«C’est la première fois au Canada qu’un gouvernement s’engage à éradiquer l’insécurité alimentaire, salue Valerie Tarasuk, professeure en Sciences de la nutrition à l’Université de Toronto. Mais j’attends de voir quelles stratégies la province va mettre en place, ce n’est pas encore très clair».

Les objectifs annoncés dans la nouvelle loi de l’Î.-P.-É visant à éradiquer la pauvreté sont extrêmement ambitieux : réduire de moitié l’insécurité alimentaire d’ici à 2025, avant d’y mettre totalement fin en 2030.
Chez les enfants, elle doit carrément disparaitre dans quatre ans selon le texte. «Je ne sais pas si c’est réaliste, je reste marquée par des années de promesses non tenues, surtout qu’il peut y avoir un nouveau gouvernement entre temps, réagit Jennifer Taylor, professeure de nutrition à l’Université de l’Î.-P.-É. Pour que ça marche, il faut qu’il y ait une véritable volonté politique derrière».
Comment venir à bout d’un fléau en moins de dix ans?
La province doit concentrer ses efforts sur les Insulaires à faible revenu, mettre plus d’argent dans leurs poches, ce sont eux les plus vulnérables.
«On ne résout pas ce problème avec des banques alimentaires et des programmes d’aide alimentaire», renchérit Valerie Tarasuk.
Revenu minimum à 19 $ de l’heure
Les deux nutritionnistes évoquent plusieurs leviers d’action possibles. Alors que 86 % des Insulaires qui bénéficient d’aides sociales mangent mal ou pas à leur faim, Valerie Tarasuk propose d’augmenter le montant de ces allocations.
«Les gens doivent pouvoir s’acheter de la nourriture de qualité en quantité suffisante afin de satisfaire leurs besoins nutritionnels et leurs préférences alimentaires, sans avoir à sacrifier leurs autres besoins essentiels», explique-t-elle.
«Cette augmentation doit intervenir d’ici six mois», abonde Hannah Bell, députée verte à l’origine de la loi votée à l’Assemblée législative.
Jennifer Taylor appelle de son côté à lever certaines barrières qui existent pour accéder aux aides sociales : «Ce n’est pas parce qu’on réussit à travailler et à gagner un peu d’argent qu’on ne doit plus être éligible».

L’autre enjeu aux yeux des spécialistes, c’est le montant du salaire minimum qui doit être revu à la hausse. Car de nombreuses personnes souffrent d’insécurité alimentaire alors même qu’elles travaillent. Récemment, le revenu minimum est passé à 13 $ de l’heure, mais cela reste insuffisant selon Hannah Bell.
«Pour sortir les Insulaires de la pauvreté, il faudrait l’augmenter à 19 $, nous devons être plus agressifs», défend l’élue.
Demander l’aide du fédéral?
Au-delà des salaires, le marché de l’emploi doit être repensé. Les personnes victimes d’insécurité alimentaire sont en effet souvent des travailleurs saisonniers qui multiplient les jobs précaires et les contrats à temps partiel.
«Il faut améliorer la sécurité de l’emploi avec plus de temps pleins», plaide Jennifer Taylor. Valerie Tarasuk prône également moins d’impôts pour les contribuables les plus pauvres.
Mais la chercheuse prévient, ces mesures ne seront pas suffisantes. Elle insiste, la province devra travailler avec le gouvernement fédéral pour revoir le fonctionnement de l’assurance-emploi et augmenter l’allocation canadienne pour enfants.
«Ces mécanismes ne protègent pas bien les Canadiens de l’insécurité alimentaire», souligne-t-elle. Un avis que ne partage pas Hannah Bell.
On n’a pas besoin de l’aide du fédéral, on peut le faire, ce n’est pas une barrière d’argent, c’est une question de priorité.

Plus de logements sociaux
Jennifer Taylor rappelle quant à elle l’importance d’agir sur les autres dépenses des ménages, que ce soit le logement ou la santé. Elle réclame notamment la construction massive de logements sociaux à prix abordables et la mise en place d’un régime public universel d’assurance médicaments.
«Pour que les gens n’aient plus à se priver de nourriture quand ils doivent payer leur loyer et se soigner», dit-elle.