«C’était une femme forte. Elle était déterminée et très innovatrice aussi. Elle laisse un vide important», témoigne le héraut d’armes du Canada actuel, Samy Khalid, qui lui a succédé le printemps dernier.
Claire Boudreau a fait des études d’abord à Montréal, en histoire, puis s’est spécialisée dans le domaine de l’héraldique, soit la science des armoiries, blasons, emblèmes et autres. Elle a obtenu un doctorat en la matière de la Sorbonne, sous la direction de Michel Pastoureau, l’un des plus grands spécialistes de l’héraldique et des couleurs dans le monde.

Sa thèse de doctorat était intitulée Les traités de blason en français (XIVe–XVIe siècle). Les traités de blason étaient des écrits faits de la main des hérauts médiévaux qui codifiaient les règles de l’héraldique.
Cette thèse a donné lieu à la rédaction d’un ouvrage de référence : L’héritage symbolique des hérauts d’armes, dictionnaire encyclopédique de l’enseignement du blason ancien (XIVe – XVe siècle).
L’année suivant la fin de ses études, en 1997, Claire Boudreau a été embauchée par l’Autorité héraldique du Canada (AHC), qui avait été créée en 1988, afin que le pays ne dépende plus de l’autorité britannique.
En 2007, elle est portée à la tête de l’AHC en tant que héraut d’armes du Canada, succédant au premier teneur de ce titre, Robert Watt. Elle devenait par ce fait la première femme à occuper ce poste, non seulement au Canada, mais dans tout le Commonwealth.
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Un registre accessible au public
Selon Samy Khalid, Claire Boudreau s’est alors donné comme mission de faire rayonner l’héraldique au Canada.
«Claire avait l’idée que le travail de l’Autorité héraldique du Canada devait être mis en ligne, que ça devait être partagé publiquement. Donc une des grandes réalisations de sa carrière, dont elle était très fière, ça a été de créer une version électronique de l’armorial canadien», explique Samy Khalid.

Claire avait en tête de donner plus de détails, entre autres de consigner le symbolisme des armoiries. Elle qui avait étudié les vieux traités et l’héraldique sur plusieurs siècles, elle trouvait ça dommage que la signification des armoiries se perde avec le temps.
Samy Khalid donne un exemple concret : la fleur de lis. «C’est un symbole très puissant, un symbole très présent au Canada français, au Québec et dans toute la francophonie internationale. C’est un symbole de la France, un symbole de la royauté française aussi.»
«Mais ce symbole-là, qu’on voit pratiquement partout, tous les jours, il n’y a personne qui sait ce que ça représente à l’origine! Est-ce que c’était une fleur ou un fer de lance, donc le bout d’une arme guerrière? Ou bien était-ce autre chose? On ne le sait pas, parce que ça s’est perdu, la signification s’est perdue dans la nuit des temps.»
Claire Boudreau a mis sur pied la version numérique du Registre public des armoiries, drapeaux et insignes du Canada, créé en 1988. Il est accessible au public via le site Web de l’AHC, qui est elle-même placée sous l’autorité de la gouverneure générale du Canada.
«On a intégré au registre public non seulement l’image et le nom, mais aussi la description et le symbolisme [des armoiries, drapeaux et insignes]. On est le seul pays au monde à avoir un tel corpus, qui est une richesse exceptionnelle», précise Samy Khalid.

Seulement 35 hérauts à travers le monde
Le héraut d’armes actuel souligne que sa prédécesseure était aussi très active dans la communauté héraldique internationale.
L’autorité héraldique d’Écosse, The Court of the Lord Lyon, a même souligné le décès de Claire Boudreau sur son site Web, la qualifiant de «l’une des plus éminentes érudites du monde héraldique».
Les autorités héraldiques sont peu nombreuses et se limitent surtout aux pays membres du Commonwealth. La France s’en est débarrassée pendant la Révolution. Le Canada est le seul en Amérique du Nord à s’être doté d’un tel service. Pour ce qui est des hérauts, il y en a 35 sur la planète, dont sept au Canada. Quatre de ces sept hérauts sont des femmes.
Lorsque la maladie l’a obligée à quitter son travail, Claire Boudreau a reçu le titre de héraut Margaree-Chéticamp émérite, en hommage à ses racines acadiennes remontant au Cap-Breton. «Elle était très fière de ses origines acadiennes», mentionne Samy Khalid.
Même si elle est née et a grandi au Québec, les racines acadiennes de Claire Boudreau sont ancrées à Chéticamp, en Nouvelle-Écosse, d’où est originaire son père. Elle s’était d’ailleurs fait construire une maison tout juste à côté de celle de son père qui est retourné vivre dans son village natal il y a une vingtaine d’années.
Même après 23 ans passés au sein de l’Autorité héraldique du Canada, elle avait l’intention de continuer, soutient Samy Khalid. «Elle était loin de penser à la retraite. Elle avait encore beaucoup de choses à faire.»