Le 21 février, Anita Anand a dévoilé les premières mesures que prendra le gouvernement fédéral afin de contrer le racisme antinoir dans la fonction publique.

La présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, a dévoilé les premières mesures du Plan d’action pour soutenir le personnel noir de la fonction publique, le 21 février.
«Le plan vise à accroitre les possibilités de mobilité professionnelle et à améliorer la santé et la sécurité psychologiques du personnel noir», rapporte le Conseil du Trésor dans un communiqué.
Dans les budgets de 2022 et 2023, Ottawa s’était engagé à investir 49,6 millions de dollars pour créer des programmes de perfectionnement professionnel et un fonds pour la santé mentale du personnel noir de la fonction publique.
Le programme d’aide aux employés (PAE), offert dans plus de 90 ministères et organismes fédéraux, recevra près de 6 millions de dollars de cette enveloppe, afin d’améliorer ses services auprès des personnes noires de la fonction publique.
Un peu plus de 8 millions de dollars sont réservés à l’avancement professionnel des fonctionnaires des communautés noires et au programme de leadeurship.
«C’est de la poudre aux yeux»
Une employée noire qui a plus de 15 ans d’expérience dans la fonction publique s’est dite déçue de l’annonce d’Anita Anand. Elle préfère rester anonyme afin d’éviter des répercussions sur son emploi.
«C’est problématique sur plusieurs niveaux, dit-elle en entrevue avec Francopresse. Dans la fonction publique. Il y a plusieurs rangées, c’est comme une pyramide, et plus tu montes, plus c’est des hommes blancs», dit-elle en se basant sur une publication de la Commission de la fonction publique du Canada (CFP) datant de janvier 2021.
La vérification faite par la CFP stipule en effet que «les candidats noirs ont connu la plus grande diminution de représentation entre l’étape de la demande d’emploi et celle de la nomination (de 10,3 % à 6,6 %)».
À la lumière de ces données, la fonctionnaire croit que le programme de leadeurship pour les cadres des communautés noires, présenté par Anita Anand, ne s’attaque pas à la source du problème.
Selon elle, il ne s’attaque pas directement à la discrimination, présente dès l’embauche, ni au souci de rétention et de promotion des employés noirs qualifiés de la fonction publique.

Kethlande Pierre est optimiste face au plan d’action annoncé par le Conseil du Trésor.
Souvent, dans la fonction publique, les cadres sont nommés à un poste selon différents critères, sans passer à travers un processus de sélection formel, avance-t-elle. «Ça arrive très souvent et c’est rare que les Noirs en bénéficient.»
«C’est de la poudre aux yeux. C’est rearranging the chairs on the Titanic. Et on n’a aucune confiance ni aux propositions faites par [la présidente du Conseil du Trésor, Anita] Anand ni au gouvernement Trudeau», se désole-t-elle.
Une confiance à rebâtir et un changement de culture nécessaire
Si Kethlande Pierre, directrice adjointe de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, Innovation, sciences et développement économique Canada, reste optimiste à la suite de l’annonce de la ministre Anita Anand, elle estime cependant qu’il y a des lacunes culturelles au sein des organismes gouvernementaux.
Selon l’ancienne représentante pour le Québec et la section francophone du recours collectif sur la discrimination systémique dans les embauches et les promotions au gouvernement fédéral, le peu de personnes noires qui sont promues au sein de l’appareil gouvernemental se retrouve souvent dans des environnements de travail toxiques où les gestes racistes ou discriminatoires et les microagressions restent impunis.
Déposé à la Cour fédérale en décembre 2020, le recours collectif noir vise à réclamer une indemnisation pour le personnel noir qui aurait été victime de discrimination au sein des institutions fédérales depuis les années 1970.
«La poursuite cherche des solutions à long terme pour lutter de façon permanente contre le racisme systémique et la discrimination au sein du Service public du Canada», peut-on lire sur leur site Internet.
La présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, n’a pour sa part pas voulu commenter directement ce dossier lors de sa conférence de presse, le 21 février.
Soulignons que la demande de recours collectif n’a pas encore été certifiée par un juge.
«Une personne vient dans ton bureau, te dessine un singe et te dit que tu ne devrais pas être dans l’équipe de gestion, tu devrais être en train de nettoyer les toilettes avec l’équipe d’entretien ménager», témoigne Kethlande Pierre.
«Tu es confronté à des personnes qui ont encore beaucoup de biais inconscients et parfois conscients, mais qui le font avec une plus grande intelligence émotionnelle», ajoute-t-elle.
Elle s’est souvent sentie incomprise et même délaissée lorsqu’elle est allée chercher de l’aide auprès du PAE. «J’ai été consulter et on m’a demandé si c’était dans ma tête que ça se passait», se remémore-t-elle, encore choquée. Elle n’y est plus jamais retournée.
Les deux femmes fonctionnaires sont du même avis : la confiance est belle et bien brisée entre les employés noirs et les institutions. Les employés noirs évitent à tout prix de se confier à leur ombudsman, le PAE, leurs gestionnaires et encore moins leur syndicat.
«On n’a pas confiance dans le service d’aide aux employés, mets y 35 millions [de dollars], les gens ne vont pas y aller», lance fermement Kethlande Pierre.

Alain Babineau est déçu de savoir que plusieurs groupes n’ont pas été consultés avant l’annonce des mesures du Plan d’action, mais reste optimiste.
«Il manque encore des investissements qui visent à changer la culture ou à donner des outils clés sur comment agir ou quoi faire lorsqu’on est victime de racisme systémique ou encore comment gérer une plainte qui touche le racisme systémique.»
«On demeure optimiste»
Bien que le Secrétariat du recours collectif noir (SRCN) reproche à la présidente du Conseil du Trésor un manque de consultation avec les organismes défenseurs des communautés noires dans la fonction publique pour élaborer son Plan d’action, il reconnait que c’est «une avancée» dans le but d’éradiquer le racisme systémique au sein de la fonction publique.
«On demeure optimiste, a lancé Alain Babineau, le représentant francophone du SRCN, lors d’une conférence du SRCN. Mais on va surveiller les avancements qui ont été faits la semaine passée.»
Anita Anand assure que «les initiatives annoncées la semaine dernière s’appuient sur les suggestions formulées par les fonctionnaires noires au cours des dernières années». Elle assure d’ailleurs que ces mesures sont sujettes à évoluer.
Le SRCN, en collaboration avec plusieurs organismes, dont Coalition rouge, a annoncé le 26 février qu’il déposait une plainte contre la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) pour ses pratiques discriminatoires.

Une coalition de groupes de défenseurs des droits des communautés noires a porté plainte, le 26 février, contre la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) pour ses pratiques discriminatoires.
Des mesures réparatrices nécessaires
En plus de sévir contre les actes racistes et discriminatoires, les fonctionnaires sont d’avis de mettre en place des mesures de réparations et de réconciliation pour les anciens et les actuels employés qui ont subi du racisme.
«J’ai envie de vous dire, ajoute Kethlande Pierre, que si on lit le plan [d’action] qui est sorti et qu’on vit du racisme systémique, ça ne nous parle même pas […] la personne qui en vit encore les conséquences, n’est pas touché du tout.»
Au-delà des mesures réparatrices financières, il y a une guérison à entreprendre avec la communauté noire