Ottawa s’apprête à mettre en œuvre une importante réforme de sa fiscalité. Plutôt que de couper dans ses dépenses pour financer ses programmes et équilibrer le budget, le gouvernement augmentera substantiellement ses revenus.
Les quelque 40 000 contribuables les plus fortunés du pays, ceux dont les revenus annuels bruts sont de plus de 1,4 million de dollars en moyenne, se partageront une facture de près de 19,4 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années.
Le gouvernement fait passer la portion imposable des gains en capital de 50 % à 66,6 % à partir du 25 juin. Pour les particuliers, ce changement s’appliquera seulement aux gains en capital dépassant 250 000 dollars.
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Piger dans les poches des plus riches
Le gouvernement a pris soin, dans la mesure du possible, d’exempter les propriétaires de petites entreprises pour aller chercher l’argent dans les poches des plus riches ou de leurs fiducies.
Les gains en capital sont les revenus qu’un particulier ou une entreprise tire de la vente d’un bien immobilier ou d’actifs financiers, comme des actions. Les contribuables les plus riches déclarent davantage de gains en capital que la classe moyenne et bénéficient donc d’un taux d’imposition avantageux.
Autrement dit, ils ne paient pas leur juste part d’impôt.
En faisant entrer en vigueur cette augmentation le 25 juin, le gouvernement fait le pari que les contribuables visés liquideront une part de leurs actifs avant cette date. Ottawa espère de la sorte engranger 6,9 milliards de dollars dès cette année.
Et c’est ainsi que les libéraux ont résolu la quadrature du cercle.
Le déficit que tout le monde voyait exploser, y compris le directeur parlementaire du budget pas plus tard que le mois dernier, restera conforme aux attentes de la mise à jour économique de l’automne pour s’établir à un peu moins de 40 milliards de dollars.
Il n’y a pas de retour à l’équilibre budgétaire en vue, mais le gouvernement prévoit que le déficit se résorbera progressivement.
De toute manière, tant que le déficit se situe autour de 1 % du produit intérieur brut, il n’y aura aucune inquiétude des marchés ou des agences de notation.
À moins que les prévisions économiques les plus pessimistes ne se concrétisent, le gouvernement pourrait même jouir d’une marge de manœuvre pour son budget de 2025, qui annoncera son programme électoral.
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Un calcul politique astucieux
En proposant de financer des programmes couteux, mais populaires, le gouvernement libéral de Justin Trudeau se distinguait déjà de son adversaire conservateur. En le faisant en augmentant massivement les impôts des plus riches plutôt qu’en creusant le déficit, il vient rendre la distinction encore plus nette.
Pierre Poilievre martèle depuis des semaines ses thèmes de campagne. Il souhaite baisser les impôts, équilibrer le budget, bâtir des logements et réduire la criminalité. Il peut bien s’opposer à des programmes sociaux couteux, mais si le déficit est maitrisé, son programme d’austérité sera moins attrayant pour les électeurs.
Il sera aussi difficile pour les conservateurs de s’insurger contre l’augmentation du fardeau fiscal des plus riches.
Dans un tel contexte, que fera Pierre Poilievre? Réduire le déficit est un objectif louable, mais à quel prix? En supprimant le nouveau programme d’assurance dentaire? En reculant sur l’implantation de places en garderie à 10 $ par jour?
Certainement pas en réduisant les nouvelles dépenses militaires annoncées la semaine dernière. Faire des compressions dans la fonction publique sans nuire aux services a ses limites, et trouver des dizaines de milliards de dollars de cette manière est une lubie.
Courtiser les millénariaux et la génération Z
Le gouvernement Trudeau a dans sa mire les électeurs de 40 ans et moins. C’est la tranche démographique la plus susceptible de voter pour lui aux prochaines élections s’il peut réussir à faire sortir leur vote.
La question de l’accès au logement abordable et à la propriété est cruciale pour ces électeurs et le gouvernement multiplie les mesures en ce sens. Il veut construire des logements abordables ou à vocation sociale sur ses terrains inutilisés, faciliter l’accès au financement des premiers acheteurs et se porter à la défense des locataires.
Il manque plus de trois-millions de logements au Canada pour rééquilibrer le marché. Étant donné l’ampleur du problème, les nouvelles sommes consacrées à cet enjeu dans le budget sont étonnamment limitées. Le gouvernement prévoit seulement un à deux-milliards de dollars de nouveaux investissements par an au cours des cinq prochaines années.
La ministre Freeland a déclaré en conférence de presse que la solution à ce problème n’est pas d’octroyer davantage de fonds fédéraux, mais de réduire le fardeau administratif.
En ce sens, le gouvernement Trudeau empiète largement sur les champs de compétence provinciale et municipale. Il rend le financement fédéral conditionnel à l’adoption de ses solutions.
Par exemple, le nouveau Fonds canadien pour les infrastructures liées au logement, qui sert à financer les infrastructures municipales, exige des villes qu’elles adoptent de nouveaux règlements de zonage qui favorisent la densification. C’est une stratégie qui semble calquée sur les propositions des conservateurs.
Le gouvernement met en place ou bonifie un ensemble d’autres mesures qui ciblent spécialement les jeunes adultes : amélioration des programmes de prêts et bourses d’études, investissement dans la formation professionnelle, augmentation du nombre de places abordables en garderie, création d’un programme d’alimentation scolaire, etc.
Les pions sont en place. Reste à voir si la stratégie du gouvernement lui permettra de remonter dans les intentions de vote.
Des nuages à l’horizon
En terminant, mentionnons que même si les perspectives budgétaires semblent bonnes, plusieurs risques pèsent sur les finances du gouvernement.
Si les revenus ne sont pas au rendez-vous dans les prochaines années, le gouvernement pourrait perdre le contrôle de la dette. La planification budgétaire du gouvernement dépend d’une baisse prochaine des taux d’intérêt et d’une croissance régulière de l’économie.
Du côté des dépenses, avec le vieillissement de la population canadienne, les prestations aux personnes âgées pèsent de plus en plus lourd dans les finances du gouvernement. C’est déjà le programme fédéral le plus couteux.
Le gouvernement versera plus de 80 milliards de dollars à plus de 7 millions de personnes âgées en 2024-2025. Cette somme s’élèvera à plus de 100 milliards de dollars par année dans cinq ans.
Les transferts en santé arrivent au deuxième rang des programmes les plus couteux, et la croissance des dépenses dans ce secteur est aussi liée au vieillissement de la population.
David Dagenais est journaliste économique indépendant et entrepreneur. Auparavant, il a été journaliste à Radio-Canada après avoir terminé des études supérieures en économie politique à l’UQAM et à l’Université d’Ottawa.