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le Mercredi 18 octobre 2023 6:30 Libre opinion

Justinflation

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«Les gouvernements successifs ont été bien contents de laisser la responsabilité financière de bâtir des logements aux ménages.» —  Montage : Francopresse
«Les gouvernements successifs ont été bien contents de laisser la responsabilité financière de bâtir des logements aux ménages.»
Montage : Francopresse
CHRONIQUE – Depuis un mois, les conservateurs talonnent le gouvernement Trudeau sur deux sujets interreliés : l’inflation et la pénurie de logements. La stratégie semble porter fruit. Les libéraux plongent dans les sondages alors que les conservateurs confirment leur remontée dans les intentions de vote.
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Pierre Poilievre a beau répéter ad nauseam que le gouvernement Trudeau est responsable de la hausse du cout de la vie, non seulement déforme-t-il la réalité, mais les solutions qu’il propose sont loin d’être convaincantes.

Cela ne veut pas dire que le gouvernement libéral ne porte pas sa part de blâme, notamment en ce qui concerne l’abordabilité du logement. L’entrée massive d’immigrants, de travailleurs temporaires et de demandeurs d’asile depuis un an et demi et le financement inadéquat du logement abordable contribuent à la crise.

Sur ce dernier point, la situation dure depuis des décennies. C’est le gouvernement conservateur de Brian Mulroney qui a sabré les dépenses fédérales en logement dans les années 1980 et au début des années 1990.

Depuis, aucun gouvernement, ni libéral ni conservateur, n’a investi des sommes conséquentes dans le logement au pays.

En huit ans au pouvoir, le gouvernement Trudeau aurait certainement eu l’occasion d’en faire davantage, mais cela n’a jamais été une priorité avant cet automne.

Les gouvernements successifs ont été bien contents de laisser la responsabilité financière de bâtir des logements aux ménages. Dans un contexte de tendance à la baisse des taux hypothécaires depuis vingt ans, le Canada a développé l’une des plus importantes bulles immobilières de tous les pays de l’OCDE.

Aujourd’hui, la hausse rapide et probablement durable des taux d’intérêt menace l’accès au logement, et ni le compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété (CELIAPP) ni l’abolition de la taxe sur les produits et services sur les logements locatifs ne permettront de renverser la tendance à court terme.

Laisser la place aux promoteurs

La solution présentée par les conservateurs au problème est simpliste et, contrairement à ce qu’ils répètent sans cesse, est loin de relever du gros bon sens.

Elle se résume ainsi : les procédures administratives sont trop nombreuses et limitent la capacité des promoteurs à construire de nouveaux logements. Il faut donc réduire la taille du gouvernement (de la Société canadienne d’hypothèques et de logement) et contraindre les villes à accélérer l’émission de permis de construction.

Réduire la taille du gouvernement est une vieille rengaine de la droite populiste qui, si elle permet de réduire les dépenses gouvernementales, ne rend pas les fonctionnaires plus efficaces.

Retenir les transferts aux municipalités en échange d’accorder plus rapidement des permis de construction semble encore moins bien avisé quand les villes peinent déjà à boucler leur budget.

Les conservateurs fédéraux devraient tirer des leçons de la débâcle de la ceinture de verdure de Toronto.

Le gouvernement de Doug Ford tenait un discours très semblable à celui de ses collègues conservateurs à Ottawa avant qu’un rapport de la vérificatrice générale de l’Ontario ne révèle le copinage entre des membres de son cabinet et des promoteurs immobiliers.

Plutôt que d’encourager le développement d’habitations dans la ceinture de verdure, le gouvernement Ford a plutôt annoncé cette semaine qu’il faisait marche arrière et protègerait à nouveau le territoire.

Il y a de bonnes raisons pour lesquelles les villes possèdent des comités responsables de l’urbanisme et qu’on ne laisse pas le soin aux promoteurs privés de construire à leur guise.

Les conservateurs fédéraux ont cependant raison de montrer du doigt le cout des permis et des taxes des villes comme frein à la construction, mais s’ils veulent s’attaquer à ce problème, c’est du côté de la fiscalité municipale qu’il faut regarder.

Les villes dépendent essentiellement des taxes foncières pour se financer. Sans révision de la fiscalité des municipalités et des transferts conséquents des provinces et du fédéral, les villes devront continuer à se financer en taxant les propriétaires et les promoteurs.

S’attaquer à la taxe carbone

L’autre angle d’attaque des conservateurs consiste à accuser les libéraux de faire augmenter les prix au pays avec la taxe carbone.

Soyons clairs, l’inflation exceptionnelle que connait le Canada depuis deux ans n’a à peu près rien à voir avec les politiques fédérales. Ce sont principalement des facteurs extérieurs qui ont fait grimper et qui continuent de faire grimper les prix.

Et parmi les causes de l’inflation sur lesquelles le gouvernement fédéral a un tant soit peu d’emprise, la taxe sur le carbone a une incidence marginale.

Pour l’instant, l’essentiel de la taxe carbone est retourné aux contribuables sous forme de transferts ou de crédits d’impôt et est donc en moyenne à cout nul pour le consommateur.

Il est cependant vrai que, d’ici 2030, les différentes tarifications du carbone feront augmenter de 25 à 30 ¢ le prix du litre d’essence. D’ici là, l’électrification des transports devrait avoir beaucoup avancé, ce qui diminuera les répercussions de la taxe carbone sur le portefeuille des ménages.

On peut être d’accord ou non avec la stratégie déployée par le gouvernement Trudeau pour limiter les émissions de gaz à effet de serre, mais de dire que la taxe sur le carbone est responsable de l’inflation est au mieux une exagération grossière, au pire un argument fallacieux.

Peut-être que ce genre de lignes d’attaque fonctionne dans l’opposition et permettra aux conservateurs de prendre le pouvoir, mais il faudra faire beaucoup mieux comme politiques économiques s’ils remportent les élections fédérales dans les 18 prochains mois. Sans quoi, les Canadiens risquent de continuer à souffrir tant des couts élevés du logement que de l’inflation en général.

David Dagenais est journaliste économique indépendant et entrepreneur. Auparavant, il a été journaliste à Radio-Canada après avoir mené des études supérieures en économie politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université d’Ottawa.

Type: Opinion

Opinion: Contenu qui avance des idées et qui tire des conclusions fondées sur une interprétation des faits ou des données émanant de l’auteur.

David Dagenais

Chroniqueur