le Samedi 19 avril 2025
le Dimanche 11 février 2024 6:30 Société

La demi-heure de gloire de Terre-Neuve

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  GRAPHISME : CHANTALE LALONDE
GRAPHISME : CHANTALE LALONDE
FRANCOPRESSE – La fin du monde arrive à minuit! Minuit trente à Terre-Neuve… C’est une blague qui remonte à plusieurs années, un clin d’œil à la dernière venue dans la Confédération canadienne qui vit à une demi-heure avant ou après ses voisins. Donnons l’heure juste.
La demi-heure de gloire de Terre-Neuve
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Cette blague de la demi-heure de Terre-Neuve trouve son origine dans le fait que les émissions nationales du réseau anglais de Radio-Canada (CBC) débutent partout à la même heure au pays, sauf à Terre-Neuve, où c’est «une demi-heure plus tard».

C’est une taquinerie dont les francophones de Nouvelle-Écosse, de l’Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick ont longtemps été l’objet lorsque le réseau français de Radio-Canada annonçait l’heure de ses émissions nationales en ajoutant «une heure plus tard dans les Maritimes».

Et cette précision sous-entendait que cette même émission, qui était «une heure plus tard» dans les Maritimes, était encore une autre demi-heure «plus tard» à Terre-Neuve.

La capitale de Terre-Neuve-et-Labrador, Saint-Jean, est située sur le méridien séparant les fuseaux horaires UTC-4 et UTC-3. 

Photo : Sébastien Blanchard, Wikimedia Commons, Share-Alike 4.0 International

Vous me suivez?

Sinon, ce n’est pas grave. Là n’est pas notre propos principal. Voici la vraie question : pourquoi Terre-Neuve évolue-t-elle dans le temps avec une demi-heure de différence par rapport aux fuseaux horaires voisins, et non une heure comme (presque) tout le monde?

Avant d’aller plus loin – et pour ajouter encore plus de confusion –, précisons qu’une région du sud-est du Labrador vit à la même heure que l’ile de Terre-Neuve, mais que tout le reste de la partie continentale de la province est dans le même fuseau horaire que les provinces maritimes (et les Iles de la Madeleine), soit l’heure de l’Atlantique.

On verra tout à l’heure que ça se complique encore plus. Reposons la question : pourquoi une demi-heure de plus?

Eh oui, pourquoi?

Parce que faire simple n’est pas terre-neuvien.

Le Canada compte cinq fuseaux horaires différents. 

Photo : Conseil national de recherche du Canada

Plus sérieusement, Terre-Neuve-et-Labrador aurait pu partager la même heure et ne pas être «décalée» de 30 minutes. Géographiquement, la province se trouve dans le même fuseau que les Maritimes, «UTC-4» (heure normale), c’est-à-dire quatre heures de moins que l’heure du méridien 0, soit celui de Greenwich en Angleterre.

La référence qui s’appelait autrefois «temps moyen de Greenwich» (GMT) est maintenant désignée comme le «temps universel coordonné» ou UTC.

Il faut se rappeler que pendant très longtemps, en Europe comme en Amérique du Nord, chaque ville avait une heure totalement différente de ses voisines parce qu’elles utilisaient l’heure solaire..

La pratique est devenue très problématique avec l’arrivée du chemin de fer puisqu’elle pouvait provoquer des collisions entre les trains puisqu’il n’y avait pas encore de référence universelle pour l’heure.

En Grande-Bretagne, les compagnies ferroviaires parviennent à faire adopter une heure commune, celle de Londres, sur tout le territoire.

Si la planète est divisée en 24 fuseaux horaires équivalents à une heure chacune, on le doit beaucoup à l’ingénieur écossais Sandford Fleming, qui a vécu toute sa vie adulte au Canada. 

Photo : Wikimedia Commons

Au Canada et aux États-Unis, l’affaire est plus complexe en raison de l’étendue des deux pays. Là également, les compagnies de chemin de fer vont jouer un rôle déterminant.

Entre en jeu un ingénieur écossais : Sandford Fleming. Pendant plusieurs décennies, Fleming travaillera au sein de différentes compagnies ferroviaires canadiennes en tant qu’ingénieur et arpenteur, jusqu’à devenir ingénieur en chef du Canadien Pacifique.

Il jouera un grand rôle dans l’organisation d’une conférence internationale à Washington, en 1884, qui adoptera un temps universel et la division du monde en 24 fuseaux horaires avec comme référence le méridien de Greenwich.

À lire aussi : Méridien de Greenwich : la bataille pour le point zéro

Terre-Neuve choisit son heure

Les pays définissent alors tour à tour leurs fuseaux horaires.

Or, Terre-Neuve ne fait pas encore partie du Canada à l’époque et est un dominion indépendant. Elle va donc choisir elle-même son heure standard, en 1935. C’est la Commission de gouvernement de Terre-Neuve qui s’en charge.

Comme un peu partout ailleurs, l’ile compte plusieurs différentes heures en usage. Terre-Neuve – le Labrador compris – se trouve, comme mentionné plus haut, dans le fuseau horaire UTC-4.

Les délégués de 25 pays à la conférence internationale de Washington, en 1884, se sont entendus pour uniformiser le monde en 24 fuseaux horaires, avec comme référence le méridien de Greenwich. 

Photo : Commons, domaine public.

Sauf que la capitale, Saint-Jean, où vit la grande majorité de la population, est située à l’extrême est de ce fuseau, presque à cheval sur la ligne démarquant les zones UTC-4 et UTC-3.

Quand on dit presque, c’est vraiment presque. Plus précisément, la ville de Saint-Jean est à 3 heures 33 minutes et 33 secondes de moins que l’heure du méridien 0. C’est donc pour cette raison que la future dernière province canadienne a adopté une heure officielle de 30 minutes de plus que UTC-4 et 30 minutes de moins que UTC-5.

Et le Labrador? Cette région étant située plus à l’ouest que l’ile de Terre-Neuve, elle observe le même fuseau horaire que les provinces maritimes, «l’heure normale de l’Atlantique» (HNA). Sauf… comme on l’a dit, une petite région du sud-est qui, elle, est synchronisée avec l’heure de l’ile de Terre-Neuve.

De multiples espaces-temps

Pour ajouter un peu de piquant à tout ça, il faut rappeler que l’archipel français de Saint-Pierre-et-Miquelon, près de la côte sud de Terre-Neuve, est quant à lui dans le fuseau UTC-3, soit une demi-heure de plus que l’ile de Terre-Neuve, une heure de plus que les provinces maritimes et la grande partie du Labrador.

Type: Récit

Récit: Cet article contient des informations, des opinions et des analyses, toutes basées sur des faits.

Moncton

Marc Poirier

Journaliste

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