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le Vendredi 21 mai 2021 11:54 Arts et culture

Bande dessinée à Terre-Neuve : les saveurs locales de la capitale

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Surnommé le parrain de la BD terre-neuvienne, Wallace Ryan a publié la première BD sur l’ile en 1979 avec son ami Gerry Porter. — Courtoisie Wallace Ryan
Surnommé le parrain de la BD terre-neuvienne, Wallace Ryan a publié la première BD sur l’ile en 1979 avec son ami Gerry Porter.
Courtoisie Wallace Ryan
LE GABOTEUR (Terre-Neuve-et-Labrador) – Culturellement, Terre-Neuve-et-Labrador est surtout reconnue pour sa musique. Bien que plus discret, le monde de la bande dessinée est cependant bien présent, particulièrement dans la capitale. Les artistes terre-neuviens Wallace Ryan et Paul Tucker sont de ceux qui contribuent au dynamisme de la scène locale du 9e art à St. John’s.
Bande dessinée à Terre-Neuve : les saveurs locales de la capitale
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«Tous les matins, je me tire du lit à cinq heures du matin pour dessiner des bandes dessinées. Et je fais ça depuis plus de dix ans maintenant», déclare d’entrée de jeu Paul Tucker, qui travaille le reste de la journée à temps plein comme directeur artistique à St. John’s. Sa passion pour ce médium n’a pas faibli depuis la publication de sa première BD, en 2005.

Il se souvient encore de sa première classe de bande dessinée à l’âge de 10 ou 11 ans, avec son professeur Wallace Ryan, qui est maintenant devenu son collaborateur.

«Je me souviens, j’y suis allé avec mon frère, et c’était un sentiment magique, du genre “Oh waouh, il y a ces personnes ici intéressées par la BD, dans cette petite salle de MUN!”»

Si cela fait maintenant plus de 20 ans que Wallace Ryan enseigne au Anna Templeton Centre à St. John’s, il se rappelle bien le jeune Paul venu à son cours. «J’ai enseigné à Paul et en fait, c’était ma première classe!» dit-il en souriant.

«Quand j’ai commencé à enseigner, j’espérais amener de plus en plus de personnes à s’intéresser au dessin [de BD]… mais c’était aussi pour avoir des personnes pour me tenir compagnie, ce qui est quand même un peu égoïste!», plaisante celui qui est également le créateur de la compagnie de bandes dessinées terre-neuvienne Alphabet Comics.

Un accès au monde de la BD facilité

De nombreux passionnés sont passés par ses cours, lui valant ainsi le surnom local de «parrain de la bande dessinée de Terre-Neuve». Une réputation bien méritée pour celui qui a publié en 1979 la toute première bande dessinée terre-neuvienne, «Zeitgeist», avec son ami Gerry Porter.

L’accès à ce médium n’a aujourd’hui rien à voir avec ce qu’a connu le Terre-Neuvien pendant son adolescence.

«Il n’y avait pas beaucoup de bandes dessinées en tant que telles à cette époque. […] Aujourd’hui, les magasins de BD font partie des endroits fréquentés par les gens», estime celui qui fait partie de l’équipe de Downtown Comics, la plus vieille enseigne de BD du centre-ville de la capitale.

Les barrières sont également moins importantes pour les créateurs de BD de la province aujourd’hui qu’elles ne l’ont été par le passé.

«Avant, il fallait se rapprocher du marché. New York, par exemple, était le centre de l’univers pour la bande dessinée. Maintenant, un artiste peut vivre où il veut et envoyer ses images facilement aux éditeurs», raconte Wallace Ryan, qui a lui-même vécu dans la Grosse Pomme au début des années 2000.

Courtoisie Paul Tucker et Wallace Ryan

«Plus jeune, j’avais soif de trouver d’autres personnes qui étaient passionnées de BD comme moi et qui voulaient en faire, mais il n’y avait pas beaucoup d’accès à cela», observe Paul Tucker, qui partage l’avis de son collaborateur.

L’artiste trouve cependant difficile de réseauter à plus grande échelle depuis son ile terre-neuvienne, isolée du continent.

«Les prix sont toujours un peu prohibitifs pour aller participer à des congrès ou des rencontres de BD chaque année. Je suis envieux de ceux qui n’ont qu’à conduire pour aller à ces évènements», avoue-t-il.

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Scène locale dynamique

Vivre à St. John’s a aussi ses avantages : la communauté BD est tissée serrée. «On se connait tous, contrairement à des artistes qui vivent dans de plus grandes villes», se réjouit Wallace Ryan. Il accepte volontiers que les adeptes viennent visiter sa collection privée de BD, qui contient des milliers d’ouvrages.

Selon les deux artistes, moins d’une dizaine d’artistes de la communauté publient des bandes dessinées à titre de professionnel.

«Il y en a seulement une poignée qui poursuivent jusqu’au point d’aller frapper à la porte d’un éditeur pour essayer encore et encore afin d’être publié,» estime Paul Tucker.

Malgré ce petit nombre de bédéistes professionnels, la scène locale est bel et bien là, dynamique, et en pleine expansion selon leurs observations.

«Il me semble que c’est une communauté grandissante, qui regroupe un vaste éventail de personnes. Cela va de ceux qui aiment la BD, mais qui ne dessinent pas vraiment à ceux qui dessinent beaucoup», détaille Paul Tucker.

Des «Comic Jams» pour tous

Les «Comic Jams» organisées au Anna Templeton Centre depuis 2010 par Wallace Ryan et Paul Tucker y sont d’ailleurs pour quelque chose. Chaque mois (en temps normal), l’évènement gratuit invite les petits comme les grands à venir dessiner, observer, et échanger autour de la BD.

Les organisateurs s’occupent de fournir le matériel et les conseils aux participants. «C’est super, des personnes qui ont commencé à venir il y a dix ans quand ils étaient jeunes y participent encore! Beaucoup d’enfants viennent aussi. […] Ça aide vraiment à agrandir la communauté», affirme Wallace Ryan.

 Après l’évènement, certains participants se retrouvent à Downtown Comics, en profitent pour faire leur magasinage de BDs, surtout ceux venus de l’extérieur de St. John’s.

Jeffrey Zeldman, Flickr

Wallace Ryan mentionne aussi le festival Pure Comix Festival of Graphic Literature organisé en 2019, et qui devrait avoir lieu à nouveau en 2022. En plus de publier ses conseils BD chaque semaine dans des vidéos tournées dans sa bibliothèque privée (sur le groupe Facebook In The Library of Graphic Literature), le passionné anime le podcast hebdomadaire «Thursday comics» (en anglais).

De son côté, Paul Tucker est bien occupé par son dernier projet de BD, Hollow Heart, «un livre d’horreur et de science-fiction queer» qu’il réalise en collaboration avec l’artiste Paul Allor. Le premier numéro de la série de six, publié par la maison d’édition américaine Vault Comics, était d’ailleurs déjà épuisé.

«J’encourage tous ceux qui ont toujours voulu faire de la BD à s’y mettre, d’aller voir nos évènements Comic Jams sur Facebook et de rejoindre notre scène», conclut Paul Tucker. Il n’oblige pas les curieux à se lever comme lui tous les matins à 5 heures, mais au moins à oser se lancer.