Le premier incident s’est passé lors d’une récente vacance dans les Caraïbes. Comme des centaines de milliers de Canadiens, nous avions décidé de fuir l’hiver pour un centre de villégiature dans le sud. Sans que nous le sachions avant d’y arriver, celui que nous avions choisi était surtout fréquenté par des Américains.
Dans ce genre d’endroit, on rencontre toutes sortes de gens venus de plusieurs horizons. On jase un peu pour faire connaissance. D’où venez-vous? Est-ce votre première fois ici? Vous faites quoi dans la vie? Il y a certains sujets, la religion et la politique, que la plupart des voyageurs évitent.
Dans le cas qui nous préoccupe, nous avons rencontré trois couples avec qui nous avons sympathisé autour de quelques margaritas dans la piscine. La discussion étant agréable — les margaritas itou — quelqu’un a suggéré que nous soupions ensemble. Quelques heures plus tard, nous nous sommes donc retrouvés dans un des restaurants du centre à manger des steaks et à parler des enfants et petits-enfants, du travail, de voyages.
C’était sans compter sur le vin qui délie les langues. Vers la fin du souper, un des convives américains a commencé à parler politique, soulevant la question du contrôle des armes à feu. Je n’ai pu résister à la tentation d’affirmer poliment que toutes les statistiques démontrent que les pays, comme le Canada, qui exercent un tel contrôle comptent beaucoup moins de meurtres par armes à feu que les États-Unis. Oh là, là! J’aurais dû me la fermer. Je vous fais grâce des arguments qui ont fusé de la part de ces adeptes du gun. Qu’il suffise de dire que le souper s’est terminé assez tôt.
Histoire courte, le lendemain, un seul des trois couples nous parlait encore. J’ai alors vécu ce que les Américains vivent depuis plusieurs années, le fossé qui existe entre des gens qui ne partagent pas les mêmes opinions. J’ai trouvé ça désolant.
Deux jours plus tard, ma femme et moi étions dans le lobby et nous avons aperçu un des couples qui étaient sur leur départ. Nous sommes allés leur serrer la main en leur souhaitant bon retour. C’est ainsi que nous sommes au Canada. On peut avoir des opinions contraires, voter différemment, prier à différents dieux, mais continuer d’être amis.
Enfin, c’est ce que je croyais jusqu’à notre retour au pays en pleine crise Wet’suwet’en versus Coastal Gas Pipeline. Les opposants au projet étaient montés aux barricades et leurs actions déplaisaient à plusieurs. On peut comprendre que des gens incommodés par le blocage de certaines routes et chemins de fer manifestent leur mécontentement. Mais certains commentaires racistes et haineux que j’ai vus sur les réseaux sociaux ne sont pas acceptables. Pas ici.
Je ne parle pas ici de commentaires questionnant les droits autochtones ou la construction d’oléoducs. Ou encore d’expressions de soutien à l’une ou l’autre des parties en cause. Ce que je déplore ce sont littéralement des appels au meurtre de protestataires. Des commentaires comme «je pourrais nettoyer ça en fonçant dans le tas avec mon camion» ou d’autres encore plus explicites.
J’y ai vu le Canada glisser lentement vers un discours sans issue, et pire, vers la haine. J’ai vu mon pays radicalement divisé par une question sociopolitique qui ne peut être réglée que par le dialogue. J’ai vu la démagogie appuyée par la violence. Et j’ai eu peur.
Je ne veux pas que nous devenions comme les Américains.