Forts d’une subvention de 238 000 $ du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), le Collège Boréal et l’Association francophone à l’éducation des services à l’enfance de l’Ontario (AFÉSEO) mèneront d’ici la fin mars 2021 une étude de la formation FrancoFUN.
Offerte depuis deux ans dans son format actuel, un mélange de capsules d’autoformation et de communautés d’apprentissages virtuelles, FrancoFUN vise à conscientiser les professionnels de la petite enfance à leur rôle de «passeurs culturels».
«On veut mesurer les impacts de cet outil sur le développement identitaire des enfants», résume Josée Latulippe, gestionnaire du Centre d’innovation sociale pour l’enfant et la famille du Collège Boréal.
Concrètement, la formation de quelques jours a pour but de faire prendre conscience aux éducatrices de la place qu’occupent le français et la culture francophone dans leur quotidien : «Au niveau des parents, on peut se demander par exemple s’il y a des familles exogames et comment on les accueille. En ce qui concerne l’aménagement linguistique, qu’est-ce qui est affiché à l’intérieur du milieu éducatif, comment est-ce qu’on communique entre nous? On veut donner de l’importance à ces éléments-là», indique encore Josée Latulippe.

Le début d’un continuum
La question de la petite enfance en milieu minoritaire est de plus en plus étudiée à travers la francophonie canadienne, mais le manque de données concrètes freine les organismes dans leurs volontés de développement.
Pour Martine St-Onge, directrice de l’AFÉSEO, cette étude permettra de valider les impacts à long terme de la transmission de l’identité culturelle francophone en milieu éducatif dès la petite enfance.
«À notre connaissance, ça ne s’est jamais fait […] La petite enfance a souvent été oubliée, c’est souvent le parent pauvre du continuum de l’éducation», expose la directrice.
«Maintenant qu’on sait que le cerveau de l’enfant se façonne de 0 à 6 ans à une vitesse exponentielle, c’est important de s’assurer qu’on connaisse bien les impacts de nos gestes par rapport à la construction identitaire de ces enfants-là», ajoute Martine St-Onge.

L’AFÉSEO espère ultimement convaincre le public et les gouvernements d’investir davantage dans le domaine de la petite enfance francophone «parce que ces enfants-là deviendront éventuellement des citoyens francophones engagés», souligne Martine St-Onge.
Un point de vue que seconde Josée Latulippe :
Investir dans la petite enfance, ça a plusieurs bienfaits et c’est le début d’un continuum. C’est de la prévention positive précoce pour la revitalisation des communautés francophones.
Faire renaitre la fierté et la curiosité
Mélanie Lelièvre, professeure au programme d’Éducation en services à l’enfance du Collège Boréal, a suivi la formation FrancoFUN il y a quelques années. Ultimement, ce qu’elle y a appris et vécu l’a poussée à changer d’emploi pour un milieu plus francophone.
«Suivant la formation, j’ai demandé qu’on commence à tenir des réunions et à envoyer des courriels en français. J’ai vraiment pratiqué ma langue! Ça m’a fait regarder mes oppressions intériorisées», indique la professeure.
Celle qui avoue avoir longtemps tenu le français pour acquis a décidé d’inclure davantage sa langue maternelle dans toutes les sphères de sa vie. «Ça a développé ma curiosité et au lieu de me dire que les gens vont me juger, je me dis que si je fais des erreurs les gens vont m’aider», ajoute-t-elle.
Elle inclut désormais ces apprentissages dans son propre enseignement et encourage ses étudiants à inclure de petits gestes dans leur quotidien, comme écouter de la musique francophone et franco-ontarienne, organiser des jeux en français et même accrocher un drapeau franco-ontarien dans leur lieu de travail.

Je parle beaucoup de pourquoi c’est important, d’où et comment se placer par rapport à ça et de comment vivre notre fierté francophone et être passeur culturel tout en respectant les autres langues qui entrent dans nos services de garde. Après deux ans avec nous, on voit que les étudiantes deviennent plus conscientes de ça.
Dans sa propre vie, «c’était très rare d’avoir du fun en français, c’était plutôt pour travailler que pour avoir du plaisir. Lors de la formation, j’ai pu vivre ce fun-là, et ça m’a portée à avoir un regard intérieur […] Ça t’ouvre l’esprit!»
Similairement, elle incite ses étudiantes à prêcher par l’exemple plutôt que par la contrainte : «Ce n’est pas tant de forcer les enfants à parler français que de se positionner soi-même comme francophone, et les enfants vont apprendre», indique Mélanie Lelièvre.
Prêts à apprendre en français
La notion de «plaisir» est d’ailleurs mise de l’avant lors de la formation FrancoFUN, souligne Martine St-Onge : «En petite enfance, on a la chance d’apprendre par le jeu, donc pourquoi ne pas utiliser ce moyen puissant là pour passer la culture et la langue de façon ludique? […] Les éducatrices passent 30 à 40 heures par semaine avec les enfants, donc c’est quand même un apport important.»
À savoir si l’accent mis sur le français dès la petite enfance joue un rôle une fois l’enfant rendu à l’école, la directrice de l’AFÉSEO est catégorique : «Définitivement. L’un des indices, c’est certainement la capacité de parler en français ; ça se confirme quasiment à 100 % qu’un enfant qui a été dans un service de garde francophone de qualité sera prêt à apprendre en français à sa rentrée scolaire», ce qui n’est pas toujours le cas dans les écoles francophones.
Évoquant à nouveau la notion de «continuum», la directrice souligne que ces bases serviront à la construction identitaire de l’individu, «qui se fait beaucoup à l’adolescence : toutes les pierres qu’on met pour se rendre là sont importantes», souligne Martine St-Onge.
C’est aussi la capacité d’intégrer que c’est le fun de vivre en français, qu’on peut jouer en français et avoir des amis francophones ; c’est tout un contexte de minisociété qu’on installe dans un service de garde et qui laisse des traces pas toujours conscientes, mais qui sont là.
L’étude, qui sera menée par la chercheuse Louise Legault, visera donc à rendre ces traces observables. «Quels sont les impacts, et ces impacts vont-ils plus loin que l’enfance, la famille, la communauté? On souhaiterait valider nos hypothèses, on n’est pas là encore. C’est la pointe de l’iceberg, mais au moins on a quelque chose de concret pour avancer», félicite Martine St-Onge.
*Lire le rapport ici.