Le 20 octobre 2023, le gouvernement du Parti saskatchewanais a adopté un projet de loi baptisé «Déclaration des droits des parents» ou «Parents’ Bill of Rights». Cette loi fait suite à une directive en éducation prévoyant qu’une école doit consulter les parents avant d’utiliser de nouveaux pronoms ou un nouveau nom pour leur enfant.
Cette mesure législative prévoit aussi que les parents doivent être avertis deux semaines à l’avance lorsque la santé sexuelle sera abordée en classe, et ce, afin qu’ils puissent retirer leur enfant de ces cours.
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Ces éléments sont inclus dans la nouvelle loi, aux côtés d’autres «droits» de consultation, d’information et de décision.
Un contexte constitutionnel et politique éclairant
Toutefois, le contexte et la manière d’adopter cette loi en disent beaucoup sur ce qu’elle doit véritablement accomplir.
Le 28 septembre, l’organisme saskatchewanais UR Pride, soutenu par l’organisme pancanadien Égale, a obtenu une injonction de la Cour du Banc du Roi quant à l’application de cette directive. Ces organismes visaient à protéger les droits des personnes 2ELGBTQIA+ en contestant la constitutionnalité de la directive.
Or, dès la loi adoptée, la Saskatchewan a annulé la directive contestée en cours. La province tentait de ce fait d’annuler les procédures judiciaires.
À la suite de cette injonction, le gouvernement a annoncé qu’il rappellerait l’Assemblée législative pour une session d’urgence, avant la session d’automne. Il cherchait ainsi à contourner le processus parlementaire habituel pour une question qui ne relève aucunement de l’urgence.
La loi elle-même incluait le recours à la clause dérogatoire de la Charte canadienne des droits et libertés, ce qui contourne le processus habituel d’adoption et de contestation des lois.
Le discours du trône du 25 octobre n’a pas fait mention de cette nouvelle loi, mais est rempli d’allusions au rôle néfaste que jouerait le gouvernement fédéral, qui devient un bouc émissaire pour les problèmes que le gouvernement provincial n’a pas pu, su ou tenté de résoudre.
On voit ainsi un refus de l’autorité des tribunaux, un mépris pour les processus législatifs, ainsi qu’une attaque contre un gouvernement vu comme un rival. Toute une vision de la politique est mise en œuvre avec cette nouvelle loi.
Une Charte contestée
L’intitulé de la mesure législative «Bill of Rights» n’est pas innocent. Il renvoie à l’ancêtre de la Charte canadienne des droits et libertés. Une Déclaration sous forme de loi peut être aisément transformée et annulée par le gouvernement. Au contraire, une charte enchâssée dans une constitution doit passer par plusieurs étapes.
Pour cette raison, l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982 n’a pas été aisée. Lors des négociations constitutionnelles de 1980-1981, les premiers ministres provinciaux s’y opposaient.
La première ministre de la Grande-Bretagne de l’époque, Margaret Thatcher, aurait même cherché un avis pour savoir si elle était en position de l’empêcher. Après tout, la loi constitutionnelle canadienne était jusqu’à ce moment une loi du Parlement britannique.
La disposition dérogatoire a répondu à la peur qu’avaient plusieurs politiciens de mettre les décisions dans les mains des juges. Elle permet en effet aux gouvernements de maintenir une loi en vigueur malgré un jugement de la Cour Suprême qui affirmerait que la mesure législative contrevient à la Charte.
Mais cette disposition devait aussi avoir ses limites et être une mesure exceptionnelle afin de protéger les populations vulnérables.
Depuis, le recours à la Charte est devenu une stratégie politique. On a critiqué la juridicisation de la politique qu’elle a entrainée, c’est-à-dire le fait de remettre à la Cour des décisions qui devraient plutôt revenir au gouvernement.
Toutefois, on peut tout aussi bien voir dans le refus de certains gouvernements de légiférer et de plutôt attendre un jugement de la Cour une manière d’éviter à devoir payer aux urnes le cout de politiques plus inclusives.
Une attaque ciblée contre les droits
L’usage de la disposition dérogatoire en Saskatchewan en octobre 2023 répète une expérience québécoise au moment de l’adoption de la loi 21. Dans les deux cas, le recours à la disposition s’est fait dans le texte même de la loi, de manière préventive.
Par un tel recours, le gouvernement reconnait tacitement qu’il contrevient aux droits des personnes affectées par la loi.
Cette attaque contre les droits des enfants a d’ailleurs poussé l’une des commissaires des droits de la personne de la province à démissionner.
Ce recours marque plus encore. L’on s’attendait à ce que les gouvernements qui invoquent la disposition soient vus d’un mauvais œil par l’électorat.
Ces deux exemples nous montrent des gouvernements qui courtisent plutôt un certain vote et qui comptent sur le fait d’être récompensés par la majorité pour cette violation des droits de minorités ciblées.
C’est que l’emploi de la disposition ne se fait pas dans un milieu neutre. Dans les deux cas, il suit de longues campagnes de démonisation de groupes minoritaires et une montée des discours islamophobes et antiimmigrants au Québec pour la loi 21, et transphobes et homophobes en Saskatchewan pour la loi sur les «droits des parents».
La menace autoritaire
Les processus législatifs et politiques en place sont déjà fort insuffisants pour défendre les droits de groupes minoritaires et surtout des plus vulnérables.
Combattre cette loi et critiquer les étapes qui ont mené à son adoption devient alors nécessaire non seulement pour défendre les enfants et leurs droits, mais aussi se défendre contre la menace autoritaire.
Les droits enchâssés dans la Charte canadienne, comme dans plusieurs déclarations internationales, sont un outil qui vise à limiter le pouvoir de la majorité et la capacité d’un gouvernement à retourner cette loi contre des minorités pour son gain.
Ils sont loin d’être parfaits, mais ils permettent une participation active de la population au moment de la contestation.
En empêchant cette participation même minimale, le gouvernement de la Saskatchewan se place au-delà des lois et refuse que la population puisse avoir son mot à dire sur les lois qui la touchent directement.
Cette participation est encore plus importante lorsqu’une loi cible une population aussi précise et aussi vulnérable.
Jérôme Melançon est professeur agrégé en études francophones et interculturelles ainsi qu’en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent notamment sur la réconciliation, l’autochtonisation des universités et les relations entre peuples autochtones et non autochtones, sur les communautés francophones en situation minoritaire et plus largement sur les problèmes liés à la coexistence. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont «La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie» (Metispresses, 2018).