L’histoire de la Coopérative était intimement mêlée à celle de la communauté. Tout comme un tapis hooké s’effiloche si on en tire un fil, la démolition a fait remonter à la surface son histoire et celle des nombreuses générations qui ont façonné la Coopérative artisanale et qui ont donné au tapis hooké une reconnaissance internationale.
L’entreprise a déjà été très prospère et a joué un rôle vital dans l’industrie du tapis hooké de Chéticamp. Ce système coopératif était très efficace et éliminait les intermédiaires entre les acheteurs et les artisans, permettant à ces derniers de gagner plus d’argent pour leurs efforts. La Coopérative a aussi permis d’augmenter considérablement le prix du tapis hooké.
Ethel (John LeFort) Deveau de Chéticamp, ancienne hookeuse et membre de longue date de la Coopérative artisanale, était triste de voir la démolition de l’édifice. « C’est une perte pour notre communauté, car c’était autrefois une bonne entreprise qui employait plusieurs personnes. Je me rappelle aux débuts quand Olivia (à John à Joe) Aucoin recevait nos tapis hookés et qu’elle les envoyait ailleurs pour les vendre. Nombreux sont ceux parmi nous qui se sont rassemblés pour appuyer cette Coopérative et connaître une certaine prospérité. C’est vraiment dommage que nous ne puissions pas continuer cette affaire, mais malheureusement, les temps ont changé et il y a tellement d’obstacles. »
Depuis le début des années 1920
L’histoire de cette coopérative remonte à l’époque de Lillian Burke. Lors d’une visite dans la région au début des années 1920, Mlle Burke a reconnu les talents des Chéticantins et s’est rendu compte que les dames accueillaient ses conseils afin d’améliorer leurs tapis.
C’est ainsi que l’industrie du tapis hooké a commencé. Mlle Burke a enseigné de nouvelles techniques aux dames sur la teinture de la laine et sur d’autres aspects de cette forme d’art. Le style des tapis a changé, et la nouvelle apparence des tapis était un point tournant. Mlle Burke a joué un rôle très important et était très dévouée à lancer notre industrie du tapis hooké. Elle a contribué à développer cette forme d’artisanat à la perfection, artisanat qui est maintenant reconnu de par le monde.
On estime qu’à l’époque, deux cent cinquante hookeurs et hookeuses travaillaient de leur maison. Mlle Burke faisait l’aller-retour de Chéticamp à New York en laissant des commandes pour des tapis de toute variété et taille.
Cette dame n’était pas étrangère à Marie-Stella (à Joseph à Jim LeBlanc) Bourgeois : elle venait visiter sa mère Marguerite. Celle-ci avait toujours sur le métier un grand tapis auquel elle travaillait avec un groupe de femmes. Inspirée par cet entourage productif, Marie-Stella n’était âgée que de quatre ans quand Mlle Burke a reconnu que l’enfant avait un grand talent pour le tapis hooké. Elle a même présenté le travail de Marie-Stella en exposition à New York et payé dix dollars à la famille. Bien que Marie-Stella se soit éloignée de l’art du hookage au moment de poursuivre ses études, elle s’est remise à la création de jolis tapis après avoir épousé Louis‑Léo Bourgeois.
Louis-Léo était gérant de la Coopérative de Chéticamp à l’époque et accueillait souvent des représentants des coopératives des provinces maritimes. Ces derniers pouvaient voir les tapis de Marie-Stella et ont encouragé les gens à former une coopérative pour vendre leurs produits.
Les Chéticantins se sont rendu compte que Mlle Burke achetait les tapis qu’elle revendait à un meilleur prix. Marie-Stella, avec un groupe de gens qui avait la coopération à cœur, a décidé de tenir leur bout. La Coopérative artisanale du tapis hooké de Chéticamp a été incorporée en 1963 pour assurer la survie de l’industrie en achetant et en revendant ces créations artisanales.
La naissance de la Coopérative
Un comité a été formé et a vite acheté l’ancienne salle des pompiers. Les femmes ont travaillé fort pour nettoyer, polir et peindre le vieil édifice pour que, le 15 juin 1964, la Coopérative artisanale puisse ouvrir ses portes.
La boutique était décorée de tapis hookés de toutes les tailles et formes. Une personne était embauchée sur une base régulière et d’autres ont offert leurs services bénévolement dans la boutique. Cette coopérative particulière se spécialisait dans les ventes en gros et au détail des tapis locaux, des décorations murales, napperons, sous-verres, etc.
L’art du tapis hooké q ses propres styles et patrons. La plupart des tapis fabriqués à la main incorporaient les couleurs pastel et les fleurs nuancées avec une bordure de feuilles vertes. Cependant, de plus en plus, on retrouvait des tapis présentant des scènes, portraits et des tapis élaborés selon des spécifications précises.
Durant la première année d’exploitation, la Coopérative a accueilli plus de 4000 visiteurs (y compris plusieurs tournées d’autobus) et le nombre a sans cesse continué à augmenter.
En 1967, un petit musée avec des antiquités de la région s’est annexé à la Coopérative, et des employés y ont démontré les techniques du passé quand les femmes cardaient la laine et tissaient des couvertes et des tapis.
En 1976, le magasin était devenu trop petit pour accueillir les nombreux visiteurs et pour présenter les produits. Une extension a été ajoutée et le musée a été installé au sous-sol avec une petite cafétéria où des repas acadiens étaient préparés et appréciés de la clientèle.
Au cours des dernières décennies, l’édifice avait l’apparence d’abriter deux édifices. En effet a Coopérative artisanale a fini par faire l’acquisition du garage Texaco voisin et a joint les deux édifices. D’un côté, il y avait la boutique et, de l’autre, le Restaurant acadien où les visiteurs pouvaient vivre une expérience acadienne unique et authentique. On se souvient bien des tartes au caramel écossais, des fricots et chaudrées au poisson, des pâtés à la viande et encore plus.
Au fil des ans, il y a eu plusieurs modifications à l’édifice : son décor, son personnel, etc., mais une chose qui n’a jamais changé, c’est la persévérance de la Coopérative artisanale dans son but de maintenir l’industrie du tapis hooké bien vivante et vibrante.
Les défis
Ces dernières années, la coopérative a fait face à de nombreux défis. Dans une dernière tentative de sauver l’entreprise, il y a eu une restructuration et une toute nouvelle image dans la boutique reconnue au niveau mondial pour son grand choix de créations des artisans locaux. Il y a aussi eu des changements au Restaurant acadien avec un menu différent et des costumes du xviiie siècle. Malgré ces efforts, le dévouement de nombreux bénévoles et employés et l’appui de la communauté, la dernière saison d’exploitation a eu lieu en 2013. En 2014, il y a eu un encan pour vendre le contenu de l’édifice. La propriété appartient maintenant à la Coopérative de Chéticamp.
David MacDonald, gérant de la Coopérative de Chéticamp, a expliqué les plans d’avenir pour le terrain. « Afin de nous permettre de prendre possession de la Coopérative artisanale, il fallait faire une évaluation environnementale complète parce qu’il y avait eu une station‑service sur les lieux et qu’il fallait déterminer les contaminations possibles du sol et de l’eau. Les conditions d’approbation de la dépollution environnementale étaient d’éliminer l’empreinte de l’homme, ce qui a entraîné la démolition complète de l’édifice et la mise hors service de la source d’eau. »
Le site de l’ancienne Coopérative artisanale permettra à la Coopérative de Chéticamp d’organiser d’autres projets et de fournir du stationnement supplémentaire.
De nombreuses personnes ont été impliquées, et certaines ressortent dans la réussite continue de la Coopérative artisanale. On note Marie Élizabeth (Cormier) Deveau ainsi que Marie-Louise (LeFort) Cormier, qui était la première présidente de cette coopérative et une ardente défenseure. Elle était reconnue pour ses tapis hookés uniques, sa capacité d’estamper les dessins sur les toiles et ses techniques de teinture de la laine. Luce‑Marie Boudreau, hookeuse formidable et ancienne présidente, est devenue gérante de l’entreprise. Son travail acharné et sa détermination ont grandement contribué à l’expansion et à la réussite des années suivantes sur une longue période. Il y a aussi Edna Poirier qui a démontré l’art de hooker le tapis à des milliers de visiteurs. Diane (à Dénis à Simon Muise) Poirier a pour sa part commencé à travailler en 1977 dans la boutique et est plus tard devenue gérante (1989‑2012). En 2013, Darlene (à Raymond) Doucet était la gérante.