Depuis le vote du Brexit au Royaume-Uni et l’élection de Trump aux États-Unis, plusieurs pays européens se tournent vers le populisme. Au Canada, l’Ontario s’est donné un gouvernement populaire en juin avec l’élection de Doug Ford. Le ras-le-bol contre l’élite et l’affirmation de l’autorité morale du peuple risquent-ils de se répandre au Canada ? Une lutte se profile à l’approche du scrutin de 2019.
Il existe plusieurs définitions du populisme, explique le sociologue Simon Laflamme de l’Université Laurentienne, à Sudbury, en Ontario. « Elles renvoient toutes à l’idée selon laquelle un ensemble important d’individus dans une société donnée s’oriente politiquement en fonction d’idées simplifiées. »
Le chercheur rappelle les lois fédérales adoptées durant les années au pouvoir de Stephen Harper pour renforcer les peines de prison. « Il n’y avait aucune raison pour les justifier : toutes les études scientifiques montraient que le système fonctionnait relativement bien et que la récidive était plutôt faible. Ça n’a pas empêché le gouvernement conservateur de rendre les peines plus sévères. »
Hitler s’est fait élire sur des décisions populistes
Simon Laflamme poursuit : « Le populisme n’est pas un phénomène récent, [le chef du régime nazi dans l’Allemagne des années 1930] Adolf Hitler s’est fait élire sur des décisions populistes. »
Le populisme pourrait trouver prise au Canada, estime la politicologue Geneviève Tellier, de l’Université d’Ottawa, mais pas de l’ampleur que connaissent les États-Unis et l’Europe. « Ce n’est pas une idée nouvelle dans les provinces, c’est le mouvement qu’on appelle les grassroots, qui est de retourner à la base et de parler directement aux électeurs. »
Attaquer les tribunaux et les médias, c’est du populisme
Selon la professeure de l’École d’études politiques, certains groupes en Ontario sont séduits par l’idée du populisme. « Quand [le premier ministre] Doug Ford s’en prend au système judiciaire, c’est exactement ça : on attaque l’autorité des juges. »
Geneviève Tellier ne place pas dans la même mouvance le nouveau premier ministre du Québec, François Legault. « Il ne fait pas d’attaques contre l’establishment, les tribunaux, le parlementarisme et les médias. »
Simon Laflamme observe depuis une décennie un phénomène qui pousse des communautés de personnes à « s’orienter politiquement en fonction de leurs humeurs », sans s’encombrer d’information.
« Les personnes qui s’orientent de cette façon sont majoritairement les plus vieilles et les moins instruites. Qu’ils n’aiment pas [la candidate démocrate] Hilary Clinton, qu’ils soient fâchés contre l’Union européenne ou n’importe quoi, il suffit d’avoir quelqu’un qui l’avalise pour voter contre le Brexit ou pour Trump.
« J’aime pas Hilary Clinton, elle fait partie de l’establishment. Trump est sexiste ? C’est pas grave. Je trouve qu’il y a trop de noirs dans mon quartier. Trump est proche du racisme ? C’est pas grave. »
« Les réseaux sociaux animent le populisme »
Selon le chercheur, les réseaux sociaux facilitent la circulation des échanges sur les humeurs, « ce que l’on ne trouve pas dans les journaux où les synthèses sont nécessaires, où il y a plus d’information et de positions nuancées. On préfère entendre le point de vue de Trump, on va le suivre sur Twitter. »
Simon Laflamme donne l’exemple du mari en colère contre sa femme qui trouve que les femmes sont toujours gagnantes dans les divorces. « Vous pouvez vous inscrire dans un tuyau de canalisation de l’information où on vous explique que les hommes sont en train de se faire avoir. C’est ça qui anime le populisme aujourd’hui, les réseaux sociaux. »
Geneviève Tellier ne voit toutefois pas le populisme apparaître sur la scène nationale à court terme. « Je ne vois pas de Doug Ford au fédéral, ni même [le chef du nouveau Parti populaire du Canada] Maxime Bernier, qui va attirer des mécontents. Ce qu’on verra émerger est une division de la droite entre Bernier et [le chef conservateur Andrew] Scheer. »
À un an des élections fédérales, la politicologue prévoit que l’enjeu de l’environnement prendra de l’ampleur et sera l’occasion de confrontations entre écologistes et populistes.

Il se peut que l’écologie soit une affaire générationnelle
« Il y a une conscience chez beaucoup de Canadiens qu’il faut agir. La faiblesse de la droite, c’est de s’attaquer à la politique libérale sans avoir d’alternative à proposer. En ce moment, c’est à l’avantage du Parti libéral [du premier ministre Justin Trudeau], qui pourrait dire : je suis l’alternative, le seul qui a des solutions. »
La professeure rappelle le consensus général au Québec sur la taxe du carbone et que des députés du Parti vert ont été élus au Nouveau-Brunswick (3) et en Ontario (1), sans oublier les 10 députés écolos de Québec Solidaire. « Il y a cette préoccupation surtout chez les jeunes, note-t-elle, ça se peut que ce soit une question générationnelle »
Simon Laflamme reconnait que le populisme aura une prise au Canada, mais qu’il devra composer avec une vague antipopuliste importante, comme l’illustre un choix récent de l’Ontario.
« Le premier ministre Ford peut dire : dans ma province, ça me coûte trop cher de rester dans le marché du carbone, donc je me retire. Malgré son manque d’information sur la complexité du phénomène, il peut prendre une décision.
« Mais il devra vivre avec les conséquences, poursuit le sociologue. Il ne les mesure pas encore parce qu’il voit dans le court terme que ça va lui coûter moins cher. Mais ça ne veut pas dire que dans l’ensemble de la population, il n’y aura pas un mouvement important contre lui. »
Le peuple n’a pas voté pour le retrait du marché du carbone
« Les électeurs de Ford n’ont pas voté pour le retrait du marché du carbone, estime Simon Laflamme, ils l’ont élu parce qu’ils en avaient marre de l’establishment. Tu peux prendre des décisions simplistes, mais dans la population, il reste que la majorité peut être contre toi. »
Simon Laflamme rappelle que Trump a été élu en 2016 avec une minorité du vote populaire qui est en train de s’effriter avec un support de 35 %. Les contre-forces demeurent importantes, selon lui.
Au Royaume-Uni, note le sociologue, il est question de tenir un autre référendum sur le Brexit en raison du mouvement d’opposition au projet de retrait de l’Union européenne. « Ce n’est pas parce qu’un mouvement populaire réussit à faire élire un chef que ça va assurer son autorité partout. »
Les prochaines élections fédérales auront lieu au plus tard le 21 octobre 2019.
Extrait de l’opinion de l’historien Davide Rodogno, dans le quotidien Le Temps du 24 mai.
Suite au résultat des élections du 4 mars 2018, l’Italie sera le seul pays au monde gouverné non pas par un seul, mais par deux partis populistes, radicaux et antisystèmes : le Mouvement 5 étoiles (M5S) et la Ligue du Nord.
Le premier est un mouvement puisque le statut de parti serait contraire à son esprit. Toutefois, il est, de facto, en train de devenir un parti, comme cela fut le cas pour les fascistes de (Benito) Mussolini au début des années 1920.
Le deuxième grand gagnant est un parti raciste, xénophobe, qui cultive un nationalisme hors du temps plébiscité par 17 % des électeurs italiens. Matteo Salvini, le leader de la Lega Nord, admire Marine Le Pen et Vladimir Poutine.
Extrait d’entrevue à la SRC avec le conservateur Maxime Bernier, chef du Parti populaire du Canada, le 10 octobre.
«On peut surprendre, comme la Coalition avenir Québec a été une surprise et l’Alliance populaire du Nouveau-Brunswick a été une surprise. Ce n’est pas un populisme qui fait appel aux émotions. On pense que nos idées touchent l’intellectuel des gens, et c’est ce qui fait qu’on est populaire.
«On a des politiques sérieuses et concrètes pour changer ce pays-là, pour avoir un gouvernement plus petit, plus respectueux de la Constitution. Les gens aiment ces idées d’abolir les subventions aux entreprises, d’abolir le cartel dans la gestion de l’offre.
«Je suis contre le multiculturalisme à l’extrême. Ce que je dis, c’est que les gens qui viennent ici […] qui ne partagent pas les valeurs de la société occidentale, les valeurs canadiennes, ne sont pas bienvenus au pays. »
Extrait de RIGHT HERE RIGHT NOW, l’essai de l’ancien PM Stephen Harper, Signal, 2018.
«Je ne sais pas si la présidence de Donald Trump va réussir ou non. Mais les questions qui ont donné lieu à sa candidature ne vont pas disparaître. Elles ne feront qu’augmenter. Et si elles ne sont pas confrontées honnêtement et traitées correctement, elles vont s’aggraver.
«Les succès de Brexit et de Trump laissent entrevoir un possible réalignement politique d’une importance plus large à long terme. Si les réalités économiques et sociales sous-jacentes continuent à diverger entre les élites et les travailleurs ordinaires, ces schémas politiques vont se renforcer. Des politiciens ambitieux et entreprenants puiseront effectivement dans les valeurs populistes.
Certains populistes ont des griefs légitimes avec le consensus de l’élite. (…) Les populistes ne sont pas des « déplorables » ignorants et malavisés. Ce sont nos familles, nos amis et nos voisins.
Extraits de l’opinion du journaliste émérite John Ibbitson, le 9 octobre, dans le Globe and Mail.
Combattre la taxe sur le carbone n’est pas que combattre la taxe sur le carbone : il s’agit de s’en prendre à l’ensemble de l’agenda libéral et des élites de centre-ville qui embrassent cet agenda. Promettre de tuer la taxe sur le carbone est populiste. C’est ce qui a aidé Doug Ford à devenir le premier ministre.
Ce combat oppose les gens ordinaires au parler simple — tel que se présentent M. Scheer et M. Ford — contre M. Trudeau qui a la fâcheuse tendance à diviser la société entre les éclairés et les inconscients.
Mais qu’arriverait-il (à l’approche du scrutin de 2019) si cinq hommes blancs premiers ministres font cabale contre la taxe sur le carbone tout en ignorant les questions environnementales qui mettent en colère les femmes et les jeunes électeurs ? (…) Encore plus important, qu’arriverait-il si les conservateurs changeaient le focus de l’élection en succombant aux discours anti-immigration ?
