Pensons à Doug Ford, en Ontario, qui avait créé une véritable onde de choc en abolissant le Commissariat aux services en français.
À Blaine Higgs, au Nouveau-Brunswick, qui n’a jamais caché son irritation envers le bilinguisme, allant même jusqu’à nommer un ministre ouvertement francophobe, alors que sa province est la seule à être officiellement bilingue au pays.
Ou encore à Jason Kenney, en Alberta, qui préfère économiser quelques millions de dollars, ce qui est une goutte d’eau dans le budget de la province, en imposant de sévères compressions budgétaires à l’Université de l’Alberta et donc au Campus St-Jean.
Face à ces exemples récents, on peut se demander s’il n’existe pas un lien entre les politiques linguistiques et les positions idéologiques des partis politiques.
Les droits linguistiques des minorités francophones et acadiennes seraient-ils moins bien protégés par les partis politiques de droite que par les autres partis, qu’ils soient de centre ou de gauche? Si oui, est-ce qu’un tel lien existe aussi sur la scène fédérale?
La question est légitime puisque la perspective d’un éventuel changement de gouvernement à Ottawa devient de plus en plus probable. Pierre Poilievre est maintenant bien en selle à la tête du Parti conservateur du Canada et de récents sondages montrent que sa popularité est en forte progression.
Par ailleurs, le congrès du Parti conservateur, tenu à Québec du 7 au 9 septembre, constitue l’une des rares occasions de mieux connaitre les intentions du chef conservateur ainsi que des membres du parti à l’égard de la francophonie.
Le discours de Pierre Poilievre
Ce qui a frappé de prime abord lors de ce congrès est la large place que Pierre Poilievre a faite au français lors de son long discours (près d’une heure), dont près de la moitié a été livrée en français.
Pierre Poilievre n’a pas hésité à aborder des thèmes chers à la francophonie, évoquant notamment son propre parcours comme fils adoptif de parents franco-albertains ainsi que l’histoire de sa conjointe, Anaïda, qui est arrivée à Montréal a un jeune âge et qui a appris rapidement le français, qu’elle maitrise impeccablement.
Le chef s’est aussi engagé à envoyer ses enfants à l’école française et n’a pas hésité à parler de la langue et de la culture québécoise allant même jusqu’à citer les paroles d’une chanson du groupe Mes Aïeux.
Mais outre les paroles, qu’en est-il des intentions?
Le discours du chef conservateur n’a présenté aucun engagement formel relatif à la protection des droits linguistiques des communautés francophones et acadiennes.
Il faut dire que très peu de promesses ont été dévoilées lors de ce congrès. Celles-ci viendront plus tard, lorsque la plateforme du parti sera présentée aux électeurs, probablement durant la prochaine campagne électorale.
Les résolutions adoptées par les membres
Par contre, les membres du parti ont pu s’exprimer sur de nombreuses résolutions. Deux sont particulièrement intéressantes pour la francophonie canadienne.
La première concerne Radio-Canada : les membres devaient se prononcer sur le financement de la société d’État. La résolution demandait que le gouvernement fédéral cesse complètement de financer CBC/Radio-Canada.
Les membres n’ont pas voulu discuter de cette proposition en séance plénière (seules des discussions ont eu lieu à huis clos) et, par conséquent, la résolution n’a pas été adoptée. On peut ainsi supposer que les membres acceptent le principe du financement public de la société d’État, à tout le moins, on peut le présumer, pour ses activités francophones.
La seconde résolution a trait à l’équilibre budgétaire : les membres ont adopté, à une très forte majorité (91 %), une résolution forçant le gouvernement fédéral à éliminer le déficit budgétaire et à rembourser la dette.
L’appui à cette résolution n’est pas en soi surprenant. La question du contrôle serré des finances publiques et de l’équilibre budgétaire ont toujours fait partie des priorités du Parti conservateur et plus généralement des partis de droite.
Mais cette résolution est importante, car elle résume bien à elle seule le principal défi auquel les communautés francophones et acadiennes sont continuellement confrontées.
Comment convaincre les gouvernements que les «dépenses» en francophonie sont cruciales pour la survie des communautés francophones et acadiennes?
Doug Ford, Blaine Higgs, Jason Kenney, pour ne nommer que ceux-ci, nous ont fait la démonstration que les impératifs pécuniaires l’emportent sur toute autre considération.
Si certaines de leurs décisions ont pu être renversées (l’Université de l’Ontario français ainsi que le Campus Saint-Jean ont finalement obtenu des fonds), c’est parce que le gouvernement fédéral de Justin Trudeau n’a pas hésité à appuyer financièrement ces projets.
Mais on le sait, l’atteinte de l’équilibre budgétaire et le remboursement de la dette ne sont pas la priorité de notre premier ministre actuel. Cependant, ce le sera très certainement pour Pierre Poilievre et pour un grand nombre d’électeurs conservateurs.
Petite note sur l’usage du français au congrès
Pour terminer cette brève analyse du congrès conservateur. Bien qu’il se soit tenu à Québec, on doit déplorer le peu d’attention portée à l’usage du français.
Plusieurs militants du Québec ont même rappelé à l’ordre leur parti en séance plénière, en dénonçant plusieurs erreurs de traduction des résolutions présentées au congrès.
Pour ma part, j’ai eu bien de la difficulté à me faire servir en français et cela a commencé dès l’accueil au congrès. Le Parti conservateur va devoir faire mieux.
Geneviève Tellier est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias de tout le pays.