Titulaire d’un doctorat de l’Université du Québec à Montréal, Valérie Vézina enseigne la science politique à Kwantlen Polytechnic University à Surrey en Colombie-Britannique. Passionnée des iles, elle a récemment publié son livre Une ile, une nation? où elle décrit le nationalisme insulaire à la lumière des cas de Terre-Neuve-et-Labrador et Puerto Rico.
Si ces deux territoires sont des iles au sens le plus strict, la chercheuse est convaincue que son modèle peut s’appliquer à un autre type d’ile : «Dans les études insulaires, on compare souvent les iles aux milieux enclavés. Les gens ont le même genre de défis.»
«Iléité»
Au terme «insularité», qui peut avoir une connotation péjorative de repli sur soi, la conférencière préfère le concept d’«iléité», qui traduit selon elle un sentiment partagé par les habitants et une ouverture sur le monde.
«C’est un néologisme, un mot inventé qui vient de l’anglais islandness que j’ai traduit à des fins francophones. C’est ce sentiment qui est vraiment facile à comprendre quand on vit sur une ile. Quand on est en Saskatchewan, on sait ce que c’est d’être de la Saskatchewan, quand on est fransaskois on sait ce que c’est d’être fransaskois, mais pour les gens de l’extérieur c’est bien difficile à saisir.»

Une ile en quatre dimensions
Pour rendre son concept d’iléité plus tangible, l’auteure le décompose en quatre variables : territoriale, économique, politique et culturelle.
Un critère clé de la dimension territoriale repose sur la distance qui sépare l’ile du pouvoir central. Plus cette distance physique est grande, plus le risque est important de se sentir isolé, incompris, voire ignoré par le centre de décision. De plus, il n’existe pas de mode de transport direct entre les grands centres urbains de la province et Ottawa.
La taille du territoire a également une incidence sur le sentiment d’iléité et peut même aboutir à un archipel dont les iles seraient autant de sous-ensembles créés par les diversités géographiques (plaines au Sud, forêts au Nord), ethniques (Autochtones, Fransaskois, etc.) ou de milieux de vie (urbain, rural).
Les ressources naturelles dont dispose l’ile relèvent quant à elles de la dimension économique. En Saskatchewan, l’universitaire note la production de pétrole, gaz, potasse, uranium et céréales. Ces ressources ont une valeur marchande non négligeable et peuvent ainsi nourrir un sentiment d’autonomie économique.
Du point de vue politique, Valérie Vézina démontre qu’une indépendance récente contribue à l’iléité. Si la Saskatchewan n’a jamais été indépendante, sa création avec des frontières en lignes droites en 1905 est toutefois assez récente.
Un autre facteur politique est le système de partis différenciés du fédéral. Le parti saskatchewanais au pouvoir depuis 2007 n’a d’affiliation officielle avec aucun parti fédéral et présente des spécificités différentes des partis plus classiques.
Il faut aussi s’attarder sur les limites et portées des pouvoirs de l’ile, selon la politologue. La province en tant que telle a des pouvoirs limités, bien qu’elle dispose de droits dans la Constitution pour négocier des ententes et réclamer certains pouvoirs laissés au niveau fédéral. À ce titre, la conférencière souligne que «cela ne fait pas nécessairement augmenter l’iléité».
Côté culturel, Valérie Vézina pose la question suivante : «Est-ce que l’ile a des symboles reconnus et acceptés de tous?». La chercheuse identifie Tommy Douglas avec la création de l’assurance-maladie, les grandes prairies et cette quiétude ou douceur de vivre qui est selon elle «une caractéristique propre à un milieu insulaire».
Le nationalisme dans l’Ouest
La conférence a suscité beaucoup de réactions dans l’auditoire et une douzaine de personnes ont successivement pris la parole. Les notions de Wexit et d’aliénation de l’Ouest étaient au cœur des discussions.
La conférencière a son avis sur la question :
Le concept de Wexit rejoint au moins la dimension économique de l’iléité à tout prix, dans le sens où on a plein de ressources primées que l’on veut exploiter, mais on est freinés. Mais cette façon de penser, ce n’est pas nouveau, ça a été une fluctuation dans le temps, c’est un mouvement qui va et qui revient.
Pour Laurier Gareau, auteur, dramaturge et historien fransaskois, la plus grande crainte des Canadiens de l’Ouest, «c’est qu’Ottawa ne les écoute pas. Même quand ce sont les Conservateurs qui sont au pouvoir à Ottawa avec Mulroney dans les années 1980 ou plus récemment avec Harper, l’Ouest n’est pas écouté. C’est une question de force qui doit être jouée avec le restant du pays si on veut voir de véritables changements.»
La Fransaskoisie, une ile dans l’ile
Denis Desgagné, directeur aux partenariats et à la programmation culturelle au Conseil des écoles fransaskoises, est intervenu pour pousser la réflexion vers la Fransaskoisie : «Si la Saskatchewan est une ile, nous sommes une ile sur une ile. […] C’est cette unicité, cette minorité différente, mais sa force c’est de l’assumer totalement et de faire autrement parce qu’une ile doit faire tellement plus.»
Valérie Vézina souhaite prendre du temps pour étudier plus en détail la Saskatchewan et les Fransaskois. Elle pourrait ainsi bonifier son ouvrage Une ile, une nation?, en nomination pour le Prix du livre francophone de l’Association canadienne de science politique.