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le Lundi 7 octobre 2019 13:03 Société

Vulgarisation scientifique : L’ère du numérique sert-elle bien la science?

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L’océanologue Daniel Pauly de l’Université de la Colombie-Britannique — Photo : Valentina Ruiz Leotaud
L’océanologue Daniel Pauly de l’Université de la Colombie-Britannique
Photo : Valentina Ruiz Leotaud
Alors que le Canada vient de célébrer sa Semaine de la culture scientifique, certains se demandent si l’ère des réseaux sociaux facilite la diffusion des sciences. Certes, il n’a jamais été aussi facile de partager du contenu aux masses, mais la population profite-t-elle vraiment de la diffusion des savoirs?
Vulgarisation scientifique : L’ère du numérique sert-elle bien la science?
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L’océanologue Daniel Pauly a assisté à la transition vers le numérique. Âgé de 73 ans, il a été l’un des premiers dans son domaine à utiliser les micro-ordinateurs, «des Apple II», se souvient-il, pour développer d’immenses bases de données en halieutique, là où d’énormes machines étaient auparavant nécessaires.

Le professeur à l’Université de la Colombie-Britannique voit d’énormes avantages dans les nouvelles technologies : «Google Scholar est un outil merveilleux. Wikipédia, c’est le savoir de l’humanité à la disposition de n’importe qui. C’est un rêve de l’époque des Lumières qu’on est en train de réaliser : l’homme qui sait tout. C’est une puissance cognitive incroyable.» Internet aurait ainsi le même effet, sinon plus vaste encore, que l’imprimerie du 15e siècle dans la diffusion du savoir.

 

Un rêve qui dérive

Le hic, c’est que le rêve de d’Alembert et ses amis encyclopédistes cohabite avec «le pire», nuance le chercheur. «Je déteste les réseaux sociaux d’une haine implacable, assène-t-il. Ils isolent les gens et créent des pseudocommunautés qui suivent leurs propres idées sans avoir à se justifier auprès d’autres personnes.»

Avec l’anonymat, les critères d’honnêteté et de crédibilité disparaissent, déplore l’expert en biologie marine, chevalier de la Légion d’honneur française depuis 2017. La porte est ainsi ouverte à toutes les «folies anonymes» : «Il y a des gens aux États-Unis qui disent que l’Australie n’existe pas et que les Australiens sont des acteurs», pioche par exemple Daniel Pauly parmi les nombreuses théories conspirationnistes pullulant sur la toile.

 

L’ère des fake news?

Certains sujets deviennent même tabous à l’heure des réseaux. Vaccination, ondes, pesticides, régime cétogène… «Des groupes de pression politisés nous rentrent dedans de façon complètement irrespectueuse sur nos réseaux», regrette Isabelle Vaillancourt, éditrice des magazines jeunesse Explorateurs, Débrouillards et Curium auxquels sont abonnés près de 10 000 francophones en situation minoritaire.

Pour François Demers, professeur en information et communication à l’Université Laval, les réseaux ne sont qu’un véhicule. «Ils ne font que sortir quelque chose qui était dans l’ombre depuis les années 1960-1970 : l’alternative, des visions du monde qui ne sont pas synchronisées sur la science expérimentale telle qu’elle s’est définie aux 19e et 20e siècles.»

La science s’est construite historiquement contre d’autres visions du monde, dont la religion, rappelle l’ancien journaliste passé par Le Soleil et Radio-Canada et qui officie aujourd’hui dans le seul programme de journalisme scientifique en français du pays. «On assiste aujourd’hui à une remontée de l’alternative, surtout en matière de santé et de spiritualité», observe-t-il.

Dans ce contexte, la science moderne est remise en question. Qui plus est parce qu’elle est «associée à la bombe atomique, au militarisme ou à des opérations industrielles polluantes» depuis quelques décennies. Pas étonnant, alors, que la contestation sociale trouve un écho favorable sur cette nouvelle scène publique dématérialisée.

 

Les médias décriés

«L’arrivée du numérique a engendré une multiplication des voix qui s’expriment publiquement», analyse François Demers, également titulaire de la Chaire en journalisme scientifique Bell Globemedia. La vulgarisation, c’est-à-dire le fait de rendre intelligible la science, n’est donc plus l’apanage des seuls journalistes passés experts en la matière au fil du temps.

Une défiance s’est même franchement développée à leur égard. Un phénomène ancien selon le professeur : «Il y a toujours eu face aux médias une deuxième lecture, critiqués pour leur promotion d’une certaine vision du monde appartenant à une minorité au pouvoir.» Dans un monde de réseaux sociaux où l’expression individuelle est placée sur un piédestal, l’autorité intellectuelle des journalistes est à reconstruire, estime donc le spécialiste.

 

Le bon vieux papier n’est pas mort

Contre toute attente, parents et enfants semblent plébisciter la version papier dans leurs lectures scientifiques. D’après une enquête réalisée par le magazine Curium en 2015 auprès de 1400 ados, 87 % d’entre eux préfèrent l’objet physique. «C’est associé à un moment de détente, de réflexion et de relaxation, un moment pour sortir du monde», constate Isabelle Vaillancourt. Et c’est aussi un outil de rapprochement intergénérationnel, note l’éditrice.

Aussi le numérique est-il perçu comme un complément, et non une fin en soi. «Le numérique permet d’augmenter nos magazines : faire apparaitre une vidéo pour approfondir ce qu’on vient de lire, des podcasts d’entrevues avec des scientifiques… Ça ajoute une interactivité.»

D’ailleurs, les contenus ludiques sont ceux qui fonctionnent le mieux : les youtubeurs scientifiques Axolot, Poisson Fécond et Experiment Boy font aujourd’hui office de vulgarisateurs de prédilection auprès des jeunes.