le Samedi 19 avril 2025
le Vendredi 23 avril 2021 15:24 Économie et finances

Le Mouvement Desjardins en Ontario : 100 ans d’histoire

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Le centre de services Desjardins au centre-ville de Toronto. — Courtoisie
Le centre de services Desjardins au centre-ville de Toronto.
Courtoisie
L’EXPRESS (Toronto) – Le fleuron québécois que constitue le Mouvement Desjardins des caisses populaires est plus que centenaire. Mais saviez-vous que ce modèle coopératif inventé par Alphonse Desjardins, qui a longtemps travaillé à Ottawa, a tout de suite intéressé les Franco-Ontariens?
Le Mouvement Desjardins en Ontario : 100 ans d’histoire
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C’est ce que confirme un ouvrage qui vient de paraitre, La Caisse Desjardins Ontario : Fruit de plus de 100 ans d’histoire, de l’historien Pierre-Olivier Maheux, offert en lecture libre.

130 000 membres en Ontario

«La Caisse Desjardins Ontario» est le nom de l’organisme créé il y a deux ans par la fusion des 11 caisses populaires disséminées à travers la province et de leur Fédération.

Née officiellement le 1er janvier 2020 avec un siège social à Ottawa, l’institution compte 130 000 membres, 50 centres de services, 650 employés et gère des actifs de 14 milliards $. La Caisse Desjardins Ontario devient ainsi la plus grosse caisse populaire au pays.

«Notre défi, aujourd’hui, est de bien gérer notre croissance», indique le président Stéphane Trottier à l-express.ca. «Connaissez-vous beaucoup d’institutions qui connaissent une croissance de 13 ou 14 % par année?»

«D’ailleurs, on embauche», rappelle-t-il. Une quarantaine de postes sont affichés par La Caisse Desjardins Ontario.

Courtoisie Desjardins

1900 à Lévis

«L’histoire des caisses populaires est indissociable de celle de toute la communauté franco-ontarienne», souligne le président, faisant écho à l’ouvrage de Pierre-Olivier Maheux.

Alphonse Desjardins a fondé sa première «caisse populaire» à Lévis en décembre 1900, afin d’offrir une solution au problème de l’accès au crédit pour de nombreux entrepreneurs canadiens-français, et pour encourager l’épargne dans la population, source d’investissements futurs.

L’autre caractéristique — révolutionnaire — de ce modèle est le versement de dividendes aux membres ou sociétaires. «Juste en Ontario en 2020, nous avons remis 10 millions $ aux membres, précise Stéphane Trottier. Et à travers tout le Mouvement Desjardins, la part du profit retournée aux membres représente plus de 1 million $ par jour.»

1910 à Ottawa

Quelques mois après la création de la caisse de Lévis, l’archevêque d’Ottawa, Joseph Thomas Duhamel, lui écrit pour «s’instruire de son fonctionnement», ce qui amène Alphonse Desjardins à fonder la première caisse ontarienne, dans la capitale nationale, en 1910.

C’est qu’Alphonse Desjardins est sténographe à la Chambre des communes depuis 1892, poste qu’il occupera pendant 25 ans, jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Entre 1910 et 1940, de nombreux acteurs de la francophonie ontarienne l’aident à jeter les bases du mouvement coopératif à travers la province.

Courtoisie Desjardins

À l’époque, les lois ne reconnaissent pas ou défavorisent ce genre d’institutions financières. Au début, les gérants de caisse sont personnellement responsables des actifs et des résultats.

De nos jours, explique Stéphane Trottier, l’autre grande différence entre les banques et les caisses populaires est que les banques reçoivent leur charte du gouvernement fédéral, alors que les caisses populaires relèvent de la juridiction provinciale. Les deux types d’institutions offrent toutefois toute la gamme des services financiers.

En même temps que le Règlement 17

La création de la première caisse, à Ottawa, survient deux ans avant l’éclatement de la crise du Règlement 17 en 1912, interdisant l’enseignement en français dans les écoles de la province. Le Mouvement Desjardins a appuyé cette résistance franco-ontarienne, en même temps que celle-ci permettait de mieux comprendre que les caisses contribuaient au développement économique et à l’indépendance financière des Franco-Ontariens.

Il a toujours été important pour nous de chérir notre patrimoine. Les caisses populaires ont participé étroitement au développement et au rayonnement de nos communautés franco-ontariennes.

— Stéphane Trottier, président de la Caisse Desjardins Ontario

Le livre de Pierre-Olivier Maheux éclaire le rôle clé joué au début du 20e siècle par des organismes comme l’ACFÉO (ancêtre de l’actuelle Assemblée de la francophonie de l’Ontario), l’Ordre de Jacques Cartier, l’UCCFO (Union catholique des cultivateurs franco-ontariens, actuelle UCFO) et de l’Action sociale catholique (troisième voie entre «l’étatisme envahisseur du socialisme» et «l’individualisme du capitalisme».)

Relance du Mouvement Desjardins après la guerre

Mais rien n’est facile : plusieurs petites caisses ne durent pas longtemps. En 1939, au début de la Deuxième Guerre mondiale qui relancera l’économie, seulement trois caisses populaires, à Ottawa, sont encore debout.

Elles deviennent le fer de lance d’un mouvement qui, cette fois, s’implantera avec succès dans toutes les communautés le moindrement organisées de l’Ontario français.

Ce sont 60 caisses populaires qui voient le jour dans les seules années 1940, puis une vingtaine par décennie jusqu’en 1970. Chez les anglophones, le mouvement des credit unions, qui s’inspire des caisses francophones, a lui aussi le vent dans les voiles.

Aujourd’hui, la Caisse Desjardins Ontario est bilingue, opérant aussi en anglais sous le nom Desjardins Ontario Credit Union. «Beaucoup d’anglophones sont attirés par notre modèle coopératif : on n’allait pas les refuser, explique le président. C’est même arrivé que des credit unions ou des banques ferment leurs portes dans une localité, et que ce soit la caisse populaire locale qui récupère leurs clients.»

Stéphane Trottier ajoute : «Mais la gouvernance de la Caisse Desjardins Ontario reste entièrement francophone.»

Le modèle coopératif canadien-français s’exporte d’ailleurs aussi dans plus de 30 pays, où Desjardins International offre de la formation. Nombre de nouveaux arrivants francophones en Ontario le connaissent donc déjà.

Débuts modestes

Les débuts sont souvent modestes : les caisses sont installées dans des maisons privées ou des sous-sols d’église. Mais la plupart finissent par acquérir leur édifice — comme les «vraies» banques — avec un personnel de plus en plus nombreux et professionnel et des services financiers diversifiés.

La Fédération des caisses populaires de l’Ontario adopte les armoiries du Mouvement Desjardins dès le début des années 1960, même si leur intégration dans le groupe se concrétisera plus tard.

Capture d'écran L'Express

En fait, les caisses ontariennes ne se sont jamais appelées Desjardins, indique Stéphane Trottier. Pendant longtemps, elles n’ont pas eu de liens avec le mouvement québécois. Elles avaient même peu de liens entre elles, puisque l’argent qu’une caisse prêtait à un entrepreneur venait des épargnes de ses membres sur son territoire.»

Consultez le site du journal L’Express

Le Mouvement Desjardins se met aux nouvelles technologies

Pierre-Olivier Maheux s’intéresse aussi à la maitrise des nouvelles technologies dans le réseau Desjardins : informatique, cartes de crédit, guichets automatiques. Aujourd’hui, 97 % des membres du Mouvement Desjardins ne visitent jamais physiquement leur caisse : presque toutes leurs transactions se font en ligne.

Les années 1970 et 1980 sont turbulentes : toutes les caisses n’adhèrent pas à la Fédération, des dissidentes forment un groupe rival, certaines s’associent avec des credit unions, d’autres se fusionnent entre elles pour mieux affronter la compétition des banques.

C’est en 1986 que le gouvernement ontarien adopte la Loi sur les services en français, aboutissement de nombreuses luttes qui avaient commencé à sécuriser les écoles francophones et à officialiser le bilinguisme officiel dans le système judiciaire.

SOS Montfort

La LSF n’a cependant pas empêché le gouvernement de vouloir fermer l’Hôpital Montfort d’Ottawa en 1997. La Fédération des caisses populaires participe à la mobilisation qui persuade le gouvernement de revenir sur sa décision.

Capture d’écran L’Express

Québécois vivant depuis près de 40 ans en Ontario, Stéphane Trottier a coprésidé le comité SOS Montfort avec Gisèle Lalonde. Il était président de la Fédération des caisses populaires de l’Ontario au moment de la création de La Caisse Desjardins Ontario en 2019.

À travers différentes crises

La crise financière mondiale de 2008 permet encore au Mouvement Desjardins de se démarquer : moins exposé aux mauvaises dettes que les banques traditionnelles. Les caisses populaires en sortent plus solides que jamais.

Le modèle coopératif a démontré qu’il est capable de traverser de grandes crises.

— Stéphane Trottier, président de la Caisse Desjardins Ontario

La COVID-19 est une autre de ces crises. «Nous avons été interpelés par plusieurs de nos membres : individus, entreprises ou organismes en difficulté en raison des mesures de confinement», confirme le président.

Il précise : «Nous en avons dépanné plusieurs. Nous avons prêté à des taux d’intérêt réduits. Nous avons été proactifs en appelant nos membres pour leur demander comment ça allait et s’ils avaient besoin d’aide.»

La Caisse Desjardins Ontario a contribué au fonds d’aide des organismes franco-ontariens à hauteur de 3,5 millions $.

Tout récemment, elle a donné 100 000 $ au Conseil de la coopération de l’Ontario (CCO) pour l’aider à créer l’Espace Desjardins Toronto, un incubateur d’entreprises francophones et lieu de rencontres d’affaires au centre-ville.

Capture d'écran L'Express

Centres de services du Mouvement Desjardins

C’est après la crise financière de 2008 que le Mouvement Desjardins ouvre des «centres de services» — dont un au centre-ville de Toronto — exploités par une caisse, mais côtoyant d’autres composantes du Mouvement.

De plus, Desjardins acquiert et parfois revend d’autres institutions : la Province of Ontario Savings Office, la compagnie d’assurance-vie Impériale, deux filiales de la Banque CIBC, une autre de la Banque Nationale, State Farm aux États-Unis, etc.

Si bien qu’en 2018, le président Guy Cormier peut affirmer que le Mouvement Desjardins réalise 25 % de ses revenus en Ontario. C’est ce succès qui motive les caisses ontariennes et leur Fédération à se fondre dans La Caisse Desjardins Ontario.

«L’association est le levier par excellence», écrivait Alphonse Desjardins en 1910. C’est le leitmotiv du mouvement à travers son histoire. La création de la Caisse Desjardins Ontario en 2020, lit-on dans l’ouvrage de Pierre-Olivier Maheux, «a donné naissance à une coopérative plus solide, capable de s’adapter rapidement aux besoins de ses membres et d’appuyer encore plus les communautés».

Tournée des communautés

Et ces communautés, Stéphane Trottier veut maintenant les rencontrer «en personne».

Début 2020, la Caisse Desjardins Ontario a créé des comités locaux de liaison communautaire (11 au départ, consolidés à 4 récemment) composés d’administrateurs des caisses — des «ambassadeurs» déjà actifs dans leur milieu — devant organiser des forums publics et visiter les gens pour mieux cerner leurs besoins.

Cette initiative a été transférée en rencontre Web durant la pandémie. Mais Stéphane Trottier se promet bien de revisiter les communautés dès que les mesures sanitaires le permettront.

«Nous voulons que nos membres soient aussi bien servis aujourd’hui par la Caisse qu’au début du 20e siècle par le gérant de la petite caisse populaire locale», conclut le président de la Caisse Desjardins Ontario.