai 2024 6:30 Chroniques et éditoriaux

Budget 2024 : la stratégie de la dernière chance pour les libéraux?

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L’augmentation du taux d’imposition sur les gains en capital est une stratégie libérale qui se détaille sur plusieurs plans. .  — Photo : Yorgos Ntrahas – Unsplash
L’augmentation du taux d’imposition sur les gains en capital est une stratégie libérale qui se détaille sur plusieurs plans. .
Photo : Yorgos Ntrahas – Unsplash
CHRONIQUE – L’augmentation du taux d’imposition sur une partie du gain en capital ressemble à une manœuvre de la dernière chance pour Justin Trudeau. Après trois mandats à défendre surtout les intérêts des babyboumeurs, il doit séduire un électorat composé de plus en plus de millénariaux et de jeunes de la génération Z.
Budget 2024 : la stratégie de la dernière chance pour les libéraux?
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Les électeurs touchés par les inégalités intergénérationnelles sont très courtisés à la fois par les libéraux et par leurs adversaires. Si les libéraux n’ont pas la faveur des électeurs âgés de 30 ans et plus, quelques électeurs âgés de 18-29 ans semblent ouverts à leur message. 

Justin Trudeau tente notamment de rebâtir son image pour regagner les appuis des plus jeunes électeurs de plus en plus nombreux – surtout les locataires âgés de 18-29 ans. Il est trop tôt pour savoir si ses efforts porteront fruit.  

Les Canadiens sont plutôt divisés sur l’augmentation du taux d’imposition sur le gain en capital – une mesure phare du budget fédéral de 2024. D’un côté, des sondages de la firme Abacus suggèrent que les libéraux regagnent des appuis chez les jeunes de moins de 30 ans, et un autre souligne que plus de jeunes – comparé aux autres groupes d’âge – disent que le budget a amélioré leur perception du gouvernement. D’un autre côté, un sondage réalisé par la firme Léger suggère que les libéraux sont au troisième rang avec seulement 14 % des intentions de vote chez les électeurs de 18-34 ans. 

Chez les électeurs dans la trentaine et la quarantaine, les conservateurs de Pierre Poilievre conservent tout de même une longueur d’avance encore très importante selon ces mêmes sondages.

Comme solution à la crise du logement et à la question de l’abordabilité du cout de la vie, le premier ministre tente de taxer davantage ceux qu’il considère être «les riches» pour financer (indirectement) la construction de logements abordables pour les jeunes et les familles de la classe moyenne.

La crise du logement au Canada n’a pas été causé par un seul évènement ou un seul facteur.

Photo : Rivage - Unsplash

Rappelons que la crise du logement au Canada est causée par plusieurs facteurs. Il y a entre autres la planification urbaine, les taux d’intérêt à leur plus bas jusqu’en 2022, la pénurie de main-d’œuvre spécialisée dans la construction, et les politiques de Justin Trudeau, telles que l’augmentation des niveaux d’immigration permanente et temporaire. 

Cette dernière politique a rapidement fait augmenter le nombre de nouveaux arrivants, rendant ainsi la vie peu abordable pour bon nombre d’immigrants eux-mêmes ainsi que pour bien d’autres Canadiens.

Une portée difficile à cerner

Justin Trudeau propose de faire passer le taux d’inclusion de l’impôt sur les gains en capital de 50 % à 66,67 % pour des gains de plus de 250 000 $ réalisés par un particulier dans une même année. 

Pour les entreprises, l’augmentation touchera en principe tous les gains en capital, même ceux qui permettraient de réinvestir dans la création d’emplois. Il va falloir attendre le texte du projet de loi du Parti libéral pour voir s’il y aura des exceptions. 

Justin Trudeau prétend que seulement les contribuables les plus riches seront touchés par la mesure annoncée dans le budget. Il passe sous silence que l’augmentation aura des répercussions sur beaucoup d’ainés qui misaient sur la vente d’un édifice à revenus ou d’actions achetées il y a 30 ans pour financer leur retraite.

Les chiffres qu’il utilise pour faire valoir que peu de contribuables seront affectés sont réfutés par des économistes. Les données du gouvernement soulignent aussi que 300 000 entreprises qui déclarent des gains en capital qui seront touchées par cette nouvelle mesure. Les entrepreneurs auront moins intérêt à investir dans de nouveaux projets et moins de capitaux pour le faire.

Le gouvernement offre un «nouvel incitatif aux entrepreneurs canadiens» pour limiter l’incidence sur les plus petits entrepreneurs. Cependant, les statistiques citées par le gouvernement sont celles des impôts d’une seule année. Ils ne prennent pas en compte les gains en capital qui n’ont pas encore été réalisés par les particuliers et les entreprises et qui seraient assujettis au taux d’inclusion supérieur quand les actifs imposables seront éventuellement vendus.

À lire : Budget 2024 : les riches paieront les nouvelles dépenses d’Ottawa

Les conservateurs coincés?

Plusieurs regroupements de gens d’affaires et des analystes économiques critiquent l’augmentation du taux d’imposition du gain en capital.

En temps normal, on pourrait croire que les conservateurs se porteraient plus à la défense des ainés et des créateurs de richesse. En 1999, nul autre que Pierre Poilievre disait favoriser l’abolition de l’impôt sur les gains en capital. Cependant, en tant que chef du parti, il fait appel aux travailleurs et aux jeunes dans ses messages politiques, plus qu’aux investisseurs dans un contexte où les inégalités de richesse augmentent.

Pierre Poilievre tente de maintenir une image de «Robin des Bois», qui est peu compatible avec la défense des «riches» investisseurs. Il s’abstient de commenter définitivement la mesure, mais il devra se prononcer quand le projet de loi sera déposé, si ce n’est pas avant.

Les conservateurs attendent probablement un changement de narratif ou d’opinion dans le débat public avant de s’avancer. Ou encore l’émergence d’autres détails concernant la portée et l’incidence des mesures, le texte du projet de loi ou même les résultats de sondages.

Comme tous les autres partis politiques, ils tentent d’éviter tout ce qui pourrait contredire ce qui est au cœur de l’image de leur chef. L’intégrité de l’image, voire sa simplicité, est valorisée en communication politique.

Prendre position contre la mesure risquerait d’être difficile à expliquer sans ternir l’image des nouveaux conservateurs, qui favorisent les jeunes travailleurs, et rappeler une image moins flatteuse, même mythique, des vieux riches conservateurs d’antan.

La ministre des Finances, Chrystia Freeland, n’a pas inclus le nouveau taux d’inclusion de l’impôt sur les gains en capital dans le projet de loi budgétaire. 

Photo : Julien Cayouette - Francopresse

La ministre des Finances, Chrystia Freeland, n’a pas inclus le nouveau taux d’inclusion de l’impôt sur les gains en capital dans le projet de loi budgétaire. Il fera plutôt l’objet d’un autre projet de loi séparé qui sera présenté avant l’été. Cette stratégie protègera les autres mesures budgétaires et assurera leur adoption plus rapide. 

La tactique permet aussi au gouvernement d’attirer plus d’attention sur la difficile prise de position de M. Poilievre. Si sa réponse semble nuire à son image, les libéraux n’hésiteront pas à prolonger le débat public. 

Est-ce qu’un éventuel gouvernement conservateur renverserait la mesure? Il est assez difficile pour les gouvernements de se priver de revenus qu’ils ont l’habitude de recevoir. La dépendance à ces revenus peut se développer assez rapidement.

Le gouvernement libéral du premier ministre Jean Chrétien a maintenu la TPS du gouvernement progressiste-conservateur précédent, malgré la promesse de l’abolir. 

Chez les conservateurs actuels, plusieurs favorisent une simplification des lois concernant les impôts et les taxes. Dans l’éventualité d’un gouvernement majoritaire, ils pourraient aborder la question dans ce contexte, si la volonté ainsi que les conditions politiques et économiques sont réunies. 

Au cours des prochaines semaines, on verra si la tendance permet aux libéraux de confirmer la sagesse de leur mesure – et à Pierre Poilievre de se prononcer davantage sur le sujet.

Carl Dholandas est conseiller en politiques publiques et en communication stratégique. Avocat-conseil en droit public et en droit des affaires, il a occupé des postes exécutifs aux ministères des Finances, de l’Industrie, de la Justice, de l’Immigration et des Affaires mondiales.

Type: Opinion

Opinion: Contenu qui avance des idées et qui tire des conclusions fondées sur une interprétation des faits ou des données émanant de l’auteur.