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le Dimanche 15 octobre 2023 6:30 Société

Les fantômes du 24, promenade Sussex

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  Graphisme : Chantal Lalonde
Graphisme : Chantal Lalonde
FRANCOPRESSE – Depuis 1951, tous les premiers ministres, sauf Kim Campbell, ont habité le 24 de la promenade Sussex à Ottawa, la résidence officielle du chef du gouvernement canadien. Bon, disons que Justin Trudeau ne l’a pas occupé comme premier ministre, mais plutôt comme fils du premier ministre Pierre Elliot Trudeau. Mais passons, et examinons l’histoire de cette demeure digne d’un roman-feuilleton.
Les fantômes du 24, promenade Sussex
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Lorsqu’il a été élu premier ministre en 2015, Trudeau fils s’est installé avec sa famille au Rideau Cottage, près de Rideau Hall, résidence de la gouverneure générale, en raison de l’état lamentable du 24, promenade Sussex.

La résidence officielle des premiers ministres du Canada, avant les rénovations effectuées avant 1950. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Depuis, on ne sait plus trop quoi faire de cette résidence officielle maintenant vide. Rénover? Tout raser? Les paris sont encore ouverts, huit ans plus tard…

Pour tout dire, la vieille demeure traine de vieux démons. Ça tombe bien, l’Halloween est à nos portes. Amusant. Presque.

Certains pensent que le fantôme de l’homme qui a fait construire la maison au 24, promenade Sussex rend parfois visite à la vieille demeure. Encore des histoires de peur.

Pourtant, tout avait bien commencé lorsque Joseph Merrill Currier, un entrepreneur ayant connu du succès dans l’industrie du bois, décide, peu après la Confédération, de faire construire une superbe résidence comme cadeau de noces à sa troisième femme.

Ah ah! La troisième femme. Qu’en est-il des deux premières? Puisque vous le demandez, voici.

Jamais deux sans trois

C’est avec la première, Christina Wilson, que Joseph a eu ses quatre enfants. Hélas, trois fois hélas, trois d’entre eux meurent de la scarlatine, et Christina succombe ensuite en raison de son chagrin.

Le destin de sa deuxième femme, Ann Elizabeth Crosby, sera encore pire. Peu après leur retour de leur lune de miel, Joseph a la mauvaise idée de faire visiter le moulin Watson, dont il était copropriétaire, à sa nouvelle conjointe.

Joseph Merrill Currier, homme d’affaires et député fédéral, a fait construire le 24, promenade Sussex à Ottawa pour sa troisième femme. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Femme issue d’une famille aisée, Ann visite le site vêtue d’une robe à crinoline. Comble de malheur, sa tenue se prend dans l’une des turbines du moulin et la mariée est violemment projetée contre un pilier. Une fin abrupte du deuxième mariage.

La légende veut que, depuis sa mort en 1861, Ann hante le moulin. Celui-ci, toujours en activité, organise chaque année des soirées hantées en mémoire de la jeune infortunée. Hou hou.

Quelques années plus tard, Joseph Merrill Currier s’éprend d’Hannah Wright, elle aussi née d’une famille riche, qu’il épouse en 1868. Pour Currier, Wright sera la bonne…

En guise de cadeau de noces, Joseph fait bâtir une somptueuse résidence non loin du centre de la ville d’Ottawa, au bord de la rivière des Outaouais.

Joseph donne à la nouvelle demeure le nom de Gorffwysfa (prononcé «gore – voïce – va»), un nom gallois signifiant, selon les sources, «lieu de repos», «lieu de paix» ou «havre de paix». Bien… 155 ans plus tard, on peut dire que la résidence est un «lieu de paix», puisque plus personne n’y habite.

La pendaison de crémaillère de Gorffwysfa attire environ 500 personnes, dont le premier ministre John A. Macdonald, qui allait devenir lui-même plus tard un adepte des pendaisons. Hou hou!

Prise en main par le gouvernement fédéral

La résidence devient un endroit où se réunit l’élite de la capitale et des personnalités de passage en ville. Currier meurt en 1884 ; sa femme lui survit jusqu’en 1901. La demeure est alors vendue à un autre grand commerçant de bois, William Cameron Edwards, qui à son décès, en 1921, la lèguera à son neveu.

Justin Trudeau, bébé au 24, promenade Sussex, en 1972, sous le regard de sa mère, Margaret Sinclair, et dans les bras de Pat Nixon, femme du président américain Richard Nixon. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Jusque-là tout va bien, mais dans les années 1940, le gouvernement fédéral convoite le domaine. Ottawa possède déjà presque tous les terrains qui longent la rivière des Outaouais à cet endroit et veut éviter toute exploitation des berges.

En 1943, le gouvernement exproprie la propriété, mais le neveu Edwards s’y opposera vivement pendant quelques années. Le lieu de paix était devenu un objet de discorde, mais au bout du compte, en 1946, le gouvernement obtient gain de cause.

Gorffwysfa devient en 1949 la résidence officielle du premier ministre du Canada. Louis St-Laurent sera le premier à s’y installer, mais on a dû le convaincre. Il était au départ contre l’idée d’une résidence officielle. Il finit par acquiescer, à condition de payer un loyer, une pratique qui se poursuivra jusqu’en 1971, alors qu’un certain Trudeau est premier ministre.

Après le calme, la tourmente

Les années et les premiers ministres se succèdent, et la vie au 24 Sussex y est assez paisible, jusqu’à… jusqu’à ce que, dans la nuit du 5 novembre 1995, un homme – André Dallaire – s’introduise sans frapper dans la résidence habitée à l’époque par Jean Chrétien et sa femme Aline.

Dallaire est armé d’un couteau pliant dont la lame fait une dizaine de centimètres. Arrivé près de la chambre du premier ministre, l’homme est confronté par Aline Chrétien. Celle-ci rentre aussitôt dans la chambre et verrouille la porte. Elle appelle la GRC qui, à son arrivée, trouve André Dallaire toujours sur place et l’arrête.

Vue arrière du 24, promenade Sussex. 

Photo : Wikimedia Commons, Share-Alike 3.0

Souffrant de schizophrénie depuis l’adolescence, l’assaillant dira par la suite avoir entendu des voix l’ordonnant de tuer Jean Chrétien pour venger la victoire du oui au référendum sur la souveraineté du Québec tenue quelques jours auparavant. Dallaire sera condamné pour tentative de meurtre, mais n’ira pas en prison en raison de son état mental.

Dix-huit ans après l’incident Dallaire, voilà que le 24, promenade Sussex fait l’objet d’une autre invasion : des rats. Les efforts pour régler le problème ont permis de découvrir une quantité de carcasses et d’excréments de rats à l’intérieur des murs, au grenier et au sous-sol.

Avec l’infestation de rats et la présence d’autres problèmes, le débat est encore ouvert à savoir si on injectera les dizaines de millions de dollars nécessaires afin que Gorffwysfa redevienne ce havre de paix qu’il a déjà été ou si on la laissera aux fantômes.

Type: Récit

Récit: Cet article contient des informations, des opinions et des analyses, toutes basées sur des faits.

Moncton

Marc Poirier

Journaliste

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